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L’azote pourrait limiter le développement de l’agriculture biologique à l’échelle mondiale

Dans un article paru dans Nature Food, des chercheurs de l’Inrae estiment que le monde pourra difficilement aller au-delà de 60 % de surfaces bio, en raison des besoins en azote des cultures. Une transition qui supposera déjà de revoir en profondeur notre alimentation et les systèmes d’élevage.

Temps de lecture : 4 min

Le déploiement mondial de l’agriculture biologique pourrait être limité par un manque d’azote, indique une équipe de recherche de l’Institut national de la recherche agronomique et de Bordeaux Sciences Agro en France.

« Nous voulions contribuer au débat sur la manière dont l’agriculture biologique pourrait nourrir le monde », résume Sylvain Pellerin, chef adjoint du département Agroecosystem de l’Inrae et co-auteur de l’article récemment paru dans Nature Food.

Dans cette analyse, les chercheurs ont utilisé un modèle maximisant les calories produites sur des mailles de 100 km2, en fonction de l’assolement et des ressources en azote. Grâce à ce modèle, les auteurs ont pu analyser une trentaine de scénarios prévoyant des niveaux allant de 20 à 100 % de surface entièrement gérée en mode biologique. Résultat de ces simulations : pour nourrir 7,3 milliards d’habitants, il sera difficile de dépasser 60 % de surface agricole utile convertie.

« La plupart des études montrent que les rendements en bio sont 20 % plus faibles qu’en conventionnel, mais elles se basent sur des essais aux champs, dans lesquels la ressource en azote est toujours supposée disponible », poursuit Sylvain Pellerin. Or, souligne-t-il, à mesure que le modèle bio – qui exclut le recours aux engrais de synthèse – se développera, la compétition sera plus forte pour les fertilisants organiques, qui pourraient au final manquer. Un horizon encore lointain, alors que seul 1,4 % de la Surface agricole utile mondiale serait actuellement converti d’après les chiffres de 2016.

Réduire de 94 % les monogastriques

Dans chaque maille géographique, le modèle optimise seul le nombre d’animaux, en fonction des fourrages produits par l’assolement. Atteindre 60 % de bio au niveau mondial, souligne l’article, supposerait « une refonte du système d’élevage », avec notamment une réduction drastique du nombre de monogastriques de près de 94 %, en raison de leur compétition pour des céréales consommables par l’homme, et une division par deux du nombre de gros bovins.

« Au total, en termes de ruminants, nous conserverions le même effectif, puisque le modèle prévoit une forte augmentation des petits ruminants qui valorisent bien les fourrages des prairies et des rotations bio », détaille Pietro Barbieri, auteur principal de l’étude. En plus de la restructuration du cheptel, détaille-t-il, sa distribution géographique devrait également être revue, pour faire revenir des ruminants dans les systèmes céréaliers. « L’un des résultats importants, c’est que pour optimiser la production agricole bio, il faut malgré tout garder des animaux », souligne Sylvain Pellerin.

L’étude fait plusieurs autres hypothèses ambitieuses sur l’adoption de régimes alimentaires moins carnés, la réduction du gaspillage alimentaire, et sur la possibilité d’utiliser des sources d’azote complémentaires dans les cultures biologiques, comme les fumiers conventionnels ou des boues d’épuration. « Le monde du bio est encore assez réticent sur ces ressources, mais il sera obligé d’y recourir, non seulement pour l’azote, mais aussi pour le phosphore », dit Pietro Barbieri, évoquant des études à paraître sur cet autre élément indispensable aux plantes.

Les leviers de progrès

Selon les chercheurs, la surface mondiale en bio pourrait éventuellement aller au-delà de ce plafond des 60 % avec le progrès technique et agronomique. « Il y a encore une marge de manœuvre sur les cultures intermédiaires, ou sur la sélection. C’est un argument récurrent : les variétés actuelles ont été créées dans un monde où l’azote n’était pas limitant.»

Un autre levier de progrès, complète Pietro Barbieri, serait à aller chercher du côté des légumineuses. Les simulations de l’analyse prennent bien en compte celles imposées par les rotations biologiques, notamment en matière de fourrage, mais les assolements pourraient aller encore plus loin, estime-t-il. « Nous n’avons pas encore de chiffre, mais nous travaillons sur de nouveaux scénarios dans ce sens », confie le chercheur.

Si l’exercice, souligne Sylvain Pellerin, demeure « virtuel », il appuie les constats des professionnels. « Les résultats sont contingents à nos hypothèses, mais les conclusions demeurent robustes. Comme les agriculteurs bio le reconnaissent eux-mêmes : trouver de l’azote compatible avec l’agriculture biologique sera de plus en plus difficile. »

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