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Fin des baux écrits nés avant le 1er janvier 2020: que dit la jurisprudence actuelle des Juges de paix?

Il est intéressant de poursuivre la réflexion émise voici quelques semaines par Maître Grégoire au sujet de l’application de la nouvelle loi sur les baux à ferme aux baux existants avant son entrée en vigueur, soit avant le 1er janvier 2020.

Temps de lecture : 4 min

C e qu’il faut essentiellement remarquer, c’est que les dispositions transitoires de la nouvelle loi (c’est-à-dire la façon de régler l’application de la nouvelle loi aux baux nés avant son entrée en vigueur) sont tellement imprécises qu’elle laisse beaucoup de juristes dans le flou.

Les premiers litiges ont été entamés dans le courant de l’année 2020 et plaidés au début de l’année 2021.

Les premiers jugements viennent à peine d’être rendus.

Trois décisions différentes !

À notre connaissance, trois jugements ont été rendus ces dernières semaines, par diverses Justices de Paix.

Incroyable mais vrai, pas une seule des trois décisions n’est identique alors même que les problématiques soumises aux trois juges sont exactement les mêmes, et qu’il soit retenu que rien ne peut être reproché aux juges tant la loi qu’on leur demande d’appliquer est imprécise : il s’agissait de confirmer ou infirmer l’application du nouvel article 4 de la loi (les baux se renouvellent à trois reprises, donc comptent 4 périodes maximum) aux baux écrits nés avant le 1er janvier 2020 (la problématique des baux oraux est différente puisque, sur ce point, les dispositions transitoires de la nouvelle loi sont claires en ce sens que le bail oral est présumé rentrer dans sa 3e période d’occupation à partir du 1er janvier 2020).

Le premier Juge de Paix a décidé qu’un bail écrit, né en 1986, n’était pas soumis au nouvel article 4 : autrement dit, même si, en janvier 2020, il avait déjà vécu ses 4 périodes de 9 ans, il pouvait se poursuivre éternellement.

Le second Juge de Paix a décidé l’inverse : un bail écrit ayant vécu, au 1er janvier 2020, ses 4 périodes est considéré comme terminé au 1er janvier 2020 par arrivée du terme.

Enfin, le troisième Juge de Paix a retenu le même raisonnement que le second, en prenant toutefois soin de préciser que la différence de traitement entre les titulaires de baux écrits et les titulaires de baux verbaux ne se justifiait pas et était « anticonstitutionnelle » : le dossier a été renvoyé devant la Cour Constitutionnelle pour vérifier la concordance de la loi avec les articles 10 et 11 de la Constitution, c’est-à-dire les articles qui garantissent l’égalité de traitement entre les citoyens se trouvant dans une situation identique.

Dans le sens de l’applicabilité de la loi nouvelle

Les praticiens de la matière attendent encore plusieurs décisions, dans d’autres dossiers non encore tranchés, dont on peut déjà dire, au vu de l’expérience tirée des trois décisions ci-avant citées, qu’elles iront tantôt dans un sens, tantôt dans un autre.

Il semble toutefois qu’un courant se dégage dans le sens de l’applicabilité de la loi nouvelle aux baux écrits anciens, comme l’ont décidé les deux derniers juges de paix et, du reste, comme le pensaient bon nombre de spécialistes de la matière lors de la présentation de la nouvelle loi.

Incertitude et opacité inadmissibles

Cette « incertitude » est évidemment problématique, pour ne pas dire inadmissible, essentiellement pour les parties à un contrat de bail à ferme qui ne savent sur quel pied danser.

Il est assez symptomatique de noter que, dans la perspective de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, il fut dit et redit par nos instances politiques que la loi nouvelle allait rééquilibrer la relation contractuelle entre les preneurs et les bailleurs.

Force est de constater qu’elle ne fit rien de tout cela mais que, par contre, elle jeta une opacité importante sur la fin (ou pas) de nombre de baux, ce qui, du reste, aurait pu être évité si les rédacteurs de la loi avaient pris soin de consulter les habitués de la matière en amont (juges de paix, notaires, avocats pratiquant le droit rural…).

On notera enfin que la problématique abordée par ces quelques lignes est loin d’être la seule que la nouvelle loi n’a pas réglée, voire que la loi a créée : quid de la constitutionnalité du nouveau congé pour vendre libre d’occupation (art. 6§4) apparemment réservé aux baux écrits et exclus pour les baux verbaux, quid de la notion de date certaine évoquée par le nouvel article 55…

Seul l’avenir nous dira comment ces problématiques seront « solutionnées » mais, vu le délai de traitement des dossiers à la Cour Constitutionnelle, il n’est pas impossible que l’on ne sache sur quel pied danser avant un ou deux an(s)…

À moins que, comme il se chuchote dans les cercles les plus autorisés, le parlement wallon ne pense déjà à prendre l’initiative d’une nouvelle réforme censée modifier une loi à peine entrée en vigueur voici 15 mois : espérons que pareille réforme, si elle a lieu, ne détricotera pas davantage les droits des fermiers que d’aucuns souhaiteraient voir privés des cessions privilégiées et autres baux de durées importantes…

Henry Van Malleghem

, Avocat au Barreau de Tournai

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