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Lutte contre l’antibiorésistance: vers des élevages de volailles utilisant moins d’antibiotiques

La réduction de l’utilisation d’antibiotiques chez les poulets de chair représente un réel défi. Elle demande l’adaptation de la gestion de l’exploitation et l’adoption à différents niveaux d’autres méthodes de travail. Mais avec des mesures assez simples relatives au fonctionnement quotidien de l’exploitation, l’utilisation d’antibiotiques peut diminuer progressivement et significativement.

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Un webinaire pour éleveurs et vétérinaires actifs dans le secteur de la volaille était organisé le 10 mai passé en collaboration avec plusieurs partenaires, dont Galluvet, le Centre de connaissances relatives à l’utilisation des antibiotiques et l’antibiorésistance chez les animaux (Amcra), l’Agence fédérale pour la Sécurité de la Chaîne alimentaire (Afsca). Le webinaire a abordé, entre autres, la santé intestinale des poulets de chair et des objectifs de réduction de l’utilisation d’antibiotiques. En outre, il a abordé les moyens pratiques permettant de diminuer l’utilisation d’antibiotiques.

Un cercle vicieux en volailles

En ce qui concerne le poulet de chair, « son système digestif est très court et très efficace. S’il peu présenter des avantages, il peut être aussi à l’origine de nombreux problèmes », explique Aline Flament, vétérinaire pour la volaille chez Galluvet. « Un trouble intestinal peut rapidement déclencher un cercle vicieux. La nourriture des poulets de chair est souvent riche en protéines. Si les poulets contractent une coccidiose ou sont contaminés par des mycotoxines ou des virus, le fonctionnement de leurs intestins sera perturbé et la digestion de la grande quantité de nourriture qu’ils ingèrent sera moins bonne. Une surabondance de nutriments, propice aux bactéries Clostridium, sera présente en conséquence dans leurs intestins. »

« Si celles-ci prolifèrent, la paroi et la muqueuse intestinales seront de plus en plus enflammées et la digestion se fera encore plus difficilement. Trop de nutriments seront à nouveau présents dans les intestins et le cycle se poursuivra », continue Mme Flament.

« De nombreuses études ont déjà été menées sur la santé intestinale du poulet de chair et nous connaissons parfaitement le fonctionnement de ses intestins. Voici quelques-unes des actions que nous pouvons entreprendre pour réduire l‘usage des antibiotiques : diminuer la quantité de nourriture et en diminuer le taux de protéines, améliorer la qualité de l’eau d’abreuvement, prévenir la coccidiose et les contaminations avec des mycotoxines et des virus. Toutes ces mesures permettront d’éviter l’utilisation d’antibiotiques ; les acides, les probiotiques et prébiotiques représentent de bonnes alternatives aux antibiotiques.

Si les intestins sont enflammés, on peut ajouter par exemple des beta-glucanes, de l’acide butyrique ou des anti-inflammatoires à la nourriture ou à l’eau d’abreuvement afin d’accélérer la guérison de la paroi intestinale. Pour stimuler la digestion dans les intestins, des enzymes peuvent également être additionnés à la nourriture. Il faut tâcher de briser le cycle en cherchant avec son vétérinaire la stratégie qui convient à son exploitation.

Prévention de la coccidiose

« En Belgique, en comparaison avec les États-Unis, très peu de poulets sont vaccinés contre la coccidiose, 15 % seulement. La législation relative aux antibiotiques et aux coccidiostatiques (anticoccidiens chimiques ajoutés à la nourriture) est plus stricte aux États-Unis. Quelque 50 à 60 % des poulets y sont vaccinés durant les cycles d’été. Il est grand temps que la Belgique leur emboîte le pas car la vaccination diminue la résistance aux antibiotiques et aux coccidiostatiques.

Nombreux sont ceux qui estiment que cette vaccination est coûteuse et trop complexe. D’un certain point de vue, c’est vrai, parce que la vaccination doit se faire avec un accompagnement, en combinaison avec un programme anticoccidien adéquat administré en rotation. Mais d’un autre point de vue, ce n’est pas tout à fait exact. Parce que la vaccination contre la coccidiose permet d’utiliser moins d’antibiotiques et de diminuer ainsi de 5 % le coût de production du poulet. En outre, elle permet d’améliorer la conversion alimentaire, ce qui compense largement son prix. »

Bien démarré, c’est déjà à moitié gagné

Dans le meilleur des cas, les poulets passent en 6 semaines de 40 gr à environ 3 kg. S’il faut à un humain 2 à 3 ans pour développer une flore intestinale stable, le poulet y parvient en quelques semaines. Un départ optimal est donc crucial dans ce processus.

Éclosion dans l’élevage.
Éclosion dans l’élevage. - DEGUDAP

Pour que les poulets grandissent bien, la paroi et la barrière intestinales doivent se développer correctement. La barrière permet une bonne assimilation des nutriments et empêche que les pathogènes et les bactéries nocives traversent la paroi intestinale et pénètrent dans les vaisseaux sanguins.

En moyenne, on a 36 heures entre le moment où le premier poussin sort de l’œuf et celui où les poussins sont retirés du couvoir. On ajoute encore 12 heures jusqu’à leur arrivée à l’exploitation avicole et leur accès à la nourriture et à l’eau. À ce moment, on est 48 heures après la première éclosion. Si on rapporte cette période à celle des 6 semaines de leur vie, on se rend compte que les poulets n’ont pu manger ni boire pendant près de 5 % de leur temps de vie. Le premier retard se produit à ce moment.

Pour raccourcir ce temps de jeûne, le système d’éclosion au sein de l’élevage offre une bonne solution. Deux exploitations flamandes suivies ont pu faire baisser de 62,76 % leur utilisation d’antibiotiques grâce à ce système. Concrètement, elles ont employé ensemble 47 kg de substances actives en moins en un an, pour une capacité totale de 150.000 poulets.

Qualité de l’eau d’abreuvement

Pour Aline Flament, on accorde souvent trop peu d’attention à la qualité de l’eau d’abreuvement. Elle est cependant essentielle car les poulets boivent plus qu’ils ne mangent. « À 6 semaines, un poulet aura bu environ 6,5 l d’eau. L’hygiène des canalisations, qui peuvent rapidement présenter de nombreux problèmes, est donc primordiale. Il suffit de penser au biofilm et aux résidus de médicaments que l’on peut y trouver. Les biofilms permettent aux bactéries de se déposer dans les canalisations et d’être ainsi ingérées par les poulets.

La qualité de l’eau d’abreuvement peut être assurée en utilisant un système de traitement aux UV placé sur l’installation et par le nettoyage mécanique. C’est encore trop peu pratiqué. Pour le nettoyage mécanique, on peut utiliser le système « APIRE » (Air Pressure Impulse Rinsing Equipment). Cet appareil envoie dans les canalisations des bouchons d’air comprimé et de l’eau à haute pression en alternance. Ce qui permet de décoller et d’évacuer les dépôts subsistant dans les canalisations.

Il existe aussi un système de diffusion d’ultra-sons, Harsonic, qui empêche que la fixation des bactéries et qui peut même les tuer par les vibrations. Le principal moyen de désinfection de l’eau, et le plus aisé, est la désinfection de l’eau elle-même avec, par exemple, des peroxydes ou des dioxydes de chlore. Certains probiotiques agissent aussi sur le biofilm et freinent sa formation.

« Un des éleveurs que nous suivons s’est ainsi attaqué il y a peu à la source d’abreuvement de son exploitation, en la désinfectant et en installant un filtre UV sur le système d’eau d’abreuvement. Il n’utilise quasiment plus d’antibiotiques. »

Plan de réduction des antibiotiques de l’Amcra

En 2014, l’Amcra et ses partenaires établissaient un premier plan de réduction de l’utilisation d’antibiotiques. Ce plan comprenait 3 objectifs de réduction à atteindre pour la fin 2020. Fabiana Dal Pozzo d’AMCRA explique ce qui a été accompli jusqu’à présent.

« En 2014, nous ne disposions pas encore de données relatives à l’utilisation d’antibiotiques différenciées selon les espèces animales. Nous ne savions donc pas quel secteur utilisait quelle quantité d’antibiotiques. Pour parvenir malgré tout à suivre leur utilisation, nous nous basions sur les chiffres de vente en Belgique de tous les antibiotiques destinés aux animaux. Les données les plus récentes couvrent la période de 2011 à 2019.

Le plan visait en premier lieu une réduction de 50 % de l’utilisation totale d’antibiotiques pour la fin 2020 (par rapport à 2011). Fin 2019, la consommation avait baissé de 40,3 %. Le deuxième objectif concernait une diminution de 75 % de l’utilisation des antibiotiques d’importance critique (aussi connus sous le nom « d’antibiotiques rouges »). Cette utilisation avait déjà baissé de 77, 3 % à la fin de 2019. Le dernier objectif, s’adressant au secteur porcin, s’appliquait à l’utilisation des aliments médicamenteux comprenant des antibiotiques, qui devait diminuer de 50 %. On a enregistré fin 2019 une baisse de 71,1 % de ces aliments.

Vision 2024

La fin de l’année 2020 se profilant, dès la fin de 2019 un nouveau plan de réduction, intitulé « Vision 2024 », fut rédigé. Celui-ci comprend 4 objectifs. « Nous disposons maintenant pour l’établir de chiffres propres à chaque espèce animale. En effet, depuis 2017, le système de Sanitel-Med permet de collecter les données d’utilisation des antibiotiques au niveau de chaque élevage. Des systèmes de collecte de données privés, comme le Registre AB, rassemblent aussi ces données. En 2019, il a donc été possible de définir dans le nouveau plan un trajet de réduction par espèce animale.

Le premier objectif du plan Vision 2024 concerne donc des objectifs de réduction au niveau des élevages spécifiques à chaque espèce animale. L’objectif ? Inciter chaque exploitation à diminuer son utilisation d’antibiotiques et à suivre le trajet de réduction défini pour le secteur dont elle fait partie. Pour ce faire, on veut motiver les éleveurs en comparant leur utilisation d’antibiotiques à celle de leur secteur et en les informant du trajet de réduction les concernant. Le but final est d’avoir maximum 1 % d’utilisateurs en zone d’alarme par espèce animale fin 2024. Ces utilisateurs en zone d’alarme seront suivis et accompagnés afin qu’ils diminuent leur utilisation desdits médicaments. »

Le trajet de réduction pour la volaille

« Les éleveurs reçoivent un rapport où leur utilisation d’antibiotiques est exprimée par un indice, le BD100. Le trajet de réduction spécifie les limites qui distingueront les faibles utilisateurs (en zone verte) des utilisateurs à surveiller (en zone jaune) et ces derniers des gros utilisateurs (en zone rouge) pour l’élevage des poulets de chair jusque fin 2024 », explique Fabiana Dal Pozzo. « Ces limites consistent en deux valeurs de BD100, l’une dite de vigilance, l’autre d’action, qui auront diminué progressivement entre la date de départ du plan, le 1er janvier 2021 et sa fin, en décembre 2024. En étant informé à l’avance des futures valeurs des limites, chaque éleveur de poulet de chair peut se préparer et prendre les éventuelles mesures nécessaires pour maintenir un niveau acceptable d’utilisation des antibiotiques dans son exploitation. »

Le trajet de réduction pour les poulets de chair est soutenu par tout le secteur étant donné qu’il a été décidé dans le groupe de travail de l’Amcra où tous les maillons du secteur ainsi que les autres parties concernées étaient représentés. Des trajets de réduction de l’utilisation d’antibiotiques au niveau des élevages ont également été fixés pour les secteurs des porcs et des veaux de boucherie pour la période 2021-2024.

Pour pouvoir appliquer le trajet de réduction pour les poulets de chair aussi bien dans les rapports de Registre AB que dans ceux de Sanitel-Med, il a été nécessaire d’adapter la méthode de calcul dans le Registre AB pour la volaille : au lieu de procéder au calcul avec des courbes de poids, on utilise maintenant les poids standards estimés lors du traitement (1 kg pour les poulets de chair). Ainsi, un grand pas a été accompli dans l’uniformisation entre les rapports du Registre AB et ceux de Sanitel-Med pour les éleveurs de poulets de chair. Cela ne pourra qu’améliorer la clarté des rapports de benchmarking et donc leur interprétation et l’application de leur enseignement dans la gestion de l’exploitation.

Objectifs généraux pour 2024

« Grâce aux trajets de réduction destinés aux différents secteurs animaux, nous devrions réussir d’ici fin 2024 à faire baisser l’utilisation globale d’antibiotiques en Belgique de 65 % par rapport à 2011, et à rejoindre l’utilisation médiane d’antibiotiques en Europe. Actuellement, la Belgique se situe encore parmi les utilisateurs les plus importants d’antibiotiques en Europe.

Nous avons également fixé un objectif concernant la colistine, un antibiotique d’importance critique parmi les plus prioritaires pour la médecine humaine. Son utilisation devra être limitée d’ici fin 2024 à maximum 1 mg par kg de biomasse. Cet objectif peut être atteint notamment en n’utilisant jamais cette substance active comme médicament de premier choix. Son utilisation doit être justifiée par un diagnostic correct.

Le dernier objectif vise l’utilisation des aliments médicamenteux comprenant des antibiotiques. Celle-ci a déjà diminué de manière appréciable, mais nous voulons atteindre une baisse de 75 % d’ici fin 2024 », conclut F. Dal Pozzo.

D’après Sanne Nuyts

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