La croisade des enfants de la terre
En 1212 se mit en marche un mouvement inouï, absolument stupéfiant pour cette époque sombre et violente du Moyen-Âge : la mythique et légendaire Croisade des Enfants ! On en parle très peu dans les livres d’histoire : quelques lignes entre les expéditions sanguinaires des Godefroid de Bouillon, Frédérick Barberousse, Saint Louis, Richard Coeur de Lion… Censées délivrer le tombeau du Christ à Jérusalem, les croisades menées par l’Occident échouèrent toutes à atteindre un objectif durable. Querelles entre royaumes, politiques menées à court terme, égoïsme et individualisme des nobles, piraterie, pillages et massacres abominables, les États les plus riches et les plus « civilisés » ne parvinrent jamais à mener à bien une tâche pourtant à leur portée.
Cela ne vous évoque-t-il rien ? En 2021, rien de nouveau sous le soleil de Satan : les grandes puissances mondiales échouent gravement à se coordonner en ordre de bataille pour lutter contre les grands maux de ce 21e siècle : changements climatiques, injustices Nord-Sud, catastrophes humanitaires, racisme et exclusions, épuisement des ressources naturelles, saccages écologiques, conflits armés, etc, etc. La pandémie de Covid-19 a bénéficié d’une attention davantage collective, tant la menace était grave et concrète, avec toutefois de déplorables distorsions de traitement entre régions du monde, selon leur richesse et leur niveau de développement. La campagne de vaccination illustre le manque désespérant de solidarité Nord-Sud ! Chez nous, elle progresse à pas de géant ; dans les pays pauvres, elle peine à démarrer, faute de moyens. On leur refile des médicaments sans grand intérêt, et les vaccins les moins prisés.
En 1212, l’échec de leurs dirigeants incita des « enfants » de France et d’Allemagne à essayer de régler eux-mêmes le problème. Ces « enfants » (« pueri ») étaient en réalité des pauvres gens, des invisibles, des sans-droit, pour la plupart adolescents, filles et garçons. Ils répondaient à l’appel d’aller libérer la Terre Sainte, lancé par des illuminés fous de Dieu. Deux colonnes de plusieurs dizaines de milliers de « croisés » partirent ainsi à pied pour Jérusalem, armés de leurs seules croyances, vêtus misérablement et sans aucune nourriture, en chantant des cantiques et récitant des psaumes tout au long de leur cheminement. Les grandes villes riches les chassaient sans pitié hors de leurs murs ; les paysans des campagnes leur donnaient du pain et des légumes, puisant dans leurs maigres réserves pour soutenir cette Croisade des Enfants. Le brigandage et les dangers de la route, la malnutrition, les maladies et l’épuisement coûtèrent la vie à 90 % d’entre eux ; les survivants se dirigèrent vers la Méditerranée, persuadés qu’elle allait s’ouvrir comme la Mer Rouge devant les Hébreux de Moïse fuyant l’Égypte. Le miracle n’eut point lieu -tu m’étonnes !- et les « enfants » s’embarquèrent sur les navires d’un « généreux » capitaine qui acceptait de les aider, mais qui vendit les filles à des maisons closes et les garçons comme esclaves à Alexandrie ! Ainsi s’acheva la désastreuse et pitoyable Croisade des Enfants, moquée par les puissants et pleurée par les paysans. Le Diable en rit encore !