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«En tant que plus grand apiculteur de Belgique, je suis confronté à de nombreux défis»

Il n’a que 28 ans et est déjà le plus grand apiculteur de Belgique… Jef Torfs, originaire d’Aarschot (Brabant flamand) s’occupe en effet de plusieurs centaines de ruches alors qu’il n’en possédait que 40 il y a 5 ans, lorsqu’il s’est lancé dans la production de miel. Le retour du printemps signe donc la reprise d’une période de travail intense aux côtés de ses butineuses.

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Diplômé bio-ingénieur, Jef Torfs a rapidement décidé de suivre les traces de son père en devenant, lui aussi, apiculteur. Il a donc créé sa propre société et a collaboré longuement avec son père avant de déménager, pour prendre son indépendance. « Pour l’instant, je suis le seul agriculteur à avoir l’apiculture pour profession principale. Je suis, bien souvent, aussi le premier à rencontrer des problèmes lorsque de nouveaux règlements entrent en vigueur… », constate-t-il. Et d’ajouter, sur un ton plus léger : « Officiellement, mon activité est assimilée à l’élevage. Jusqu’il y a peu, je devais rentrer une déclaration relative aux effluents d’élevage auprès des autorités flamandes. »

Plusieurs canaux de commercialisation

Jef commercialise une partie de sa production de miel via les magasins Aveve, des magasins à la ferme et des supermarchés. Une fraction est également écoulée sous forme de fûts à destination de Meli ou de la famille Michaud (Lune de Miel, La ruche aux délices…). Habituellement, il écoule 10 à 15 % de sa production en vente directe. Le site qu’il occupe actuellement ne lui permet toutefois pas de mener à bien cette activité. « Heureusement, je m’apprête à déménager une nouvelle fois et ma nouvelle maison comprendra un magasin. De quoi reprendre la vente ! »

En pleine saison, les colonies peut atteindre jusqu’à 80.000 voire 100.000 abeilles.
En pleine saison, les colonies peut atteindre jusqu’à 80.000 voire 100.000 abeilles. - S.N.

La plupart du miel est commercialisée sous la marque de l’apiculteur, « De Bijenboer ». Ce qui est conditionné en fûts est toujours vendu sous une autre marque. « J’écoule ma production sans aucun problème, car la demande est supérieure à l’offre. C’est pourquoi je ne travaille jamais avec des contrats annuels. Cela peut poser problème lorsque la production est inférieure à celle de l’année précédente. Il m’est déjà arrivé de récolter 10 kg de miel de balsamine par ruche certaines années, contre 50 kg d’autres années. Avec 800 ruches, cela fait une sérieuse différence et peut compliquer les relations contractuelles. La récolte est donc vendue au plus offrant. »

À chaque saison son travail

Le retour du printemps signe la reprise de l’activité dans les ruches alors que l’hiver est, lui, très calme pour les apiculteurs. « Les abeilles se reposent. J’en profite pour les nourrir et effectuer un premier traitement contre la varroase. En parallèle, je travaille pour un entrepreneur de jardin de décembre à février et je profite d’un certain repos. J’en ai vraiment besoin avant d’entamer la saison. »

En ce mois de mars, l’heure est aux vérifications : les ruches sont-elles en ordre ? qu’y reste-t-il comme nourriture ? est-il possible d’accompagner le développement des abeilles ? « Il est important que les ruches soient bien remplies. Plus les abeilles sont nombreuses, meilleures seront les pollinisations, tant chez les agriculteurs que chez les horticulteurs. »

« Mars est également synonyme de retour au travail », poursuit Jef. « L’ensemble des opérations est réalisé avec mes deux employés, un saisonnier et un permanent, mais les journées sont parfois longues. Nous voyageons toujours avec les mêmes 800 ruches. Nous les déplaçons jusqu’à six fois par an et nous ne pouvons en transporter qu’une soixantaine à la fois. C’est parfois un véritable casse-tête ! »

Les premiers déplacements ont lieu en avril. « Nous installons tout d’abord les ruches dans des vergers limbourgeois. Ensuite, elles prennent la direction de la Wallonie et des champs de colza. C’est à ce moment que nous devons être particulièrement attentifs aux risques d’essaimage, phénomène par lequel la reine et une partie des abeilles quittent la ruche pour former une nouvelle colonie. Si cela se produit, nous perdons de nombreuses ouvrières. Nous éliminons donc les cellules royales pour éviter qu’une nouvelle reine voie le jour dans la ruche. »

« J’aimerais dire aux agriculteurs et horticulteurs qu’ils ne doivent pas avoir peur d’aller à la rencontre des apiculteurs. »

« Nous devons également penser aux opérations de multiplication des colonies, afin d’en disposer suffisamment pour la saison suivante. De nombreuses abeilles meurent durant l’hiver. Nous devons nous y préparer plusieurs mois avant », explique Jef.

Du colza, les abeilles sont installées dans un milieu dominé par l’acacia, le tilleul ou le châtaignier. C’est aussi durant l’été qu’un second traitement contre le varroa est effectué. La saison se termine dans la balsamine, où sont obtenus les plus importants rendements en miel. La saison se prolonge parfois jusqu’en octobre si les conditions météorologiques le permettent.

Après avoir effectué les dernières récoltes, les ruches sont reconduites à Aarschot pour y passer l’hiver. « S’il ne reste plus assez de miel, nous apportons un complément aux abeilles. Généralement, ce n’est pas nécessaire car nous laissons une quantité suffisante de nourriture sur les cadres. »

Un faible taux de mortalité

Au cours d’une saison, 15 à 20 % des abeilles, en moyenne, trouvent la mort. Chez Jef, le taux de mortalité ne dépasse cependant pas 5 %. « Des abeilles peuvent mourir par ma faute, suite au départ d’un essaim ou encore en raison de cet acarien qu’est le varroa. Je n’ai jamais constaté de réels dommages causés par l’emploi de pesticides, à une exception près. Un fruiticulteur a traité son verger contre l’anthonome du poirier sans me prévenir. Avec quel résultat ? J’ai perdu 60 colonies… En ce qui me concerne, les agriculteurs et horticulteurs peuvent effectuer les traitements qu’ils jugent nécessaires mais après m’en avoir parlé. Nous pouvons ainsi trouver une solution adéquate ensemble », détaille-t-il.

Jef dispose de pas moins de 800 ruches, ce qui lui demande un très important travail.
Jef dispose de pas moins de 800 ruches, ce qui lui demande un très important travail. - S.N.

« Nombreux sont les apiculteurs débutants à avoir une vision très verte de l’agriculture et à blâmer l’utilisation de pesticides. Moi-même, je dois parfois faire usage de glyphosate pour maintenir mes emplacements propres. Je ne peux pas me passer de l’agriculture et l’agriculture ne peut souvent pas se passer des abeilles. Je pense que la plupart des colonies peuvent survivre avec une bonne maîtrise de la varroase. »

Aller à la rencontre des apiculteurs

Jef Torfs collabore avec de nombreux agriculteurs et horticulteurs, au nord comme au sud du pays. « Chaque année, j’installe la plupart de mes ruches aux mêmes endroits. Comme elles sont bien peuplées, les cultivateurs ne se tournent que rarement vers d’autres apiculteurs que moi. Sur une saison, chaque ruche produit entre 50 et 100 kg. »

Les ruches placées dans les vergers rapportent entre 60 et 70 € chacune à l’apiculteur. « Je demande une contribution aux arboriculteurs car les parcelles fruitières se trouvent en de nombreux endroits différents. Sans, je n’y installerais pas mes ruches. »

« Je ne peux pas me passer de l’agriculture et l’agriculture ne peut souvent pas se passer des abeilles. »

En colza, c’est l’apiculteur qui rétribue l’agriculteur de quelques pots de miel. « Nous sommes dans une optique gagnant-gagnant. Une pollinisation intense de la culture permet une fructification optimale. Avec les abeilles, aucune difficulté ! Les quelques pots que nous cédons constituent en réalité un dédommagement pour les dégâts que nous pourrions éventuellement causer en circulant dans le champ. » En fin de saison, lorsque les ruches sont installées dans la balsamine, c’est au tour de l’apiculteur de rétribuer les propriétaires.

« J’aimerais dire aux agriculteurs et horticulteurs qu’ils ne doivent pas avoir peur d’aller à la rencontre des apiculteurs. J’insiste vraiment sur ce point. Personne n’a jamais osé me demander si je pouvais installer mes ruches dans telle ou telle parcelle. C’est étrange, car le colza voit son rendement augmenter de 10 % en présence d’abeilles. » Et d’insister : « Bien sûr, cette collaboration requiert de l’honnêteté. Au risque de me répéter, il faut prévenir l’apiculteur quand un traitement phytosanitaire est programmé afin qu’une solution puisse être mise en place. Ce n’est jamais drôle de voir ses abeilles mourir sans trouver de réponse à ses questions… ».

Jusqu’à 100.000 abeilles Buckfast

Jef possède deux types de ruches. Les premières, vers lesquelles il nous emmène, sont les ruches de production. C’est avec 800 ruches de ce type qu’il parcourt le pays. « On y recense environ 15.000 abeilles pour le moment. En été, ce nombre grimpe à 80.000, voire 100.000. » Il s’approche d’une des ruches et explique : « Les abeilles Buckfast sont très calmes en raison de leur bonne génétique ».

Il ouvre ensuite une des ruches. « C’est une belle ruche », dit-il fièrement. « Regardez, cette abeille revient avec du pollen. Et celle-ci, qui danse ! Elle a trouvé un mets savoureux et le communique au reste de la colonie. Et vu la danse qu’elle effectue, la source de nourriture doit se trouver à moins de 50 m de la ruche. »

Plusieurs abeilles poursuivent leur danse. Pendant ce temps, Jef observe qu’une autre s’apprête à émerger. « Elle doit avoir 21 jours. Cela signifie que la colonie a pu se tenir au chaud malgré les températures gélives observées cet hiver. Si cela ne vous rend pas heureux, en tant qu’apiculteur, de voir cela… »

Des reines, pour lui et pour d’autres

Un peu plus loin se trouvent les ruches destinées à la reproduction. « Il est très important que mes propres abeilles dominent la région. Ainsi, je peux conserver une très bonne génétique. Les reines sont donc élevées dans ces ruchettes », explique-t-il.

« Plusieurs reines peuvent être élevées dans une ruche, à condition de la rendre systématiquement orpheline. Je commence par rendre la colonie suffisamment forte, puis j’en extrais la reine. Les abeilles se retrouvent orphelines et paniquent. À ce moment, je place une centaine de larves de reine préalablement sélectionnées pour leur génétique. La panique qui règne dans la ruche pousse la colonie à s’en occuper avec attention. Une fois la métamorphose entamée, je prélève les pupes et les places dans un incubateur durant cinq jours, le temps que les reines émergent. »

Ces ruchettes sont exclusivement dédiées la production et à l’élevage de reine.
Ces ruchettes sont exclusivement dédiées la production et à l’élevage de reine. - S.N.

Les reines prennent leur envol et sont fécondées par les mâles issus, eux aussi, du rucher que conduit Jef. « Ils dominent la zone. Une fois les reines de retour, je connais à la fois la lignée femelle et la lignée mâle. Elles peuvent alors prendre place dans les ruches de production. »

Certaines reines sont également commercialisées. Pour les identifier, toutes sont marquées d’un point de couleur qui varie d’une année à l’autre afin de connaître leur âge avec exactitude. « Les reines occupent une colonie pendant trois ans au maximum. Au-delà, la ponte n’est plus suffisante et je procède à son renouvellement. »

S’informer, avec sérieux

On lit ou on entend fréquemment que le nombre d’abeilles recule, mais Jef affirme le contraire. « Certaines personnes estiment qu’il n’y a plus assez d’abeilles et s’installent comme apiculteurs. Cependant, beaucoup ne maîtrisent pas les ficelles du métier, notamment en matière de protection contre le varroa. Il n’est pas rare que mes colonies contractent la varroase après avoir eu des contacts avec des abeilles n’ayant bénéficié d’aucune protection. C’est pourquoi je dois effectuer deux traitements par an. Il est très important que ceux qui souhaitent se lancer dans l’apiculture s’informent correctement sur ce que cela implique. »

Jef se trouve néanmoins en porte-à-faux vis-à-vis de ces gens. « D’une certaine manière, c’est une opportunité de vendre mes abeilles et reines. Malheureusement, de nombreuses colonies périssent après un hiver… Mes débuts se sont faits à petite échelle, donc je n’ai rien contre les apiculteurs amateurs, mais il est vraiment important qu’ils mènent cette activité avec le plus grand sérieux. Sinon, d’autres apiculteurs en subiront les conséquences… Je ne me suis pas lancé dans l’élevage de porcs, car je n’ai aucune connaissance en la matière. C’est pareil avec les abeilles ! »

D’après Sanne Nuyts

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