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L’horticulture comestible wallonne: une filière à très forte valeur ajoutée bientôt boostée par son propre plan stratégique

L’horticulture comestible wallonne fait actuellement face à de nombreux défis. Amélioration de la logistique et de la commercialisation, professionnalisation des « nouveaux » maraîchers, concurrence… n’en sont que quelques-uns. Heureusement, un plan stratégique spécialement dédié à la filière a vu le jour et doit permettre d’apporter des réponses aux problèmes rencontrés. Il a également pour objectif de booster notre taux d’auto-approvisionnement en fruits et légumes frais.

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Pommes, poires, fraises, tomates, asperges, courgettes… la filière horticole wallonne produit une multitude de fruits et légumes frais appréciés des consommateurs. Toutefois, notre taux d’auto-approvisionnement pour ces denrées ne s’élève actuellement qu’à 17 %. Cela se traduit par la commercialisation de produits issus de Flandre mais aussi de l’étranger. « Il s’agit pourtant d’une filière à très forte valeur ajoutée qui ne demande qu’à se développer », insiste Marc Schaus, chargé de mission « horticulture comestible » au Collège des producteurs.

Et de poursuivre : « Les surfaces occupées par les fruits et légumes frais sont généralement limitées mais les niveaux de rentabilité atteints sont largement supérieurs à ce qui est observé dans les filières classiques de grandes cultures ». Ce constat ne doit cependant pas masquer la complexité du secteur et les importantes difficultés vécues par les arboriculteurs et maraîchers.

« Le plan stratégique « horticulture comestible » 2018-2028 – élaboré par le Collège des producteurs, la Fédération wallonne horticole et différents acteurs de la filière – doit apporter des solutions aux problèmes rencontrés sur le terrain. En parallèle, il a l’ambition de porter notre taux d’auto-approvisionnement à 30 %. »

Une cohabitation entre de multiples acteurs

La complexité de la filière vient notamment de la diversité des acteurs qu’elle regroupe. Ainsi, à côté des arboriculteurs et maraîchers spécialisés, viennent se greffer d’autres professionnels.

« Les produits d’appels que sont les asperges vertes et les fraises attirent de plus en plus. Certains agriculteurs entrent dans la danse, de même que quelques arboriculteurs initialement spécialisés dans les pommes et les poires. Ces produits commercialisés en début de saison leur permettent de reconstituer leur trésorerie et de poursuivre l’année avec davantage de sécurité financière. »

De nombreux « nouveaux » maraîchers, dont beaucoup ne sont pas issus du milieu agricole, se lancent également dans l’aventure. « Chaque année, certains entrent dans la filière, d’autres la quittent… La plupart s’orientent vers l’agriculture biologique vu la hausse de la demande et les objectifs de production fixés par l’Europe et la Wallonie. »

Appréciées des consommateurs et typiquement de saison, les fraises constituent un produit d’appel commercialisé en début de saison permettant à de nombreux producteurs de reconstituer leur trésorerie au sortir de l’hiver.
Appréciées des consommateurs et typiquement de saison, les fraises constituent un produit d’appel commercialisé en début de saison permettant à de nombreux producteurs de reconstituer leur trésorerie au sortir de l’hiver.

Pour éviter ces départs, un des points du plan stratégique cible la formation et la professionnalisation. « Les structures d’encadrement, les centres pilotes, les stages… contribuent à l’accompagnement des nouveaux arrivants dans la filière. D’un point de vue pratique, bien sûr, mais aussi sur le plan économique. Il est important de leur rappeler que leur activité doit, avant tout, être rentable et dépend fortement du climat. Une mauvaise année climatique peut être synonyme de mauvaise année économique. »

Concurrence nationale et internationale

Différents modèles cohabitent dans la filière : agriculture bio, conventionnelle ou raisonnée ; vente en circuit court ou via les grandes surfaces… Mais tous doivent coexister dans un monde de plus en plus concurrentiel. Et Marc Schaus d’illustrer : « Des produits bio provenant des pays de l’est sont mis sur le marché belge a des prix défiants toute concurrence. Pourquoi ? Car la main-d’œuvre sur place est moins coûteuse, de même que les lois sociales. Cela biaise le marché et accentue la pression sur les épaules de nos producteurs… ».

Une certaine distorsion est également observée entre la Wallonie et la Flandre, où le soutien au secteur est nettement plus important. À titre d’exemple, les producteurs flamands reçoivent une aide financière lorsqu’ils investissent dans des buses de pulvérisation anti-dérive ou s’engagent dans la lutte bio par confusion sexuelle. En Wallonie, rien de tel n’est prévu. « Si les coûts de production au nord et au sud du pays sont différents en raison d’un soutien accru, il y a bien une sorte de concurrence qui se crée entre agriculteurs d’un même pays. »

Le Collège des producteurs et tous les acteurs de la filière s’attellent donc à la rendre plus concurrentielle. « Les structures d’accompagnement aident les maraîchers et les arboriculteurs à choisir de nouvelles variétés, à se différencier de leurs concurrents et à répondre aux attentes des consommateurs. Être conseillé est essentiel, tant pour la production que pour la commercialisation. » Ces conseils sont encore plus importants en arboriculture où toute plantation engage les producteurs pour plusieurs années.

La recherche, un élément clé pour demain

La recherche et le développement d’initiative favorisant la durabilité de la filière constituent un autre pilier du plan stratégique. Il convient également de trouver des alternatives aux produits de protection des plantes retirés du marché ou dont l’existence est menacée.

Les retraits de produits se font souvent très rapidement. Or, les producteurs aimeraient disposer d’une période de transition leur permettant de chercher et tester des alternatives avant d’être privés d’une solution ayant fait ses preuves. « Parfois, aucune alternative n’est disponible… Cela fait courir des risques financiers aux producteurs qui se retrouvent complètement désarmés face à certains ravageurs », déplore Marc Schaus. Les efforts que doit fournir le monde de la recherche sont à la fois très importants et très attendus.

La filière elle-même n’est pas pour autant inactive. Ainsi, le projet Ecophyto, porté par l’Interprofession Fruits et Légumes de Wallonie (Ifel-w), s’attelle à mettre sur pied un référentiel technique pour une production de fruits, légumes et pommes de terre recourant à une utilisation minimale de pesticides chimiques. Il vise à réduire les traitements phytosanitaires, à trouver des alternatives à certaines matières actives, à favoriser l’usage de biopesticides… sans impacter négativement les critères de qualité commerciale.

Les pratiques mises en évidence par ce référentiel doivent encore être testées sur le terrain et comparées aux itinéraires de culture classiques. « On se dirige vers une horticulture de précision, mettant en œuvre des produits spécifiques entrant dans des plans de culture très précis et demandant un haut niveau de technicité. Cela permettra de répondre au défi de la protection intégrée des cultures, voire du zéro résidu », ajoute Marc Schaus.

La recherche s’intéresse aussi aux conséquences des changements climatiques. « De nouveaux ravageurs font leur apparition dans nos campagnes mais les moyens de lutte sont inexistants, ou presque. Un important travail est mené sur la résistance variétale à ces nouveaux ennemis. Le Centre wallon de recherche agronomique conduit, par exemple, des travaux portant sur la résistance des pommiers et vergers, par le biais de son verger conservatoire. »

D’autres projets, élaborés avec les centres pilotes, s’intéressent aux légumes. C’est le cas, entre autres, des recherches menées en vue d’identifier des variétés de pommes de terre robustes caractérisées par un haut niveau de résistance à cet ennemi bien connu qu’est le mildiou.

Comment commercialiser sa production ?

Si augmenter la production et s’adapter aux attentes des consommateurs est une chose, il convient aussi de professionnaliser davantage la commercialisation et la logistique. « À ce niveau, une plus grande collaboration entre producteurs permettrait de gagner en efficacité, notamment en ce qui concerne l’approvisionnement des collectivités », insiste Marc Schaus.

En effet, l’offre en fruits et légumes wallons est parfois difficilement accessible aux cantines scolaires, homes… Il convient de leur assurer un approvisionnement constant et en quantité adéquate, ce qui est rarement envisageable lorsque l’on travaille seul. « En Flandre, les criées regroupent les producteurs et les denrées en un seul lieu, ce qui facilite grandement les achats. Les collectivités wallonnes, quant à elles, ne savent pas toujours à qui s’adresser. Cela témoigne du besoin de déployer une plateforme physique de concentration des volumes de production dans notre Région. »

Et d’ajouter : « L’accès aux grandes surfaces est également difficile. Certaines travaillent avec des centrales d’achat, d’autres se tournent directement vers les producteurs. Encore une fois, tous ne sont pas en mesure de fournir les quantités demandées… D’autant qu’il convient encore de répondre aux cahiers de charges. Une plateforme commune serait, ici aussi, la bienvenue ».

En parallèle, de nouveaux modes de commercialisation à destination des consommateurs émergent chez les maraîchers. À côté des paniers de légumes achetés à la pièce, certains développent un système d’abonnement à long terme. « En début d’année, l’acheteur s’engage pour l’entièreté de la saison et effectue le payement correspondant. Le producteur renfloue ainsi sa trésorerie au sortir de l’hiver et dispose des liquidités nécessaires à l’achat de plants, semences, matériels… » Si s’inscrire dans un tel système est sécurisant, il requiert de trouver suffisamment de consommateurs prêts à s’engager pour une si longue période.

D’autres encore donnent la possibilité aux consommateurs de cueillir eux-mêmes leurs fruits et légumes, directement dans les parcelles. Le payement s’effectue à la pièce, au poids ou encore sous forme d’abonnement. « C’est une manière de s’affranchir de la commercialisation, pour se consacrer pleinement aux cultures. Il convient néanmoins d’avoir une confiance aveugle, ou presque, envers les cueilleurs. »

Certains préfèrent opter pour le circuit court « traditionnel », avec magasin à la ferme. Ce qui demande d’endosser une casquette de vendeur, de fidéliser la clientèle, de lui proposer une large gamme de fruits et légumes à la vente… tout en assurant son métier de maraîcher ou d’arboriculteur.

Un cruel manque d’outils de transformation

Le manque d’outils de transformation vient s’ajouter aux difficultés liées à la commercialisation. C’est pourquoi ces deux aspects sont intimement liés au sein du plan stratégique 2018-2028.

Marc Schaus explique : « Les arboriculteurs transforment souvent leurs pommes et poires invendues en jus ou confiture. Mais les maraîchers, eux, ne disposent pas des outils nécessaires. La Wallonie manque cruellement de légumerie, de conserverie… Or, la transformation est génératrice de la plus-value nécessaire au développement accru de la filière. »

De l’absence d’outils découle la question du gaspillage alimentaire. Sans transformation, que faire des écarts de tri ou des invendus ?

Le glanage constitue une piste de solution. Pour les producteurs, cette pratique n’est cependant pas des plus favorables financièrement. Il est également possible de réaliser des dons à des associations en quête de denrées alimentaires, via la plateforme web « La bourse aux dons ».

Bien que vénérables, ces démarches ne permettent pas de solutionner réellement le problème. « Il est plus que nécessaire qu’une stratégie soit établie pour permettre le développement des outils nécessaires. Outre le gain de valeur ajoutée, de nombreux emplois seraient créés. »

Faciliter l’accès aux aides

Le développement de la commercialisation, de la logistique et de la transformation ne sont cependant pas possibles sans un réel soutien à l’investissement. Cet élément constitue donc un des piliers du plan stratégique.

« Les critères d’attribution des aides Adisa ne correspondent pas du tout à la réalité vécue sur le terrain, tant sur les plans économique que pratique », insiste Marc Schaus. La Fédération wallonne horticole, le Centre interprofessionnel maraîcher et le Collège des producteurs collaborent donc avec la Région wallonne en vue d’améliorer l’accès aux aides à l’investissement (notamment en adaptant les critères à satisfaire) mais aussi d’instaurer un régime d’aide spécifique aux segments horticoles.

Promouvoir les fruits et légumes wallons

Assurer la promotion des fruits et légumes est également inscrit dans le plan stratégique. « L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture a déclaré 2021 comme étant l’année internationale des fruits et des légumes. C’est dire l’importance qu’il convient d’apporter à ces denrées et à leur promotion ! »

La pastille « Fruits et légumes de Wallonie » aide les consommateurs à identifier en un coup d’œil les produits de notre région.
La pastille « Fruits et légumes de Wallonie » aide les consommateurs à identifier en un coup d’œil les produits de notre région.

En Wallonie, cette mission incombe à l’Agence wallonne pour la promotion d’une agriculture de qualité. Elle se traduit, entre autres, par sa participation à la campagne European Fraich’Force aux côtés de la France et de la Hongrie. Plusieurs actions, menées sur les réseaux sociaux et le terrain, sensibiliseront nos concitoyens à l’importance de consommer des fruits et légumes dans le cadre d’une alimentation variée et équilibrée.

La promotion de la filière est aussi assurée par l’Ifel-w qui a développé un logo aidant les consommateurs à identifier en un coup d’œil les produits de notre région. Le projet Ecophyto (lire ci-dessus) se préoccupe également de la communication auprès des enseignes de la grande distribution afin de leur faire part des efforts mis en œuvre par la filière pour réduire l’utilisation de produits de protection des plantes.

Marc Schaus approuve ces initiatives : « Le consommateur à un rôle-clé à jouer dans le développement de la filière. C’est lui qui fait pression, dicte ses envies… Il faut coexister avec lui mais aussi le sensibiliser, lui indiquer quels sont les fruits et légumes produits en Wallonie. C’est un travail d’une importance cruciale ! Si l’on souhaite atteindre un taux d’auto-approvisionnement de 30 %, il faut encourager l’offre mais aussi et surtout stimuler la demande. »

J. Vandegoor

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