Une diversification en poules pondeuses bio

Retour à Lontzen, près d’Eupen, chez ces 2 jeunes exploitants de 28 et 26 ans qui nous avaient ouverts les portes de leur exploitation laitière dans le cadre de la foire agricole de Battice en 2019 (voir notre édition du 30/8/2019). Ils viennent d’ajouter une corde à leur arc en démarrant un élevage de poules pondeuses bio. Mais avant d’aborder cette nouvelle activité, rappelons brièvement leur parcours.

Installation

Tous deux issus du milieu agricole, B. et M. Lahaye Corstjens reprennent une exploitation laitière hors cadre familial en 2017, après avoir travaillé quelques années dans le secteur para-agricole à l’issue de leur formation agricole. Les exploitants louent une quarantaine d’hectares autour de la ferme (bail de carrière jusqu’en 2060) et 45 ha à une petite dizaine de kilomètres. Le troupeau laitier compte 120 vaches Holstein. Une dizaine de Jersey avaient aussi été achetées au Danemark mais leur nombre est aujourd’hui réduit car elles produisent moins de matière utile que les Holstein et ont la même valeur dans le calcul pour la liaison au sol.

Production laitière, logement et alimentation du troupeau

La production laitière moyenne est de 9.700 l/vache à 4,13 % de MG et 3,37 % de protéines. Le lait est livré à la laiterie Socabel à Walhorn et une petite partie est transformée en glaces à l’exploitation. L’exploitante choisit les taureaux et insémine les vaches. Le suivi de fertilité par échographie est réalisé par le vétérinaire d’Elevéo. Le jeune bétail est gardé à l’étable jusqu’à 14 mois pour éviter les problèmes de parasites.

Côté alimentation, les vaches pâturent dans les prairies autour de l’exploitation ; l’éleveur pratique le pâturage tournant avec clôture électrique déplacée quotidiennement. L’hiver, la ration se compose de 25 kg d’ensilage d’herbe, 10 kg d’ensilage de maïs, 10 kg de pulpes surpressées et 1,5-2kg de correcteur à base de soja, colza, maïs et orge. Les hautes productrices reçoivent des concentrés au DAC en début de lactation.

Le cheptel laitier est logé dans une stabulation libre à logettes avec système de raclage. L’étable est en bois avec des filets brise vent, ce qui permet luminosité et ventilation dans l’étable. Le bâtiment est couvert de 128 panneaux solaires. Il est équipé d’un DAC et de suivi de troupeau avec détection des chaleurs, mesure de l’ingestion et de la rumination.

La volaille comme diversification

« L’idée de se diversifier dans la production de volailles a germé dès janvier 2018, soit à peine un an après la reprise de l’exploitation », explique Bertrand Lahaye. « Au départ nous voulions développer un élevage de poulets bio mais la rentabilité dépendait des primes perçues et nous ne voulions pas baser un projet sur des primes. L’engraissement de poulets conventionnels ne correspondait pas à notre philosophie car en volailles, les différences entre élevage conventionnel et bio sont importantes », poursuit l’éleveur. C’est ainsi qu’ils se sont tournés vers l’élevage de poules pondeuses bio, une spéculation qui pouvait être rentable sans primes. Après 2 ans de réflexion et de nombreuses visites d’élevages, la décision est prise et un contrat est signé avec Avibel en juillet 2020. Cette société achète les œufs à prix garanti à chaque ronde, garantit le prix de l’alimentation, fournit les poulettes et assure l’encadrement de l’éleveur. « En élevage bio, l’offre reste en corrélation avec la demande », explique notre hôte. Les contrats permettant la construction de nouveaux poulaillers ne sont passés avec les agriculteurs que si la demande d’œufs bio est assurée à l’avenir. Un nouveau contrat est signé à chaque ronde. Le prix des œufs et de la farine sont ainsi fixés et connus avant d’entamer la production, une différence de taille avec la production laitière où le prix du lait n’est connu que le 10 du mois suivant la livraison, déclare l’éleveur.

« Cette nouvelle diversification, c’est un peu le troisième pied au tabouret », poursuit-il. On en revient au modèle d’exploitation d’il y a 40 ans dans les fermes de la région. Les agriculteurs avaient des laitières mais aussi d’autres spéculations comme des porcs ou la transformation du lait. On est conscient qu’on perd en efficience dans le travail car traire 20-30 vaches supplémentaires ne nécessitait pas d’investissement supplémentaire mais cette spéculation confère plus de sûreté et de viabilité à notre exploitation.

En bio, l’offre reste en adéquation avec la demande. Les contrats garantissant l’achat des productions et permettant la construction des bâtiments ne sont passés avec les agriculteurs que si la vente des produits est assurée pour l’avenir.
En bio, l’offre reste en adéquation avec la demande. Les contrats garantissant l’achat des productions et permettant la construction des bâtiments ne sont passés avec les agriculteurs que si la vente des produits est assurée pour l’avenir.

Penser le bâtiment

La demande de permis pour la construction du poulailler a été introduite en juillet 2020 et obtenue fin novembre 2020. Les exploitants ont opté pour un bâtiment simple (51m sur 24) pouvant accueillir deux lots de 3.000 pondeuses. Pour des raisons sanitaires, le bâtiment est en béton, avec bardage bois à l’extérieur. Le poulailler, sur caillebotis et sans volière, est séparé en deux dans la longueur, un lot à gauche l’autre à droite. Chaque lot dispose de son parcours extérieur, clôturé avec un grillage de 1,5 m et 2 fils électriques pour éviter les attaques de renards. La densité dans le bâtiment est de 6 poules/m² et à l’extérieur chaque animal dispose de 4 m² de parcours. Vu la conception du bâtiment, les lots ne peuvent pas être alternés. Le poulailler est géré en « tout plein tout vide » pour que les 2 lots aient les mêmes origines, ce qui réduit les risques sanitaires.

L’éleveur apprécie la facilité d’usage de l’ordinateur qui gère tous les paramètres de l’élevage. Les données enregistrées sont nombreuses et doivent être bien interprétées.
L’éleveur apprécie la facilité d’usage de l’ordinateur qui gère tous les paramètres de l’élevage. Les données enregistrées sont nombreuses et doivent être bien interprétées.

Aménagement des poulaillers

En bio, le cycle naturel d’élevage est respecté. Les poules disposent de lumière naturelle grâce à des fenêtres et d’une ventilation naturelle via des entrées d’air « ventil » et une faîtière ouverte. Les trappes permettent d’accéder au parcours extérieur. Quand le temps le permet, elles y ont accès dès 10 h du matin et jusqu’à la tombée du jour. Les perchoirs (18cm par poule), les nids et les lignes d’alimentation et d’abreuvement sont installés au-dessus des caillebotis. La majorité des fientes atterrissent donc directement dans les citernes, où elles sont stockées durant toute la durée de la ronde. Il y a très peu de déjections sur l’aire bétonnée. À l’issue de chaque ronde, les fientes seront exportées chez un agriculteur exploitant des terrains de manière bio. Elles ne peuvent pas être épandues sur les prairies exploitées de manière conventionnelle car les productions bio doivent rester dans la filière bio.

Les poules pondeuses accèdent aux parcours entourant le bâtiment dès que la météo le permet. Le parcours sera arboré à l’automne  avec de fruitiers et arbustes pour assurer une meilleure dispersion des pondeuses.
Les poules pondeuses accèdent aux parcours entourant le bâtiment dès que la météo le permet. Le parcours sera arboré à l’automne avec de fruitiers et arbustes pour assurer une meilleure dispersion des pondeuses.

Conduite des volailles

Les 2 premiers lots de Brown Nick, une souche brune à croissance lente, sont arrivés le 28 juin dernier. Les poules avaient 17 semaines. Elles resteront à l’exploitation durant 12 à 14 mois avant d’être abattues. La ronde suivante démarrera après un mois de vide sanitaire. La ponte a démarré vers 20 semaines, le pic étant attendu vers la 23-24e semaine. Pour les exploitants, c’est une découverte car ils ne connaissent rien à l’élevage de volailles. L’éleveur regrette d’ailleurs que ce secteur soit le grand oublié dans l’enseignement agricole où tout est orienté bovin (surtout) et porcs. « C’est dommage car c’est un secteur rentable dans lequel la demande est présente. »

L’alimentation, l’abreuvement et la gestion de tous les paramètres d’élevage – lumière, ventilation, température, ouverture et fermeture des nids et trappes – sont automatisés. Le contrôle des paramètres est réalisé via l’ordinateur installé dans le local technique jouxtant le bâtiment d’élevage.

Sur le plan sanitaire, aucun traitement préventif n’est réalisé en bio. La dératisation fait l’objet d’une attention permanente. Des boîtes avec de la mort-aux-rats sont réparties dans l’élevage et la consommation est contrôlée tous les 15 jours pour déterminer la présence des nuisibles.

Le contrôle du cahier des charges bio est assuré par le Comité du lait.

Des blocs de picage contenant des minéraux et vitamines et des sacs de luzerne sont répartis dans le poulailler pour occuper les poules.
Des blocs de picage contenant des minéraux et vitamines et des sacs de luzerne sont répartis dans le poulailler pour occuper les poules.

Ponte et récolte des œufs

Les nids sont ouverts de 3 h du matin à 18h. Le reste du temps les poules sont sur les perchoirs ou à l’extérieur. Avec l’inclinaison du fond des nids, les œufs roulent sur une bande transporteuse, activée une fois par jour. Les œufs sont ainsi ramenés dans le local technique. Après avoir retiré les œufs difformes, fêlés ou trop sales, ils sont rangés avec une ventouse dans des claies en plastique de 30 œufs, avant d’être mis en palette. Avibel assure la collecte des œufs 2 fois par semaine.

Le suivi de l’élevage nécessite environ 2 h de travail quotidien. Les exploitants font le tour de l’élevage le matin, le soir et à midi pour ramasser les œufs pondus au sol, afin que les autres poules ne pondent pas en dehors des nids. Le ramassage des œufs est effectué tous les matins et nécessite 45 minutes de travail.

Automatisation de l’élevage

L’automatisation du poulailler est très poussée. Il y a des capteurs à tous les niveaux qui permettent le contrôle du bon fonctionnement des installations et le suivi de tous les paramètres d’élevage : température moyenne et dans les 4 coins du poulailler, ouverture et fermeture des nids, durée de rotation des vis sans fin de la chaîne d’alimentation, consommation d’aliments et d’eau pour ne citer que quelques exemples. « L’ordinateur est très facile d’utilisation mais les données fournies sont très nombreuses et variées. Il faut donc bien les interpréter », déclare l’exploitant. Lors de notre visite, les éleveurs étaient toujours en phase d’apprentissage. Mais nul doute qu’ils maîtriseront rapidement les divers paramètres et subtilités de leur élevage.

Constats et réflexions diverses

Le démarrage de l’atelier de poules pondeuses bio et la découverte de cet élevage inspirent à l’éleveur quelques réflexions sur l’automatisation. « Dans l’élevage avicole et porcin, l’automatisation est bien plus importante qu’en élevage bovin », constate Bertrand Lahaye. En volaille, tous les paramètres d’élevage et de consommation sont connus, ce qui n’est pas le cas pour les bovins qui pâturent. « Quand les vaches rentrent, on ne sait jamais exactement ce qu’elles ont ingéré. En outre, en volailles, on travaille en lots, avec des animaux qui ont tous le même âge et qui sont au même stade physiologique. Tous les animaux ont les mêmes besoins en même temps ce qui permet une automatisation poussée. Les vaches en revanche doivent être traitées individuellement car elles n’ont pas le même âge et ne sont pas au même stade de leur lactation. L’automatisation sera donc toujours plus limitée en bovins », estime l’éleveur. S’il apprécie l’automatisation du poulailler, Bertrand Lahaye ne compte pas pousser davantage l’automatisation dans la spéculation laitière, via l’achat d’un robot de traite par exemple.

Tout bio ?

« La conversion de l’exploitation laitière au bio n’est pas envisagée car nous n’avons pas assez de sécurité sur une trop grande part des prairies louées. Et nous ne pouvons pas acheter des terrains pour passer au bio au prix où ils sont vendus », explique l’éleveur. Les prix varient de 25 à 45.000 €/ha vu la demande élevée et l’hétérogénéité importante dans la région (sol pierreux, argileux, talus, grandeur des parcelles…). À ce sujet, l’éleveur estime que la modification du bail à ferme va dans le bon sens mais n’est pas encore suffisante. Avec le bail à ferme, les propriétaires ne sont plus maîtres de leur bien estime-t-il. Le bail à ferme est leur bête noire car la valeur de vente de leur terrain diminue s’il y a bail à ferme. Les propriétaires font donc tout pour l’éviter. Le passage par des sociétés intermédiaires n’est pas intéressant. Ces intermédiaires sont les seuls gagnants. Le prix de location augmente pour le fermier et le propriétaire ne reçoit pas tout l’argent payé par le locataire puisqu’il faut rémunérer la société intermédiaire.

Stabilité du prix du lait

« Le prix du lait est assez stable depuis la reprise de la ferme », constate notre hôte. Il y a eu une grosse zone de turbulence avec le corona l’an dernier, de mars à septembre, mais le prix s’est rétabli. Nous n’avons pas vécu les années glorieuses comme nos parents. On a la « chance » d’être la génération qui a connu les crises en 2009, 2013 et 2015 durant notre adolescence. On n’était donc pas directement concerné mais on a été habitué à travailler et à devoir faire face à des crises. Il apprécie donc la relative stabilité des prix de ces dernières années. Le prix du lait n’est pas haut mais je préfère la stabilité à des fluctuations importantes », précise l’éleveur. « Ce n’est pas crédible de dire que ça ne va pas durant 25 ans car on aurait déjà dû faire faillite plus tôt si c’était vraiment le cas. On ne doit donc pas se plaindre du prix du lait actuellement », estime-t-il. « Il faut pouvoir reconnaître quand la situation est favorable, même si nous n’avons pas de levier sur le prix de vente du lait et qu’on peut seulement jouer sur les coûts de production », conclut-il.

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