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La culture de blé dur en Wallonie: les premiers enseignements de la vague de froid de février

Le blé dur – Triticum turgidum L. subsp. durum – fait l’objet d’une étude de terrain par le Centre wallon de recherches agronomiques depuis octobre 2018. Ces essais se poursuivent cette année avec un hiver qui aura permis d’apprécier plus concrètement la tolérance des variétés semées vis-à-vis du froid. Voici un éclairage sur les premières leçons à en tirer dans la perspective d’un développement de cette nouvelle filière dans nos régions.

Temps de lecture : 5 min

Après deux années d’essais exploratoires, vous êtes désormais nombreux à avoir semé du blé dur à l’automne 2020. Pour rappel, cette culture était jusqu’à la saison dernière encore inconnue dans nos campagnes, sa zone de production se situant historiquement dans le bassin méditerranéen.

La vague de froid a duré sept jours avec des températures nocturnes descendant jusqu’à -10ºC. Elle constituait la première épreuve à franchir pour la culture. Nous avons croisé les doigts en attendant de savoir si la culture allait supporter le froid (photos 1 A à D, en page 20).

Photo 1 A: vue, le 19 février, de la variété Anvergur semée en octobre 2020.
Photo 1 A: vue, le 19 février, de la variété Anvergur semée en octobre 2020.

Photo 1 B: vue, le 19 février, de la variété Anvergur semée en novembre 2020.
Photo 1 B: vue, le 19 février, de la variété Anvergur semée en novembre 2020.

Photo 1 C: vue, le 19 février, de la variété Wintergold semée en octobre 2020.
Photo 1 C: vue, le 19 février, de la variété Wintergold semée en octobre 2020.

Photo 1 D: vue, le 19 février, de la variété Wintergold semée en novembre 2020.
Photo 1 D: vue, le 19 février, de la variété Wintergold semée en novembre 2020.

Selon les informations déjà disponibles sur cette culture, il apparaît que sa résistance au froid est équivalente à celle des pois, des féveroles et des avoines. Selon l’Institut français Arvalis (voir la figure ci-dessous), le seuil moyen de résistance est de -10ºC, mais il existe une grande variabilité entre les variétés.

Figure: niveaux de résistance au froid et variabilité génétique dans les différentes espèces (Arvalis 2021).
Figure: niveaux de résistance au froid et variabilité génétique dans les différentes espèces (Arvalis 2021).

La neige et l’eau influencent également le froid ressenti par les plantes. Dans la plupart des régions, les cultures étaient recouvertes de 2 à 5 cm de neige, ce qui a atténué les effets du froid. Bien que peu épaisse, cette couche a eu un effet protecteur important ne serait-ce qu’en mettant les plantes à l’abri du vent.

La vague de froid a directement été suivie d’une forte pluie qui a eu pour effet de refermer les terres et de limiter les déchaussements. Au cours des jours qui ont suivi, le froid a laissé place à une semaine digne d’un début de mois de mai avec des températures atteignant 18 ºC.

Les rares situations critiques sont les fonds de terre dans lesquels il y avait de l’eau stagnante, et les zones dépourvues de neige (photo 2).

Photo 2 : dégâts de l’hiver sur blé dur à Ernage (Gembloux), dans une parcelle semée le 31octobre. La zone détruite (partie gauche sur la photo) correspond à une plage préalablement gorgée d’eau.
Photo 2 : dégâts de l’hiver sur blé dur à Ernage (Gembloux), dans une parcelle semée le 31octobre. La zone détruite (partie gauche sur la photo) correspond à une plage préalablement gorgée d’eau.

À l’épreuve d’une vraie situation hivernale

Au Cra-w, nous avons commencé l’étude du blé dur à l’automne 2018 et c’est donc la première fois que nous sommes confrontés à de véritables conditions hivernales. Cette saison, le réseau «blé dur wallon» est composé de 4 variétés présentes dans des proportions différentes. La variété la plus semée est Wintergold (70 %) suivie d’Anvergur (25 %); le solde comprend quelques parcelles d’Haristide et RGT Voilur (en bio). Les terres emblavées sont réparties sur l’ensemble du territoire wallon, allant de Tournai jusqu’à Waremme, en passant par Chimay et Ciney.

Depuis le vendredi 19 février, nous constatons que, tout comme les orges et la majorité des froments, les blés durs ont jauni, mais les nécroses observées n’affectent bien souvent qu’une partie des feuilles. On n’observe pas ou très peu de mortalité de talles ou de plantes. Les observations relayées par les agriculteurs du réseau confirment que, d’une manière générale, il n’y a pas eu de problèmes majeurs dans les parcelles implantées.

Premiers enseignements

Cependant, il est à noter que le choix et la date de semis ont fortement influencé la résistance à l’hiver. Nous pouvons déjà tirer quelques conclusions.

La variété Wintergold, d’origine allemande, est comme son nom l’indique, parfaitement adaptée à l’hiver et n’a eu aucun mal à résister aux températures de la vague de froid. Les semis d’octobre, déconseillés pour les variétés françaises, semblent bien lui convenir car ils lui permettent d’exprimer son bon potentiel de tallage. Ces observations seront à confirmer dans les essais phytotechniques.

Anvergur est plus sensible au froid. Elle se range pourtant parmi les variétés assez tolérantes au sein des obtentions françaises. La vague de froid de février est sans doute la limite qu’elle peut supporter. Dans la grande majorité des situations, les dégâts ne sont que foliaires et n’auront donc pas d’impact sur le développement futur des plantes. Notons toutefois que les semis d’octobre avaient été déconseillés et que les rares parcelles implantées lors de ce mois présentent nettement plus de dégâts que les semis de novembre.

La variété Haristide, qui avait été choisie tant pour son rendement que pour son excellente résistance aux maladies semble légèrement plus sensible que la précédente. Les mêmes remarques s’appliquent concernant les dates de semis. À noter également que les semis très tardifs de décembre dans des conditions difficiles (fréquentes précipitations) ne présentent pas de belles levées mais ce n’est pas spécifique au blé dur.

Le mois idéal de semis est donc bien le mois de novembre pour les variétés Anvergur et Haristide.

La variété RGT Voilur était la seule dont les semences étaient disponibles pour le bio. Sa faiblesse au froid avait été mise en évidence dans les essais de 2019 et 2020. Cette sensibilité s’est confirmée dans une des deux terres emblavées avec cette variété. Les dégâts y semblent importants au point de songer à un ressemis. La terre en question est située dans la région de Chimay, la température est descendue à -11ºC. Elle est exposée au vent et la neige semble y avoir été chassée par endroits. Cette variété n’est définitivement pas adaptée à nos régions.

Un froid révélateur

Dans une perspective à long terme du développement de la filière blé dur wallon, cette période de froid a donc été très instructive. Elle a permis de faire une sélection drastique parmi les 26 variétés étudiées cette année et provenant des 4 coins de l’Europe (photo 3). Le critère de tolérance au froid est confirmé en tant qu’essentiel pour les choix variétaux.

Photo 3: vue extraite d’un essai variétal mené par le Cra-w, semé le 17 octobre dernier à Acosse. Elle illustre les différences significatives de tolérance au froid (variété sensible à gauche, variété résistante à droite) parmi les variétés testées.
Photo 3: vue extraite d’un essai variétal mené par le Cra-w, semé le 17 octobre dernier à Acosse. Elle illustre les différences significatives de tolérance au froid (variété sensible à gauche, variété résistante à droite) parmi les variétés testées.

Une dizaine de variétés n’ont pas montré une tolérance suffisante et seront abandonnées, il s’agit de certaines variétés italiennes et françaises. Par contre, d’autres se sont avérées aussi tolérantes que des variétés de froment typées hiver. Ces dernières, sans surprise proviennent d’Autriche, de Hongrie et de Pologne.

À suivre

La suite de la saison nous permettra de vérifier si les variétés affectées par le froid seront en capacité de compenser les pertes de talles. Les réponses aux questions du potentiel de rendement et de la qualité des récoltes pour les variétés les plus tolérantes au froid seront fondamentales pour l’avenir de la filière en Wallonie.

Enfin, nous espérons pouvoir accompagner la filière par la poursuite des essais variétaux et phytotechniques.

Rodrigo Meza

et Guillaume Jacquemin,

Cra-w, le 25 février

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