Accueil Filière bois

Perfectionner ses connaissances et modifier ses pratiques, les clés pour faire évoluer son verger

Durant les six dernières décennies, les connaissances nécessaires à la pratique de l’arboriculture fruitière ont connu une évolution fulgurante. C’est notamment le cas des savoirs relatifs aux systèmes de conduite des vergers et au contrôle des bio-agresseurs, deux points cruciaux lorsque l’on se lance dans pareille activité.

Temps de lecture : 11 min

Dans la première partie de cet article (lire notre édition du 20 mai), nous avons commencé l’inventaire des domaines techniques de l’arboriculture fruitière dont l’évolution considérable au cours des 50-60 dernières années a amené les arboriculteurs professionnels et amateurs à perfectionner constamment leurs connaissances et à modifier leurs pratiques.

Après avoir évoqué le facteur « sol », le climat et le matériel végétal (espèces, variétés et sujets porte-greffe), nous aborderons ici la conduite des arbres et arbustes, et leur protection contre la multitude d’organismes qui se révèlent nuisibles pour eux.

De nombreuses évolutions pour les systèmes de conduites

C’est incontestablement le domaine technique de l’arboriculture fruitière qui a le plus évolué au siècle dernier, de manière fondamentale, très rapidement après la guerre 1940-1945. On a assisté à une intensification des vergers professionnels, c’est-à-dire à une production de fruits dans des plantations denses où les arbres sont de dimensions réduites et dont la durée de vie économique est courte : maximum une vingtaine d’années pour les pommiers et 10 à 15 ans de plus pour les poiriers.

Il y a eu une tendance à augmenter encore la densité en plantant des lignes doubles ou multiples accolées, séparées par un espace de circulation. On est actuellement revenu en général à des plantations en rangs simples à une densité approximative de 1.850 à 2.650 arbres/ha.

Dans ces systèmes à basse tige, la forme des arbres est le fuseau étroit (ou fuseau élancé) dont la hauteur ne dépasse pas 3 m. L’existence de sujets porte-greffe de faible vigueur est la base de cette intensification : Malling 9 et Malling 27 pour les pommiers et cognassier Malling C pour les poiriers. Pour les cerisiers, des sujets porte-greffe aussi faibles ne sont apparus que plus tardivement. Ce changement de la forme de la couronne a forcément amené de profondes modifications de la taille fruitière.

De l’extensif (ci-dessus) à l’intensif (ci-dessous) grâce aux nouveaux sujets porte-greffe pour cerisiers.
De l’extensif (ci-dessus) à l’intensif (ci-dessous) grâce aux nouveaux sujets porte-greffe pour cerisiers.

cerisier_intensif

On peut dire qu’après les années 1960, la plus grande part des vergers professionnels extensifs de pommiers et poiriers avait disparu de notre paysage rural, sauf dans le Pays de Herve, et les cerisiers dans la Hesbaye limbourgeoise. Dans ce divorce entre arboriculteurs et éleveurs, chacun trouvait son compte. Les premiers, reconvertis en vergers intensifs, ont une fructification plus régulière, des rendements bien meilleurs et des fruits de plus grande valeur commerciale ; et les seconds, dans des prairies sans arbres, une production d’herbe plus abondante.

Contrairement à ce qui a été souvent dit et écrit, les primes d’arrachage d’arbres de la fin des années 1960 n’ont joué qu’un rôle mineur dans ce processus : rappelons qu’elles étaient de 7,5 € par arbre, puis de 10 € par arbre, mais alors avec interdiction de replanter des arbres fruitiers !

  Plantations intensives ou extensives ?

Pour les amateurs, le choix entre plantations intensives ou extensives dépend de plusieurs facteurs : en premier lieu la disponibilité en espace. On constate en effet que la surface moyenne des jardins des constructions nouvelles tend à diminuer, et que la part réservée aux espaces de loisirs et d’ornement augmente. Dans ce cas, seuls des arbres qui occuperont chacun un espace faible (5 à 10 m² par exemple) sont envisageables. Si la surface disponible est plus importante, d’autres systèmes peuvent être envisagés : hautes-tiges ou demi-tiges ou chaque arbre doit disposer d’au moins un are.

Un autre élément important à considérer est le contexte familial et l’âge du jardinier principal : un petit arbre sur SPG faible produit dès la troisième année, et pendant au moins une quinzaine à une vingtaine d’années, tandis qu’un arbre-tige doit édifier sa charpente pendant une dizaine d’années en fructifiant peu puis, s’il est bien entretenu, il produira pendant une quarantaine d’années pour les pruniers, et un siècle pour les cerisiers, pommiers et poiriers, c’est-à-dire pour les générations futures.

De plus, l’exécution des différentes opérations culturales est plus simple en verger basse-tige, et il est erroné de croire que des arbres-tige demandent moins de travail si on veut les entretenir correctement et assurer leur longévité.

Pour les pommiers, le choix entre hautes et basses tiges peut dépendre aussi des variétés choisies : certaines variétés anciennes greffées sur un SPG faible semblent souffrir d’une alimentation minérale déficiente en calcium qui se traduit par la présence de points liégeux bruns dans la chair des fruits.

  Quand opter pour les arbres-tiges ?

Les plantations d’arbres-tige se justifient cependant dans des systèmes mixtes comme de l’agroforesterie ou en association avec de l’élevage (moutons, bovins, chevaux, etc.) en considérant que les arbres fruitiers sont un complément et non l’activité principale de l’entreprise. Des créations de vergers haute-tige diversifiés, véritables collections d’anciennes variétés ont aussi lieu dans le cadre de parcs naturels régionaux ou d’« écomusées » où ils rappellent les modes de culture traditionnels, et où ils contribuent à la préservation des paysages.

La valorisation de leurs fruits se fait alors selon les anciennes traditions : peu de consommation de fruits frais, des usages culinaires variés et différents procédés de transformation, où l’on peut constater l’importance du choix des variétés idéales, différentes pour chaque produit.

  En verger commercial

Pour des plantations commerciales futures, dont la durée de vie économique est de l’ordre d’une vingtaine d’années, le choix des variétés est toujours difficile à faire en raison des variations de la demande et d’effets de mode. Il devient évidemment plus compliqué encore si les arbres sont destinés à une vie plus longue. Ceci explique que dans le passé des regreffages (= sur-greffages) d’autres variétés ont été parfois conseillés et pratiqués sur des arbres qui avaient une valeur commerciale amoindrie, plutôt que de procéder à des arrachages avec replantation. Le retour plus rapide à une bonne fructification permettait de contourner la phase juvénile.

Le cycle physiologique annuel des arbres et arbustes

À partir du milieu du 19ème  siècle, les connaissances relatives au fonctionnement des plantes fruitières se sont améliorées grâce à l’activité des botanistes et des chimistes. Les facteurs qui influencent le cycle physiologique annuel ont été de mieux en mieux connus, permettant un meilleur contrôle du comportement des arbres et une gestion plus efficace des plantations.

Veiller à maintenir une charge en fruits équilibrée est essentiel.
Veiller à maintenir une charge en fruits équilibrée est essentiel.

Nous n’en retiendrons que quelques exemples : la dormance et sa levée, le rythme de croissance des tiges et racines, leur ramification, la nutrition minérale et la physiologie des fruits après récolte. Mais on pourrait en citer beaucoup d’autres encore tout aussi importants : l’induction florale, la floraison et la fécondation, l’éclaircissage, la chute de juin ainsi que la croissance des fruits.

Les études portant sur la physiologie des fruits après la récolte se sont développées dans l’entre-deux-guerres, en vue d’améliorer leur conservation. Parallèlement le développement technologique des équipements a permis de mettre en pratique ces connaissances nouvelles afin de prolonger la durée de conservation et d’améliorer la qualité commerciale des fruits. Ce furent en premier lieu le froid, puis la modification de l’atmosphère des chambres froides contrôlée par l’électronique puis par l’informatique, ainsi que le traitement chimique des fruits après récolte par trempage, pulvérisation ou thermo-nébulisation.

Connaître et contrôler les bio-agresseurs

Ce domaine de l’arboriculture fruitière est à la fois très vaste, ardu et d’une importance primordiale. Les bio-agresseurs des espèces fruitières sont très nombreux, appartenant aux règnes animal ou végétal. La liste est à la fois très longue et mouvante, et la nuisibilité de certains peut varier au fil du temps suite à des variations du climat, à des introductions accidentelles ou à des interventions humaines provoquant des ruptures de certains équilibres naturels.

La majorité des insectes et cryptogames bio-agresseurs étaient bien connus dès la seconde moitié du 19ème  siècle. En ce qui concerne les bactéries et les virus, il fallut attendre le développement de la microbiologie au 20ème  siècle pour mettre au point un contrôle efficace.

La lutte contre le puceron lanigère du pommier repose notamment  sur le parasitisme par l’ Aphelinus mali .
La lutte contre le puceron lanigère du pommier repose notamment sur le parasitisme par l’ Aphelinus mali .

Dans un premier temps, au 19ème  siècle, on a fait appel largement à la chimie minérale : cuivre, soufre, plomb, arsenic… ou à des dérivés de plantes : par exemple la nicotine et, plus tard, la pyréthrine. Vinrent ensuite plusieurs familles de produits organiques : organo-chlorés, organo-phosphorés, carbamates et d’autres encore.

Cet ensemble de produits avait l’avantage d’être efficaces, mais aussi le défaut d’avoir un large spectre d’action ; leur absence de sélectivité entraîne des effets secondaires non désirables, comme des ruptures d’équilibres naturels entre organismes utiles ou nuisibles dans les vergers. Les produits réellement sélectifs se comptent sur les doigts d’une seule main.

Le fait qu’une grande partie des produits anciens de protection des plantes est à utiliser en prévention entraîne une répétition des traitements, dont une partie se révélera avoir été inutile.

Une prise de conscience des risques que présente l’utilisation de certains produits pour l’environnement et pour la santé des utilisateurs et des consommateurs s’est faite jour dans les années 1960, notamment avec la publication du livre de Rachel Carlson : « Le printemps silencieux ».

  Réduire l’utilisation des pesticides

Le souhait de réduire l’utilisation de pesticides, mais sans perte quantitative ou qualitative de production s’est développé. Ainsi sont nés, d’une part, le concept de « seuil de nuisance » qui impose de ne traiter que lorsque celui-ci est dépassé, et, d’autre part, le concept de « lutte intégrée » où chaque intervention doit être coordonnée avec d’autres sans qu’il y ait d’inconvénients. Cette nouvelle stratégie est mieux comprise du grand public si on la dénomme « lutte raisonnée ».

Dans ce système, le recours à des moyens non chimiques, comme différents organismes dits « auxiliaires » est privilégié lorsqu’ils existent. Ceux-ci agissent par prédation (= ils se nourrissent du bio-agresseur) ou par parasitisme (= ils se développent dans le corps du bio-agresseur). Ils peuvent être présents dans le verger après y avoir été introduits, puis s’y être multipliés. Ils peuvent aussi y être présents spontanément ; c’est assez souvent le cas après quelques années dans des vergers d’amateurs qui ne reçoivent pas de traitements chimiques, et où apparaît un certain équilibre naturel.

Parmi les premières applications efficaces de ces stratégies, on peut citer la lutte contre le puceron lanigère du pommier (parasitisme par l’ Aphelinus mali ) et la lutte contre les acariens (prédation par différents autres acariens). Le recours à des auxiliaires et leur persistance dans le verger supposent évidemment de s’abstenir de toute intervention qui aurait des effets secondaires négatifs pour eux.

À partir des années 1970, les stratégies de lutte reposant sur le piégeage d’insectes grâce à des phéromones sexuelles attractives produites par synthèse ont été un énorme progrès pour la lutte contre certains insectes nuisibles. Grâce à leur sélectivité, elles peuvent être utilisées pour avertir du début et de la fin d’un vol, pour un piégeage massif ou pour créer de la confusion dans une population de ravageurs. Pour certains insectes, le recours à des mâles stérilisés est envisagé mais se heurte encore à un coût trop élevé.

  Réaliser un inventaire des nuisibles

Le recours à des seuils de nuisance dans la prise des décisions a amené la nécessité de réaliser tout au long de l’année et dans chaque parcelle un inventaire permanent des organismes nuisibles. Il a fallu que les arboriculteurs apprennent à les reconnaître et à les dénombrer selon des procédures bien précises : époques, lieux et façon de rechercher, identifier les agents en cause, etc. Des techniques d’identification de certains insectes en vol par la fréquence de leurs battements d’ailes sont à l’étude : elles permettraient de faciliter les recensements.

On parle aussi d’utiliser l’odorat de chiens afin de détecter des arbres malades : la méthode est utilisée en ce qui concerne le chancre bactérien des agrumes. De manière générale, elle peut s’appliquer aux virus et aux bactéries, beaucoup moins aux insectes.

  Rechercher et trouver un équilibre naturel

Par la suite est né un concept plus large, défini par plusieurs chartes ou cahiers des charges plus ou moins restrictifs : on parle alors de « production fruitière intégrée » ou de « vergers éco-responsables » par exemple où non seulement la lutte est intégrée, mais on y intègre aussi tous les autres éléments qui concourent à la production fruitière afin de se rapprocher de plus en plus des conditions naturelles (voir encadré).

Depuis la fin du 20ème  siècle, un vaste programme de réduction du nombre de produits de protection des plantes pour les professionnels et de suppression totale pour les amateurs est engagé. Pour les professionnels, il complique fortement la lutte contre certains bio-agresseurs ; pour les amateurs qui utilisaient pourtant certains produits de manière respectueuse des prescriptions, il leur reste « leurs yeux pour pleurer ».

Pour les uns comme pour les autres, la recherche d’un équilibre naturel entre nuisibles et auxiliaires a donc gagné en importance. Dès à présent, au départ, le choix du site, son microclimat et les aménagements à y apporter pour l’améliorer, le choix judicieux du matériel végétal… doivent être réfléchis davantage. Ensuite, le suivi des cultures au jour le jour demande davantage de connaissances et d’attention si on veut obtenir un résultat satisfaisant.

Depuis peu, et dans l’avenir, le développement de toutes sortes de substances qui stimulent les défenses naturelles des plantes de différentes manières est un secteur plein de promesses.

Devant les craintes exprimées par les consommateurs à propos de résidus éventuels de produits de protection des plantes, toute la filière « fruits » a pris ses responsabilités et fait en sorte de respecter les réglementations de plus en plus contraignantes ; les progrès de la chimie analytique le confirment. Il reste aux médias, dont c’est la responsabilité, à transmettre au grand public des messages exacts, complets, et actualisés.

Ir. André Sansdrap

Wépion

A lire aussi en Filière bois

Barwal: «C’est le mariage du travail du tonnelier et du vigneron qui donne son caractère au vin»

Un savoir-faire à perpétuer La Belgique compte de plus en plus de vignerons faisant vieillir leurs vins en fûts de chêne… belge. En effet, depuis 2020, Barwal leur propose une alternative aux contenants traditionnellement français, produite en circuit court et « à la carte ». Cette particularité permet d’ailleurs à la jeune société d’accompagner et de conseiller les professionnels de la vigne dans leurs choix pour que chaque vin élaboré soit unique.
Voir plus d'articles