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Que comprendre de l’évolution chiffrée de la filière ces dix dernières années?

La crise de la Covid-19 a mis en exergue les évolutions de prix significatives que connaît la filière viande bovine en Région wallonne depuis la fin du printemps 2020. Fait suffisamment rare, le prix carcasse est en effet passé à 5,45 €/kec fin mai 2021, soit une hausse de 0,75€ en un peu plus d’1 an. Les producteurs élus au Collège des Producteurs ont été interpellé par ces fluctuations, et en ont fait le thème de leur 13e assemblée sectorielle.

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D’entrée de jeu, Jean-Paul Dubois, directeur de la traçabilité à l’Arsia, a tiré les principaux enseignements tirés des statistiques basées sur les données Sanitel de ces 10 dernières années.

Diminution du potentiel

de production

Sans grande surprise, sur les 10 dernières années le nombre de détenteurs bovins a fortement diminué.

Selon les données de l’Arsia, le nombre de bovins viandeux est passé de 850.000 à 700.000 en Wallonie. En troupeau mixte, cette forte diminution se fait aussi ressentir (120.000 à 90.000 bovins mixtes). Au niveau national, on parle d’une diminution de 20 % du cheptel viandeux, avec la même tendance pour la Wallonie que pour la Flandre.

Il a ensuite été analysé si on percevait une différence d’évolution par catégories d’âges, entre les bovins adultes et les veaux, afin d’avoir une bonne estimation du potentiel de production. Les catégories d’animaux adultes suivent en effet la même tendance à la baisse.

Si on analyse le nombre de naissances entre 2010 et 2020, on est passé de 350.000 à 300.000 veaux viandeux et mixtes. Ce qui représente une baisse d’environ 14 % et signifie qu’il y a 50.000 animaux en moins qui arrivent dans la filière par rapport à 2010. Les données confirment également que la Flandre produit beaucoup plus de veaux de boucherie que la Wallonie, ce qui n’est pas une surprise. Par contre, le nombre de veaux de boucheries est resté stable dans les 2 régions du pays depuis 2010.

On voit donc en toute logique que les nombres d’animaux reproducteurs et de vaches allaitantes diminuent. Cette évolution concerne aussi bien la Wallonie que la Flandre. L’analyse des effectifs par province confirme cette tendance similaire sur l’ensemble des provinces wallonnes. Cette diminution du cheptel et forcément du nombre d’animaux adultes, induisent donc un potentiel de production revu à la baisse.

Forte diminution des animaux à robe bleue et/ou blanche

Faute de données exhaustives sur les effectifs des races viandeuses, on peut estimer des tendances d’évolution selon les robes de l’animal, encodées par les éleveurs.

Pour les animaux à robe bleue et/ou blanche (principalement des blanc-bleus), une diminution importante d’environ 40 % sur une échelle de 10 ans a été épinglée en Wallonie. A contrario, sur l’effectif plus petit que représentent les animaux à robes brunes et grises (races françaises viandeuses, quelques races laitières également), la tendance est inverse : une augmentation du nombre de bovins de 40 %. Les robes bleues et/ou blanches restent toutefois bien majoritaires dans le cheptel wallon.

Ces estimations ne sont pas très précises mais elles permettent une estimation des tendances d’évolution des races bovines en Wallonie.

Des perspectives favorables pour l’engraissement

L’Arsia dispose aussi de données de déclaration de sorties de troupeau, ce qui permet d’avoir une idée du taux d’animaux qui ont été engraissés sur la ferme dans laquelle ils sont nés. Grâce à ces données, on remarque qu’environ 20-25 % des animaux viandeux et mixtes mâles sont nés et engraissés en circuit fermé (sur la même ferme) en région wallonne. Une proportion environ équivalente serait engraissée en Wallonie dans une autre ferme que celle où ils sont nés. Ces données laissent augurer qu’il existe une marge de progression possible pour l’engraissement en Région wallonne, notamment dans des fermes d’élevage pour réaliser l’engraissement des animaux nés et élevés sur la ferme.

Evolution des données d’abattage

Dans un deuxième temps, la Cellule wallonne de contrôle Classement des Carcasses, CW3C, s’est intéressée aux données des abattoirs wallons.

Il en a été retenu que les volumes d’abattages wallons (abattoirs situés en Wallonie ne veut pas dire animal né en Wallonie) ont augmenté sur une période de 10 ans, passant de 168.000 à 216.000. Ces chiffres concernent les abattoirs soumis au contrôle des carcasses, à savoir ceux qui abattent plus de 75 gros bovins par semaine en moyenne. Cette augmentation peut s’expliquer en partie par l’installation d’EuroMeat Group à Mouscron en 2016.

La proportion des taurillons S a diminué sur une échelle de 10 ans tandis que la proportion des vaches viandeuses (S et E) à elle augmenté. La proportion de réformes laitières a aussi augmenté soutenue par la demande pour l’industrie alimentaire et le fast-food. Des effets saisonniers de légère décapitalisation ne sont pas à négliger non plus en fonction des prix et des réserves de fourrages pour les vaches de réformes.

Il est intéressant de remarquer que les tendances d’abattage sont différentes en Flandre (baisse du nombre d’abattages de taurillons et taureaux assez marquée) même si ce point n’a pas été développé lors de cette assemblée.

Evolution des prix et de la consommation

Dans un 3e temps, Quentin Legrand, chargé de mission au Collège des producteurs, a partagé son analyse croisée du suivi des prix aux producteurs et de l’évolution de la demande des consommateurs. Comment expliquer cette évolution ? Est-ce une bonne nouvelle pour les éleveurs ? Quels ont été les principaux facteurs d’influence sur le prix ?

Sur base des prix de marchés officiels belges publiés sur le Portail de l’Agriculture wallonne, il ressort que pour les animaux bien conformés (S et E, principalement des blanc-bleus), les prix carcasses ont fort augmenté depuis le confinement, ce qui n’est pas le cas pour les animaux moins conformés (U et R).

A la fin mai, le prix a atteint 5,45€ / kg carcasse pour les taurillons AS2, alors qu’on était descendu à 4,70€ / kg carcasse juste avant la crise de la Covid-19. Ce qui représente une hausse du prix du marché de 75 centimes sur près d’un an. En comparaison sur les 4 années précédentes, le marché affichait un prix relativement stable, sous les 5€.

Pour les vaches (catégorie D), on observe également une hausse de prix, plus lissée. La hausse des prix observée en taurillons mâles s’observe aussi en vaches (S et E), même si elle a été beaucoup plus régulière et plus faible sur un an. Les vaches S2 sont cotées à 5,20€ / kg carcasse et les E2 à 4,70€ / kg carcasse.

Concernant l’analyse des prix pour les bovins vivants, on voit que les évolutions (hausse et baisse) sont les mêmes que sur les carcasses sur une échelle de 10 ans ; ce qui confirme un bon lien entre les prix des carcasses et celui des animaux vivants, que ce soit en mâles ou en femelles. Les prix ont donc également augmentés depuis le début de la crise du Covid-19.

Forte augmentation du prix de l’alimentation animale

Ensuite, en comparant l’évolution sur 15 ans du prix carcasse et celui du prix de l’alimentation animale – sur base du ratio simplifié de la viande bovine calculé par le SPF économie –, il ressort que si les éleveurs touchent plus pour un taurillon ou une vache de réforme en 2021 qu’il y a un an, l’engraissement coûte aussi beaucoup plus cher suite à l’augmentation du coût des aliments concentrés, des céréales et de la paille.

L’index calculé par le SPF économie suit l’évolution du coût d’un kilo de croissance pour un bovin à l’engraissement depuis 15 ans et le compare au prix de vente des animaux (en kg carcasse). Le ratio simplifié montre qu’en 15 ans le rapport entre prix des aliments pour l’engraissement et prix de vente des bovins viandeux s’est dégradé et que l’embellie de prix de vente observée depuis par les éleveurs est fortement atténuée par l’augmentation du coût de l’alimentation. En cause, les conséquences de la sécheresse et la loi de l’offre et demande sur le marché des céréales, des protéagineux et de la paille. Ce ratio simplifié s’est donc dégradé sur les 15 dernières années.

Par ailleurs, ce ratio ne tient pas compte d’autres postes de coûts qui ont probablement augmentés durant la même période (investissements mobiliers et immobiliers, frais vétérinaires, carburants, etc.).

Changement dans les lieux de consommation

La viande bovine est relativement plus consommée à l’extérieur du domicile que les autres viandes. En effet, 1/3 des fréquences de consommation ont lieu au restaurant ou lors de repas festifs. Avec l’arrivée de la Covid-19, les confinements, et les restrictions, il y a eu une forte modification des lieux de consommation. La proportion de viande consommée à la maison a donc fortement augmenté entraînant un déplacement de la consommation de la restauration hors domicile (Horeca, collectivités et évènementiel) vers les GMS, boucheries et la vente directe.

La crise rappelle aussi l’importance de valoriser l’offre bovine belge  au travers de l’horeca qui constitue un enjeu stratégique pour la filière.
La crise rappelle aussi l’importance de valoriser l’offre bovine belge au travers de l’horeca qui constitue un enjeu stratégique pour la filière. - DenisProduction.com - stock.adobe.com

Cela a entraîné une augmentation de demande pour des animaux mieux conformés, une baisse de la demande en pièces nobles et une hausse de la demande de haché. La modification de l’équilibre matière lié entraîne une pression à la baisse sur la valorisation de la viande bovine. En effet, le fragile équilibre matière a été affaibli pendant les confinements, suite à une demande très importante en viandes de type « haché », face à une demande plus faible pièces nobles (qui trouvent plus facilement leur place dans l’Horeca).

Changement dans les canaux d’achat

Bien qu’ils perdent des parts de marché au profit des hard-discounters et des superettes de quartier, les supermarchés et hypermarchés traditionnels conservent leur place de numéro 1 des lieux d’achat de la viande bovine, avec 38 % parts de marché. Avec la crise, la croissance des supérettes de quartier s’est renforcée, tandis que les boucheries ont perdu 5 % du total du volume de vente en 5 ans, passant à 19 % des ventes en volume (tout en conservant presque 23 % des parts en valeur).

Diminution globale de la consommation de viande

La consommation de viande bovine a diminué ces 10 dernières années en Belgique, mais elle reste stable sur les 5 dernières années et se situe aux environs de 10kg de viande commercialisable par an et par personne sur base des données de bilan d’approvisionnement.

Le choc de la pandémie renforce les évolutions structurelles

La diminution de production nationale ces dernières années, est certainement influencée par la baisse du cheptel épinglée au travers des données de l’Arsia. En Wallonie, les abattages ont augmenté, mais au niveau national, on voit une diminution du nombre total d’abattages. Par ailleurs la balance commerciale en bovins vivants s’est dégradée ces dernières années (en équivalent carcasse et en tenant compte des troupeaux laitiers et des veaux de boucheries également).

Cette diminution structurelle de la production corrélée à l’arrivée du virus, a complètement redistribué les cartes en termes de circuits de commercialisation et cela a entraîné une tension sur le marché des animaux bien conformés (mâles et femelles). En conséquence, cela a induit une hausse rapide et significative du prix de ces animaux.

La crise rappelle aussi l’importance de valoriser l’offre bovine belge au travers de l’horeca qui constitue un enjeu stratégique pour la filière : même avec sa fermeture, la demande en viande bovine locale ayant temporairement augmenté lors du 1er confinement.

Certaines questions restent toutefois en suspens : quels seront les effets dans le temps de ces tendances une fois la période covid passée ? comment va évoluer le prix aux éleveurs dans les mois et années qui viennent ?

Une chose est sûre, la rentabilité pour les éleveurs et autres acteurs de la filière reste un enjeu majeur même avec la hausse de prix des derniers mois !

D’après Marie Poncin et Quentin Legrand

Collège des Producteurs

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