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La savonnerie Habeebee: des produits de beauté créés en équilibre et avec la complicité des abeilles

Il y a peu, j’ai rencontré Alexia Van Innis, la fondatrice de Habeebee, petite entreprise proposant des produits de beauté à base de cire d’abeille et de propolis. Dans son petit magasin situé à Boitsfort, elle m’a expliqué la genèse de son projet et surtout, l’apiculture sur laquelle il se fonde, une apiculture de papy du dimanche comme elle aime à le dire mais qui, selon elle, respecte d’avantage le cycle naturel des abeilles et lui a permis de trouver un certain équilibre.

Temps de lecture : 8 min

Le parcours professionnel d’Alexia a toujours été lié aux abeilles. Il a débuté à l’étranger, avec Miel Maya, dans l’accompagnement de coopératives de miel et café. « J’ai travaillé pendant près de 7 ans en Amérique centrale et du Sud sur des projets d’apiculture et de commerce équitable. C’était une première expérience très enrichissante et humaine mais, j’ai fini par en faire le tour et je suis rentrée en Belgique avec déjà la pleine conscience que j’avais des envies d’entreprenariat et que le travail dans une structure présentait certaines limites pour moi ». À son retour, Alexia s’investit néanmoins dans un nouveau job, toujours autour des abeilles, chez Beeodiversity : « Cette nouvelle étape m’a un peu plus prouvé que je ne me sentais pas tout à fait à ma place dans le modèle « employé » et que certaines choses ne me parlaient pas dans la gestion conventionnelle des abeilles. Je suis une idéaliste et je ressentais le besoin de développer un modèle qui m’épanouisse mais que je puisse aussi transmettre à mes enfants. Je savais que les abeilles étaient de merveilleux outils et que je pouvais y arriver avec elles ».

Ce qui a touché et inspiré Alexia, c’est de se rendre compte qu’il existait une autre apiculture, plus adaptée à l’apiculteur du dimanche, celui qui a mal au dos, qui n’a pas besoin de 100 kg de miel mais juste du bonheur des abeilles et d’un peu de miel dans son jardin.
Ce qui a touché et inspiré Alexia, c’est de se rendre compte qu’il existait une autre apiculture, plus adaptée à l’apiculteur du dimanche, celui qui a mal au dos, qui n’a pas besoin de 100 kg de miel mais juste du bonheur des abeilles et d’un peu de miel dans son jardin. - François de Ribaucourt

La rencontre coup de cœur

C’est à cette époque qu’Alexia rencontre Magali, une pharmacienne ayant déjà travaillé sur des produits à base de propolis : « Notre passion commune pour les produits de la ruche nous a rassemblées. Ça a été un véritable coup de cœur. Pendant près de 2 ans, nous avons œuvré à l’élaboration du projet avec- Magali vivant au Maroc- des allers-retours entre la Belgique et le Maroc mais aussi de nombreuses rencontres d’apiculteurs dans d’autres pays. On avait une page blanche devant nous et il nous restait à combiner nos profils, l’idéaliste et entrepreneuse que j’étais avec la rêveuse et perfectionniste qu’était Magali. Nous avions envie d’exprimer les matières de la ruche, d’aller plus loin que le miel et trouver la plus belle des apicultures. Notre duo a été porteur car, à chaque fois que je croyais qu’on y était, Magali poussait l’histoire plus loin. Aujourd’hui, je suis seule à la tête d’Habeebee mais, si le projet est si complet, c’est grâce à notre histoire à deux ».

« L’apiculture horizontale n’est ni conventionnelle, ni tout à fait naturelle, c’est juste une belle relation entre l’homme et l’abeille qui répond à un besoin, celui de l’apiculture belge. »

L’apiculture d’Habeebee

L’une des bases d’Habeebee a été la recherche d’une apiculture respectueuse des abeilles et des apiculteurs. « Un jour, j’ai perdu toutes mes ruches et j’ai pris conscience que je faisais de l’apiculture sans me poser de questions. Je pense que c’est le cas de 90 % des apiculteurs en Belgique. On travaille, comme dans de nombreux domaines, comme on nous l’apprend et, on ne va pas plus loin car ce n’est pas toujours évident de remettre en perspective notre manière de faire. En tout cas, ça ne l’a pas été pour moi ».

Alexia se rend compte qu’elle n’est finalement pas très douée pour cette apiculture et qu’elle a du mal à comprendre cette méthode plus interventionniste. « Ça ne me semblait pas très logique par rapport au cycle naturel des abeilles. En Belgique, la majorité des apiculteurs possèdent uniquement quelques ruches. Pour avoir le plaisir de quelques abeilles dans son jardin et un peu de miel, l’apiculture conventionnelle/productiviste n’est pas toujours la plus adaptée. À l’époque, je me retrouvais avec mes 200 kilos de miel, je ne savais pas gérer cela. Si j’ai perdu mes abeilles, c’est très certainement car elles ont eu faim. On parle beaucoup des pesticides qui fragilisent les écosystèmes mais, en apiculture, les premiers problèmes sont la perte de biodiversité et le type d’apiculture qu’on fait. Quand tu as travaillé au Mexique et que tu vois l’urbanisation et le béton ici, tu comprends vite que le manque de biodiversité joue un rôle de premier plan. De même, si tu ne maîtrises pas ton art, les abeilles en meurent. Laissons donc ça aux professionnels et contentons-nous d’une apiculture plus familiale. Ce sont les rencontres avec des personnes qui fonctionnaient différemment qui nous ont montré qu’il existait d’autres possibilités. Nous sommes tombées amoureuses de la ruche horizontale, dite kényane. Le concept est sans doute idéaliste car ce n’est pas avec cette ruche que tu vas produire du miel en quantité mais, elle répond aux principes d’Habeebee ».

Dans la nature, le véritable cadeau des abeilles est la cire qu’elles produisent.
Dans la nature, le véritable cadeau des abeilles est la cire qu’elles produisent. - François de Ribaucourt

Les abeilles construisent leurs cires

Le premier principe d’Habeebee est de ne pas ajouter de cire gaufrée : « On leur apporte la cire pour qu’elles travaillent plus vite mais ce n’est pas vraiment logique. Pour la communication entre les abeilles, le varroa… c’est n’est pas l’idéal. Ça a un côté très productiviste et notre intérêt n’est de toute façon pas dans le miel, même si je pense qu’il faut quand même en faire un peu, c’est toujours une histoire d’équilibre à trouver. On laisse donc les abeilles construire leur cire, c’est beaucoup plus beau et inspirant de les voir faire naturellement. Dans la nature, les cires qu’elles abandonnent sont notre véritable cadeau ».

Le miel : beaucoup pour elle, un peu pour nous

Un autre principe d’Habeebee est le fait de ne pas -ou presque pas – enlever de miel aux abeilles : « Le miel est leur nourriture et leur médicament, on ne leur retire pas pour le remplacer par du sucre ou du sirop ensuite. Je pense que cette pratique joue un rôle dans la mortalité des abeilles. Du coup, quand la finalité n’est pas la production de miel, pourquoi le faire ? Avec la ruche kényane, on collecte juste le miel après l’hiver, quand les abeilles sont bien reparties ou alors quand on rétrécit la ruche. Ça ne représente que 2 à 8 kg de miel plutôt que 20 à 40 k par an. C’est beaucoup moins productiviste mais, pour une apiculture familiale, c’est chouette et suffisant finalement ».

« La ruche s’adapte à toi, tu peux observer, intervenir ou ne rien faire. »

La ruche kényane : belle, pédagogique et pratique

La ruche kényane a été adoptée par Habeebee car elle répondait à ces principes fondamentaux mais aussi pour sa beauté, son caractère pédagogique et sa praticité : « C’est un vrai objet. La beauté, c’est quelque chose qui nous inspire aussi chez Habeebee. Elle est aussi très pédagogique. Elle est munie d’une fenêtre latérale qui permet de maximiser l’observation et minimiser l’intervention. On peut faire beaucoup juste en voyant ce qui se passe à travers cette vitre et on ne dérange pas la colonie qui dépense déjà beaucoup d’énergie à créer son environnement. Elle est à hauteur de travail, il n’y a pas de hausses à porter, on doit juste ajouter des barrettes au printemps ou les retirer avant l’hiver. On peut prendre les barrettes qu’il faut après une miellée et récupérer le miel dans sa cuisine, sans gros boulot de récolte ou de matériel très particulier. La ruche s’adapte à toi, tu peux observer, intervenir ou ne rien faire. Cette apiculture n’est ni complètement naturelle, ni conventionnelle, c’est juste une belle relation entre l’homme et l’abeille et ça répond à un besoin, celui de la majorité des apiculteurs belges ».

On peut qualifier la ruche kényane d’engagée. « On peut véritablement parler d’apiculture naturelle. On n’a rien à faire, ou presque. Il s’agit de placer quelques barrettes. Les abeilles font leurs gaufres de cire toutes seules ».
On peut qualifier la ruche kényane d’engagée. « On peut véritablement parler d’apiculture naturelle. On n’a rien à faire, ou presque. Il s’agit de placer quelques barrettes. Les abeilles font leurs gaufres de cire toutes seules ». - François de Ribaucourt

La communauté d’habeebeeculteurs et la collaboration

Un troisième principe de la petite entreprise repose sur la distanciation des ruches : « Pour la biodiversité et les ressources disponibles, il n’est pas bon d’installer trop de ruches au même endroit. Les abeilles essaiment naturellement, on est donc parti sur la même idée de maillage naturel, avec des ruches à droite et à gauche et on a décidé d’inviter les particuliers, écoles et entreprises à participer à notre type d’apiculture. Nous avons créé une communauté d’habeebeeculteurs autour de la ruche kényane ». Ainsi Habeebee propose une formation payante. Les participants suivent plusieurs cours avec, entre autres, les apiculteurs rencontrés par Alexia lors de la création de son entreprise. Les formations sont données dans les jardins des membres de la communauté et les nouveaux arrivants peuvent bénéficier du soutien d’Habeebee pour leur installation. « On échange régulièrement via un groupe de discussion, des lettres d’information. Des formatrices sont aussi à leur disposition et on peut les aider via des achats groupés de matériel mais, après, ils sont tout à fait autonomes. Les habeebeeculteurs nous laissent le seul véritable résidu, la cire. Ils nous la déposent ou nous l’envoient et, en échange, ils bénéficient de réductions sur nos produits ». La communauté compte aujourd’hui près de 120 membres.

Habeebee valorise la cire et la propolis d’abeilles pour en faire des produits de soin du quotidien.
Habeebee valorise la cire et la propolis d’abeilles pour en faire des produits de soin du quotidien. - François de Ribaucourt

Du savon au soin visage

L’habeebeeculture n’est pas le moteur économique de l’entreprise : « Je ne gagne rien là-dessus et notre bénéfice est strictement lié à la cire et la communauté qui nous porte. Mais, pour le reste, il ne faut pas se mentir, l’objectif est quand même d’être rentable. Ça a été l’un de mes objectifs ces dernières années. C’est bien d’avoir des rêves mais il y a aussi la réalité, il me fallait trouver un modèle d’entreprise qui réponde à la société d’aujourd’hui et demain ». Habeebee propose une dizaine de produits : des savons, du shampoing, un soin visage, pour le corps, les lèvres… Ceux-ci sont faits à base de propolis et/ou de cire, les deux matières que l’on peut récolter sans déranger les abeilles. Ces deux éléments de bases sont associés à des huiles essentielles ou des éléments adaptés aux femmes enceintes ou bébés. La majorité des soins sont élaborés dans l’atelier d’Habeebee : « Ce n’est pas ce qu’on avait prévu au départ mais, suite à des rencontres avec des savonniers, on s’est retrouvé à faire nos produits nous-mêmes. Ça a commencé dans notre cuisine. Nos produits sont le fruit de beaucoup de réflexions et d’une bonne collaboration ». Les soins Habeebee sont distribués dans 300 points de vente.

Aujourd’hui, Alexia pose un regard serein sur son projet en accord avec ses principes et ses besoins : « Mon parcours a été jalonné de défis mais aussi de beaucoup d’apprentissages. Je suis fière des valeurs que nous défendons et de la stabilité acquise », conclut-elle.

D. Jaunard

L’élaboration du projet Habeebee est passée par plusieurs chemins. « Il n’était par exemple pas prévu que nous fabriquions les produits nous-mêmes mais, nos rencontres ont fini par nous mener à cela », explique Alexia van Innis.
L’élaboration du projet Habeebee est passée par plusieurs chemins. « Il n’était par exemple pas prévu que nous fabriquions les produits nous-mêmes mais, nos rencontres ont fini par nous mener à cela », explique Alexia van Innis. - François de Ribaucourt

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