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La filière apicole wallonne ne demande qu’à se professionnaliser, malgré les défis qu’elle rencontre

Endosser sa tenue d’apiculteur, c’est rejoindre un monde où passion de la biodiversité, partage de connaissances et production d’un miel local et de qualité s’entremêlent. Mais tous vous le diront : l’apiculture ne doit pas être réduite à ce portrait bucolique. Car les défis environnementaux et sanitaires qui pèsent sur le secteur sont nombreux et doivent être abordés avec le plus grand sérieux.

Temps de lecture : 8 min

Qu’il soit de printemps ou d’été, monofloral ou toutes fleurs, doux ou puissant… le miel ne laisse personne indifférent. Et certainement pas les apiculteurs qui le produisent avec passion et savoir-faire. En Wallonie, ces amoureux des abeilles sont entre 3.400 et 3.500 à prendre soin de plus de 32.500 ruches, soit un nombre impressionnant d’abeilles produisant 1.050 t de miel destinées à notre consommation.

De vrais spécialistes !

Le secteur ne compte cependant qu’un nombre limité de professionnels. « Les apiculteurs wallons sont majoritairement des amateurs, mais cela ne signifie pas qu’ils ne maîtrisent pas leur passion. Ce sont bien souvent de vrais spécialistes », éclaire Agnès Fayet, chargée de mission au Centre apicole de recherche et d’information (Cari). Et d’ajouter : « Les structures apicoles sont nombreuses et les ruchers écoles assurent un encadrement de qualité. L’information circule extrêmement bien entre les apiculteurs, qu’ils soient novices ou plus expérimentés ».

Un nombre croissant de jeunes s’intéresse d’ailleurs aux abeilles, ce qui se traduit par une hausse du nombre de ruches. « En parallèle, on observe un véritable élan de professionnalisation. Cela s’explique notamment par le comportement d’achat des consommateurs qui se tournent davantage vers les produits locaux. »

Le miel wallon, souvent écoulé à une échelle très locale, intéresse un nombre croissant de consommateurs, signe qu’une professionnalisation de la filière est nécessaire.
Le miel wallon, souvent écoulé à une échelle très locale, intéresse un nombre croissant de consommateurs, signe qu’une professionnalisation de la filière est nécessaire. - Agnès Fayet

Pourtant, la production wallonne de miel n’est pas en mesure de satisfaire la demande. « Cela témoigne, d’une part, qu’il faut effectivement professionnaliser davantage la filière et, d’autre part, assurer l’accompagnement et l’encadrement des apiculteurs professionnels. Actuellement, les produits de la ruche sont majoritairement commercialisés à une échelle locale, voire très locale, alors que la demande est régionale », observe-t-elle.

Un constat d’autant plus étonnant que la Belgique est une plaque tournante dans le négoce du miel. Au sein de l’Union européenne, notre pays est, en effet, le troisième importateur de miel en provenance de pays tiers et le deuxième exportateur intra-communautaire de miel. Mais commerce international et production locale sont deux choses bien différentes ! « À ce sujet, l’obtention d’une Indication géographique protégée permettra de valoriser au mieux les qualités du miel wallon au sein même de sa région de production. Le dossier est actuellement entre les mains de l’Europe ; nous attendons que la labellisation soit octroyée. »

« L’obtention d’une Indication géographique protégée permettra de valoriser au mieux les qualités du miel wallon au sein même de sa région de production. »

Oser les rencontres agriculteurs-apiculteurs

Outre la production de miel, propolis ou gelée royale, les abeilles assurent leur mission de pollinisation, soit un important service écosystémique pouvant être source de collaboration entre apiculteurs et agriculteurs. Dans les vergers et, dans une moindre mesure, dans les cultures de colza et féverole, ce service est largement mis en lumière par l’installation de ruches dans les parcelles agricoles. Il contribue au développement de partenariats cultivateurs-apiculteurs.

« La rencontre entre les deux parties est une démarche des plus constructives. Ce n’est que de cette manière qu’il est possible de comprendre les besoins et contraintes des uns et des autres. Tisser des relations entre ces deux mondes très complémentaires est essentiel pour l’avenir. » Le Cari souhaite d’ailleurs porter cette dynamique à un niveau local et l’étendre autant que possible sur le terrain.

Veiller à un environnement de qualité

Ces notes positives ne doivent toutefois pas occulter les défis auxquels les apiculteurs font face, d’autant qu’ils peuvent conduire à un grave dépérissement des colonies.

« La qualité de l’environnement dans lequel évoluent les abeilles, mais aussi les autres pollinisateurs, est un facteur qui requiert toute notre attention », éclaire Agnès Fayet. À ce titre, les produits phytosanitaires sont souvent cités comme étant problématiques.

« Ce n’est pas pour autant que les agriculteurs doivent être incriminés. D’une part, ils utilisent les produits qu’ils leurs sont conseillés et manquent parfois d’alternatives. D’autre part, on observe une réelle prise de conscience de l’impact que peuvent avoir les travaux agricoles sur les colonies d’abeilles. » De nombreux cultivateurs effectuent en effet leurs traitements en dehors des périodes de pollinisation. Les services d’avertissement agricoles en tiennent compte également. « Ces comportements doivent se généraliser. »

Plus de 32.500 ruches, dont une grande majorité appartient à des apiculteurs amateurs, sont recensées en Wallonie.
Plus de 32.500 ruches, dont une grande majorité appartient à des apiculteurs amateurs, sont recensées en Wallonie. - Agnès Fayet

Au-delà de cet aspect phytotechnique, la qualité de l’environnement dépend de sa diversité. Plus un environnement est diversifié, plus le bol alimentaire de l’abeille est varié, ce qui contribue au bon développement de son système immunitaire. Il est essentiel de maintenir cette diversité pour le bien des pollinisateurs mais aussi des autres insectes.

« N’oublions pas que les abeilles sont de grandes consommatrices d’eau. Les eaux stagnantes sont parfois contaminées par des produits utilisés en grandes cultures, mais aussi en élevage (traitements antiparasitaires, par exemple). Ce qui n’est pas sans impact sur les insectes, de manière générale. » Il convient donc de veiller à une utilisation prudente et raisonnée de ces produits.

Les changements climatiques que nous connaissons actuellement viennent à leur tour compliquer le travail des apiculteurs. Si la situation est critique en Espagne ainsi que dans le sud de la France, elle est plus nuancée en Wallonie. « La situation générale est favorable aux colonies. Les problèmes viennent plutôt des pics de chaleur, des sécheresses ou encore des épisodes pluvieux intenses. Les abeilles ne s’adaptent pas facilement à ces changements abrupts. Changements qui, en outre, ont un impact sur la disponibilité en nourriture. »

Vivre avec le Varroa et le frelon asiatique

Deux autres défis, et non des moindres, que rencontrent les apiculteurs sont la varroase et la présence du frelon asiatique sur le territoire wallon.

Varroa destructor, l’acarien responsable de la varroase, sévit depuis des dizaines d’années déjà. Plusieurs approches permettent d’éviter que le rucher soit victime d’une véritable hécatombe. « Les traitements chimiques sont progressivement délaissés au profit de traitements biologiques. De nouvelles techniques apicoles font également leur apparition pour limiter l’expansion du Varroa. En parallèle, des recherches sont menées sur le terrain en vue d’identifier une abeille qui présenterait un bon niveau de résistance aux attaques. »

L’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire et les vétérinaires sont, en outre, présents auprès des apiculteurs pour les accompagner et conseiller. Malheureusement, cela n’empêche pas les dégâts…

Le frelon asiatique (Vespa velutina) semble quant à lui s’être installé durablement chez nous après une phase de découverte du territoire d’un à deux ans. « C’est un stress supplémentaire pour les abeilles… Les apiculteurs, eux, n’auront pas d’autres choix que de vivre avec… », déplore Mme Fayet. Il convient donc de les conseiller au mieux quant aux techniques permettant de protéger les colonies.

Deux méthodes de protection sont actuellement utilisées. La première consiste à placer des pièges dans l’environnement. Ceux-ci présentent cependant l’inconvénient d’être non-sélectifs. Le risque de piéger des espèces non problématiques est donc bien réel. La seconde technique mise sur l’installation de « muselières » (treillis métalliques) à l’entrée de chaque ruche. Elles permettent de réduire les attaques et prélèvements sur la planche d’envol. Les abeilles peuvent ainsi quitter la ruche sans être confrontées directement aux frelons.

L’installation de « muselières » à l’entrée des ruches permet de protéger les abeilles des attaques du frelon asiatique.
L’installation de « muselières » à l’entrée des ruches permet de protéger les abeilles des attaques du frelon asiatique. - Raymond Peeters

« Les apiculteurs ont besoin d’un encadrement spécifique en la matière. C’est pourquoi un ingénieur va rejoindre le Cari avec pour mission, notamment, de tester différentes solutions et d’effectuer des analyses de terrain. Il pourra ainsi orienter les amateurs et professionnels quant aux méthodes à adopter. Notre réseau de suivi va également s’étoffer et être modernisé afin de surveiller plus efficacement les ruches. »

Une profession à part entière

« Cette situation ne doit pas effrayer ceux qui souhaiteraient se lancer dans l’apiculture, que ce soit par passion ou à une échelle professionnelle », insiste Agnès Fayet. Il est d’ailleurs tout à fait possible de vivre de l’apiculture à l’heure actuelle. À condition toutefois de se diversifier, afin de répartir les risques. « Les produits de la ruche sont nombreux. Il ne faut pas se limiter au miel mais également se tourner vers la propolis, le pollen ou encore la gelée royale. Bien que moins connus des consommateurs, ce sont de très beaux produits qui peuvent être valorisés en cuisine et en médecine. À nous de les promouvoir, notamment via l’Agence wallonne pour la promotion d’une agriculture de qualité. »

L’élevage de reines constitue une autre source de revenu pour les professionnels. C’est une branche très particulière de l’apiculture, qui requiert une grande technicité, mais qui présente un beau potentiel de croissance. « La Belgique fait face à un manque de reines ; le secteur est contraint de se tourner vers l’importation. Les apiculteurs savent que nos reines sont mieux adaptées à notre environnement et qu’il est important de conserver notre diversité génétique, gage de survie de l’espèce. Mais ils n’ont pas toujours d’autre choix… »

« Il est tout à fait possible de vivre de l’apiculture à condition toutefois de se diversifier, afin de répartir les risques. »

Bien que l’encadrement mis en place par les ruchers écoles soit de grande qualité, l’absence de formation professionnalisante, permettant notamment de répondre à cette situation, est pointée du doigt. « Heureusement, l’Administration s’en rend compte et souhaite remédier à ce manque à travers le plan stratégique de développement du secteur apicole 2020-2030 en cours de finalisation (lire par ailleurs). Un travail doit également être mené pour faciliter l’accès des jeunes à la profession et aux aides à l’installation. En effet, seules les formations strictement agricoles permettent aujourd’hui l’accès aux aides alors qu’elles n’intègrent que très rarement des notions apicoles. »

Soulignons encore que le monde de la recherche scientifique accorde une grande importance à l’apiculture, par le biais de plusieurs projets universitaires soutenus par le gouvernement fédéral et la Région wallonne. De quoi contribuer encore à l’accompagnement quotidien des apiculteurs, qu’ils soient amateurs ou professionnels !

Propos recueillis par J. Vandegoor

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