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Quel comportement de développement adoptent les rameaux de la vigne après une gelée printanière?

L’épisode gélif que nous avons connu en ce début avril nous rappelle combien la météo peut impacter les cultures, notamment fruitières et viticoles. Un tel phénomène s’est également produit l’année dernière, en mai, alors que les vignes se trouvaient à un stade particulièrement sensible de leur développement. À cette occasion, le Carah a observé et analysé comment les différents cépages de son vignoble expérimental réagissent face à ce stress. Voici les principaux enseignements de ces observations.

Temps de lecture : 6 min

Le gel printanier est particulièrement craint par les arboriculteurs et les viticulteurs. Ce risque est encouru dans beaucoup de régions du monde et dépend à la fois de l’intensité et de la durée de l’épisode de gel, ainsi que du stade de développement de la plante. En effet, les bourgeons dormants de la vigne en hiver peuvent résister à des températures très basses (-15ºC) alors que ces mêmes bourgeons à un stade plus développé, lorsque les premières feuilles sont sorties, montrent des dégâts de gel dès que les températures sont très faiblement négatives (< -0.5ºC) (figure 1).

Figure 1: sensibilité de la vigne au gel en fonction de son stade de développement.
Figure 1: sensibilité de la vigne au gel en fonction de son stade de développement.

La conséquence majeure du gel printanier est une perte de rendement pouvant être très importante ainsi qu’un décalage de la période de croissance allant jusqu’à la vendange.

Deux scénarios de reprises suite à un épisode de gel

Chez la vigne, les yeux latents conservés lors de la taille d’hiver sont en réalité des complexes de bourgeons protégés par des écailles. Ils sont constitués d’un bourgeon primaire, mais aussi de bourgeons secondaires et même tertiaires (figure 2). Ces ébauches de rameaux portent déjà, à une échelle microscopique, les futures grappes ayant été initiées durant l’été précédent. Ce qui signifie que les futures inflorescences sont déjà présentes dans les bourgeons depuis l’année précédente. On parle de grappes « préformées ».

Figure 2: structure schématique des yeux latents chez la vigne.
Figure 2: structure schématique des yeux latents chez la vigne.

Habituellement, ce sont les bourgeons primaires qui se développent au printemps suite au débourrement. Ils portent généralement une à deux inflorescences (variable selon le cépage et leur position sur le sarment). Ce sont les plus fructifères, ils se développent les premiers et, si aucun autre incident ne survient, le développement des bourgeons secondaires et tertiaires sera inhibé.

Deux scénarios de reprise de la végétation suite au gel ont été observés (figure 3). Dans le premier, les rameaux primaires ont été totalement détruits. La vigne peut alors réagir en les remplaçant par le développement des bourgeons secondaires. On parle parfois de « contre-bourgeons » ou « double bourres ». Ces derniers sont néanmoins souvent moins fructifères et portent généralement moins de grappes préformées, ce qui engendre une perte partielle de rendement.

Figure 3: schématisation simplifiée des réactions de la vigne suite à des dégâts de gel sur jeunes pousses.
Figure 3: schématisation simplifiée des réactions de la vigne suite à des dégâts de gel sur jeunes pousses.

Dans le deuxième scénario, les rameaux primaires n’ont été que partiellement détruits (lorsque seul l’apex du rameau primaire est détruit, par exemple). L’inhibition corrélative des bourgeons axillaires est alors levée, ce qui engendre le développement anticipé de nouvelles branches latérales n’ayant pas d’inflorescences préformées, ce qui signifie que la quasi-totalité de la récolte sera alors perdue.

Deux critères majeurs : la résistance au froid et l’état d’avancement

Le vignoble expérimental du Carah, à Ath, est composé de 27 cépages différents dont 23 ont été plantés en 2016. En 2020, lors de sa cinquième année de croissance, le vignoble a connu un épisode de gel printanier la nuit du 11 au 12 mai à un stade particulièrement sensible puisque tous les cépages avaient débourré et leurs inflorescences sur les rameaux primaires étaient bien visibles (stades BBCH entre 51 et 55).

La température nocturne est descendue entre -0,3ºC et -1,1ºC pendant trois heures engendrant des dégâts considérables. En moyenne, tous cépages confondus, sur l’ensemble de la parcelle, 87 % des jeunes pousses présentaient des dégâts de gel soit partiels, soit totaux (figure 4).

Figure 4: dégâts de gel sur jeunes pousses de Dornfelder (photo prise le 12 mai 2020, par le Carah, à Ath).
Figure 4: dégâts de gel sur jeunes pousses de Dornfelder (photo prise le 12 mai 2020, par le Carah, à Ath).

Les dégâts de gel ont été quantifiés pour chaque cépage. Pour ce faire, sur chaque individu (22 individus par cépage, 10 bourgeons par individu), le nombre de rameaux partiellement ou totalement détruits par le gel a été comptabilisé, ainsi que le nombre d’inflorescences ayant résisté à cet épisode de gel ou néoformées sur les nouveaux rameaux.

Nous avons observé que les cépages les moins touchés par cet épisode de gel étaient l’Hélios, le Régent, le Pinot Meunier, le Monarch et le Seyval blanc avec entre 34 et 21 % de rameaux intacts. Par contre, les cépages Chasselas, Rondo, Pinot blanc et Pinot noir présentaient le plus de dégâts avec entre 95 et 98 % de rameaux détruits.

Ces résultats s’expliquent, d’une part, par la résistance intrinsèque du cépage face au froid, mais également par l’état d’avancement de sa phénologie au moment du gel. Ainsi, le cépage le moins impacté par le gel est l’Hélios qui est également le cépage au débourrement le plus tardif dans la collection du Carah.

Qu’en est-il des inflorescences, et donc des grappes ?

Nous nous sommes ensuite intéressés au nombre d’inflorescences présentes sur les rameaux primaires, sur les rameaux secondaires et sur les entre-cœurs qui se sont développés à la suite de l’épisode de gel. En effet, ce sont ces inflorescences qui vont déterminer le nombre final de grappes qui intéresse le viticulteur. Ceci nous a permis de quantifier la fertilité moyenne générale de chaque type de rameaux.

Sans surprise, les rameaux les plus fertiles sont issus des bourgeons primaires, quand ceux-ci n’ont pas été détruits par le gel, avec en moyenne 1,4 grappe par rameau, tous cépages confondus. Quant aux rameaux secondaires et entre-cœurs qui se sont développés suite à la destruction partielle ou totale du rameau primaire, ils présentaient en moyenne 0,6 et 0,2 grappe respectivement ( figure 5 ).

Figure 5: nombre moyen d’inflorescences observées sur les différents rameaux.
Figure 5: nombre moyen d’inflorescences observées sur les différents rameaux.

La perte de fertilité globale de ces rameaux est donc réduite de 56 % pour les bourgeons secondaires et de 83 % pour les entre-cœurs par rapport aux bourgeons primaires. Ces observations montrent que vu le très faible nombre de grappes produites par les entre-cœurs, il est préférable de favoriser le développement des bourgeons secondaires en cas de dégâts partiels de jeunes pousses (sauf si les grappes ne sont pas atteintes). Ceci peut être réalisé par une coupe rase des jeunes pousses, dans le but de forcer le démarrage des bourgeons secondaires plus fertiles. C’est le seul cas où une intervention de taille est justifiée.

En plus de la perte nette de rendement, la production de grappes issues des bourgeons secondaires et des entre-cœurs se trouve décalée dans le temps, ceci se répercutant jusqu’à la vendange. En climat septentrional froid, ces nouvelles grappes peuvent alors atteindre plus difficilement leur pleine maturité.

Il est également intéressant de savoir que la fertilité des bourgeons secondaires est variable selon les différents cépages (figure 6). Dans nos observations, les cépages Pinot Meunier et Seyval blanc présentaient le nombre le plus important de grappes sur les rameaux secondaires mais avec de fortes variations entre individus. Ceci permet de mieux comprendre la meilleure résilience de certains cépages face à des aléas climatiques ainsi que d’orienter les moyens de lutte en fonction des cépages.

Figure 6: fertilité des bourgeons secondaires en fonction des différents cépages. Résultats portant sur l’observation de 22 pieds par cépage en 2020.
Figure 6: fertilité des bourgeons secondaires en fonction des différents cépages. Résultats portant sur l’observation de 22 pieds par cépage en 2020.

Julien Louvieaux, Alix Rollinat, Anouck Stalport et Olivier Mahieu

Cellule Technique Viticole, Carah

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