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La chevauchée des vaches qui rient

« La Vache qui rit »’ a fêté ses cent ans ce 16 avril 2021 ! Sa bonne bouille rouge, ses jolies boucles d’oreilles et son sourire éclatant ont traversé les décennies, exemple parfait d’un marketing réussi au-delà de toute espérance, pour le meilleur… et pour le pire !

Temps de lecture : 4 min

Le 16 avril 1921, le Jurassien Léon Bel déposa la marque « La Vache qui rit » à l’Office de la Propriété Industrielle en France. Cette appellation vient d’un jeu de mots. Pendant la guerre 14-18, ce monsieur faisait partie d’un régiment chargé de ravitailler les tranchées françaises. En guise d’emblème, un troufion plein d’humour et d’imagination proposa de moquer les « Walkyries » chères aux Allemands, trois divinités guerrières de la mythologie germanique rendues célèbres par leur chevauchée dans l’opéra (1856) de Wagner. Les Walkyries, qui décidaient de l’issue des batailles et de la mort des guerriers, devinrent des « wachkyries ». Comme en France, « w » se prononce « v », l’emblème du régiment représenta donc une vache qui rit, et cette image fut rachetée par Léon Bel pour illustrer sa marque de fromage industriel. Il lui dessina un sourire moins carnassier, la colora en rouge, la féminisa en lui accrochant deux boucles d’oreille, constituées justement de boîtes de « La Vache qui rit » mises en abyme ! Le mythe était né ; il allait traverser le 20e siècle comme une fleur, sans prendre une ride, en vendant des millions et des millions de portions !

À l’époque, en 1921, les fromageries étaient fermières et artisanales. Mais déjà, en 1911, le chimiste allemand Friz Settler avait inventé un procédé industriel pour fabriquer en grande quantité du fromage fondu, à partir de sous-produits de fromageries traditionnelles (emmental, comté, gouda, cheddar, gruyère…), en y ajoutant du beurre, des matières grasses végétales et animales, des protéines de lait, du lactosérum, sans oublier bien entendu des sels de fonte : polyphosphates, citrates, diphosphates, phosphate de sodium, sel NaCl. Le tout -miam miam, rien que du bon!!- était fondu et malaxé en une pâte homogénéisée, laquelle pouvait être conditionnée en grosses portions, en petits triangles, en fines tranches…, et se conservait très longtemps. Ce système convenait parfaitement pour ravitailler les armées ou les collectivités, par exemple. Le fromage fondu de Léon Bel, avec sa bonne bouille sympathique, inaugurait sans tambour ni trompette l’ère de l’agro-industrie alimentaire triomphante ! À ses débuts, la chevauchée des « vaches qui rient » démarra au petit trop ; les « wachkyries » allaient prendre le mors aux dents après la seconde guerre mondiale, pour arriver au grand galop jusqu’à nous, telle une tornade qui balaie tout ! « La Vache qui rit » a aujourd’hui beaucoup de petites sœurs, de « délicieuses » petites choses peu chères bourrées d’arômes artificiels, de colorants, d’exhausteurs de goût, d’émulsifiants, de conservateurs…

Quand on y réfléchit bien, sous des dehors drôles et avenants, « La Vache qui rit » était potentiellement une vraie tueuse, une walkyrie pour les artisans et les petits fermiers qui affinaient eux-mêmes leurs fromages. Bien évidemment, elle n’a jamais rivalisé avec les produits de terroir, encore heureux, mais sa success story a initié un mouvement irréversible, vers une transformation industrielle des aliments. Bien qu’éminemment sympathique, « La Vache qui rit » est avant tout un fromage industriel, ne l’oublions pas, et qui dit industrie, dit mort de l’artisanat et de la paysannerie… Et justement, comme un fait exprès, le lendemain de ce centenaire remarquable, ce 17 avril, on commémorait les 25 ans du meurtre au Brésil de 19 paysans du « Mouvement des travailleurs ruraux sans terre », par des tueurs à la solde de grands propriétaires. Leur seule faute avait été de revendiquer un peu d’espace pour cultiver de quoi se nourrir, via une réforme agraire. En mémoire de cet assassinat, les membres de Via Campesina ont déclaré le 17 avril « Journée mondiale des luttes paysannes ». Partout dans le monde, les agriculteurs paysans sont écrasés par les rouleaux compresseurs de la modernisation à marche forcée, de l’industrialisation aveugle et de la globalisation des échanges commerciaux et culturels. Rappelons que les paysans constituent encore plus de la moitié de la population mondiale ! La vache qui rit chez nous ; des peuples qui pleurent ailleurs…

La chevauchée des vaches qui rient est menée par les Cavaliers de l’Apocalypse Capitaliste : finances, industries, globalisation, numérisation. Les paysans mourront tous écrasés sous leurs sabots…

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