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Céréales: comment se prémunir contre la carie commune en agriculture biologique?

La carie est une maladie qui altère le rendement et la qualité des récoltes. Celle-ci est causée par des champignons appartenant au genre Tilletia, principalement Tilletia caries et dans une moindre mesure Tilletia laevis. Ces pathogènes ont été identifiés en Wallonie en 2018 et sont depuis en recrudescence dans les cultures de froment biologique, faute de solution adéquate pour les contrôler.

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En effet, les traitements de semences disponibles en agriculture biologique n’atteignent pas les 99 % d’efficacité nécessaires pour enrayer la propagation de la maladie, contrairement à ceux utilisables en agriculture conventionnelle. C’est pourquoi la recherche se tourne aujourd’hui vers l’étude de différents moyens de lutte biologique qui, en combinaison, permettraient d’atteindre une éradication quasi totale de la carie. Les résistances variétales, les traitements de semences en adéquation avec l’agriculture biologique et la détection de la carie au stade jeunes plantules sont autant de pistes qui ont été étudiées au CRA-W en 2020 et 2021.

Une maladie visible des mois après son infection

Un grain carié peut contenir jusqu’à 9 millions de spores de Tilletia caries. Au moment du battage, les grains des épis cariés libèrent ces spores appelées téliospores. Ces dernières permettent au champignon de se disséminer dans l’environnement ou sur les grains récoltés, et d’y survivre jusqu’au prochain semis. Lorsque les conditions deviennent favorables au développement de la maladie, les spores vont germer. Les spores de Tilletia caries sont capables de germer à des températures comprises entre 2º et 29ºC (optimum à 11ºC) et lorsque l’humidité du sol oscille entre 40 et 50 % de sa capacité en rétention. Le champignon va ensuite infecter le coléoptile (s’il est suffisamment en contact avec celui-ci) de la future plantule avant la levée et continuer sa progression jusqu’à l’ébauche de l’épi. Il va plus particulièrement viser les fleurs, dès leur formation, pour pouvoir envahir l’ovaire de celles-ci et y produire sa masse de spores. Les autres organes de l’épi ne sont pas atteints par le pathogène et la maladie n’est donc visible qu’au moment de la maturation des grains, soit des mois après son infection. Les plantes infectées émettront ensuite des millions de spores lors du battage des grains pour répéter ainsi le cycle.

Les symptômes et situations à risques en froment

Bien que l’infection des plantes ait lieu entre le semis et la levée des plantules, les symptômes de la carie ne sont eux visibles qu’au moment de l’épiaison. Selon les races de Tilletia caries et les variétés de froment, un léger raccourcissement des plantes peut être observé. Un nombre de talles plus important peut aussi être observé mais celles-ci aboutissent bien souvent à des épis avortés.

À l’épiaison, les épis cariés auront tendance à devenir de teinte bleu-vert au contraire des épis sains de teinte verte, cette couleur étant principalement marquée sur le rachis et sur la base des glumes.

Les épis cariés (à droite) montrent un retard de maturité. D. Eylenbosch, CRA-W)
Les épis cariés (à droite) montrent un retard de maturité. D. Eylenbosch, CRA-W) - D. Eylenbosch, CRA-W

Les épis cariés montrent un aspect ébouriffé dû à l’écartement anormal des glumes qui laissent alors apparaître le grain carié. Ce dernier est plus court, plus sombre et plus arrondi qu’un grain sain. À la récolte, les grains cariés céderont à la moindre pression et libéreront une poussière de spores noires qui contaminera alors les autres grains.

L’amidon des grains cariés (à droite) a été remplacé par les spores du champignon formant une poudre noire très fine.
L’amidon des grains cariés (à droite) a été remplacé par les spores du champignon formant une poudre noire très fine. - CRA-W

Les situations à risque sont :

– L’utilisation de semences non traitées contre la carie ;

– L’utilisation de semences fermières (non triées et non traitées) ;

– À partir du stade 2 feuilles, les parois de la plantule sont trop épaisses et le champignon ne sait plus y pénétrer. Plus le laps de temps entre le semis et le stade 2 feuilles est long et plus le pathogène a le temps d’infecter les plantules. Les semis tardifs sont donc plus à risque car les conditions froides sont favorables au développement de la carie et ralentissent le développement des plantules.

– Un retour sur une parcelle infectée avec une céréale sensible  : blé dur et blé tendre sont plus sensibles que l’épeautre.

Contamination par les semences et par le sol

À ce jour, deux voies de contamination ont été identifiées :

Contamination par les semences

La contamination des semences par les spores du champignon reste la voie la plus directe et celle qui donne lieu aux épidémies les plus importantes. En effet, ce mode de transmission permet de mettre directement en contact la spore avec le coléoptile. Celle-ci n’aura plus qu’à attendre les conditions favorables pour germer et infecter les tissus végétaux. La probabilité de contamination est donc très grande dans ce cas-ci.

Contamination par le sol

Cette voie de contamination est plus hasardeuse mais toujours à risque. En effet, la probabilité que la spore de carie soit suffisamment proche du grain semé pour infecter son coléoptile est beaucoup plus faible que dans la situation précédente. Les épidémies engendrées par ce type de contamination sont donc moins fréquentes. Les spores de carie germent après des épisodes météorologiques humides et à la faveur de températures propres à chaque espèce de Tilletia spp. Cela signifie que des étés pluvieux induisent une germination des spores avant le semis des céréales et donc un épuisement progressif des stocks de spores avant infection. En revanche, les étés plus secs conservent le stock de spores intact. Une spore peut survivre jusqu’à 5 ans dans le sol. Les sols compactés sont défavorables à la carie car celle-ci a besoin d’oxygène pour se développer.

Seul moyen : la prévention !

Si la carie commune des céréales est si redoutable, c’est notamment parce qu’il n’existe aucun moyen d’arrêter son développement après l’infection. Seule la prévention permet donc de lutter contre cette maladie.

L’utilisation de semences saines dans le système de culture est essentielle pour limiter le risque de développement de la carie. Cependant, utiliser des semences saines n’empêche pas l’infection par des spores du champignon présentes dans le sol. Par ailleurs, la présence de spores de carie sur les semences peut passer inaperçue et le recours à des tests de détection s’avère souvent nécessaire. Utiliser des semences traitées avec un produit visant à empêcher le développement de la carie lors de la germination est une bonne alternative. Toutefois, il existe peu d’information sur des produits de désinfection de semences autorisés en agriculture biologie et efficaces contre la carie. Enfin, une autre méthode consiste à utiliser des variétés résistantes.

Par la résistance variétale

Le choix de la variété est le critère le plus important à prendre en compte dans le contexte de l’agriculture biologique. En effet, elle ne peut s’appuyer que sur peu de solutions pour remédier à un problème en cours de saison (maladie, ravageur…). C’est pourquoi, l’utilisation de variétés résistantes permet de diminuer grandement ces risques d’accident durant la culture. Dans le cas de la carie, des variétés résistantes existent dans les pays voisins mais aucun screening des variétés présentes sur le marché belge n’avait encore été mené pour déterminer si l’une d’elles était tolérante voire résistante.

Depuis 2 ans, des essais sont conduits par l’U04 du CRA-W afin de déterminer la tolérance variétale à des souches locales de carie des céréales sélectionnées et cultivées en Belgique. Ces recherches sont axées principalement sur le blé tendre, mais s’intéressent également à quelques variétés d’épeautre, de triticale, de seigle et d’avoine.

Dans le cadre de ces recherches, le semis des différentes variétés a été réalisé en microparcelles d’essai en conditions réelles de culture. En 2019-2020, 31 variétés de froment ont été évaluées après avoir été contaminées par infection des semences avant le semis. En 2020-2021, 29 variétés de froment, 3 variétés d’épeautre et 3 variétés de triticale ont été étudiées après infection des semences avant le semis. Seules quelques variétés de froment, d’épeautre, de seigle, de triticale et d’avoine ont été évaluées après avoir été semées dans du sol contaminé.

Parmi les variétés de froment d’hiver commercialisées en Belgique et mises en essai, six d’entre elles semblent présenter une bonne tolérance à la carie. Campesino a la plus forte tolérance. Suivent les variétés Bergamo, Catalyst, Graham, Mentor et WPB Calgary. Ces variétés ne sont pas totalement résistantes mais leur tolérance peut limiter le risque de contamination et de multiplication du champignon. Elles semblent donc toutes indiquées pour leur utilisation dans la prévention contre cette maladie. Leur sensibilité aux maladies du feuillage et des épis limite malheureusement leur emploi en agriculture biologique. Des recherches supplémentaires doivent donc encore être menées pour identifier des variétés résistantes à la carie au sein des variétés adaptées à l’agriculture biologique.

Enfin, l’épeautre et surtout le triticale semblent beaucoup moins sensibles à la carie que le froment et sont donc à préconiser dans les situations à risques. Ceci reste cependant à vérifier dans de futures années d’essai.

Par le traitement des semences biologiques

En agriculture biologique, le choix variétal est un critère primordial dans la lutte contre la carie. Si certaines variétés montrent bien une tolérance à la carie, celle-ci n’est pas totale. Il peut dès lors s’avérer essentiel d’associer à ces variétés un traitement de semences efficace. C’est pourquoi depuis deux ans, l’U03 du CRA-W s’est penchée sur l’étude de l’efficacité des traitements de semences actuellement recommandés en agriculture biologique.

En 2019-2020 et en 2020-2021, un essai de traitements de semences a été installé dans le but de tester 5 produits actuellement recommandés en agriculture biologique par l’ITAB. Les semences de Renan (2019-2020) et de Sorbet CS (2020-2021) ont donc été inoculées avec des spores de carie puis traitées avec les solutions suivantes :

– vinaigre 7 % (1l + 1l d’eau/100kg de semences)

– Cerall 1l (Pseudomonas chlororaphis- 1l/100kg)

– Copseed 100mL (solution à base de cuivre non agréée en Belgique – 100 ml/100kg)

– farine de moutarde (Sinapis alba – (1,5kg + 4.5l d’eau)/100kg)

– Redigo (référence de synthèse -100 ml/100 kg)

Ces essais ont montré que le vinaigre et la farine de moutarde sont deux solutions biologiques qui permettent de diminuer significativement l’infection en carie sur les grains. L’application d’un de ces deux traitements est fortement recommandée avant le semis d’une culture de froment biologique. Bien que des traitements avec 1.5 et 2.0L de vinaigre semblent mieux fonctionner que des traitements avec 1L, ces doses ne sont pas recommandées. En effet, de la phytotoxicité a été observée dans plusieurs essais provenant de la littérature scientifique. Le Copseed a également montré une bonne efficacité sur carie mais il n’est pas homologué en Belgique.

Par la détection dans de jeunes plantules par analyse qPCR

Un test de détection précoce des champignons Tilletia spp. a été évalué pour une utilisation au stade plantule. L’intérêt de cet outil réside dans le fait qu’il n’est pas nécessaire d’attendre l’épiaison pour effectuer les évaluations (de variétés ou de traitement de semences). Cette possibilité évite de contaminer la parcelle et l’équipement de récolte par des grains cariés, et facilite le travail des sélectionneurs et responsables d’essais.

Des plantules ont été collectées en mars et en avril 2021 dans des parcelles emblavées avec des grains de froment inoculés avec des spores de carie.

Alors que les plantules ne présentaient aucun symptôme de la maladie, il a été possible de mettre en évidence la présence du champignon dans les tissus végétaux en utilisant le test de détection précoce, le taux de détection étant plus élevé en avril qu’en mars. De plus, des différences ont été observées entre traitements suggérant que le test pouvait être utilisé comme méthode d’évaluation de la qualité d’un traitement de semences contre la carie. À cet égard, le traitement de semences avec le produit Redigo utilisé en agriculture conventionnelle, s’est révélé très efficace (aucune détection du champignon dans les plantules). La modalité « graines inoculées non traitées » a montré le plus haut taux d’infection des plantules. Le traitement à la moutarde s’est révélé un peu plus efficace que le traitement au vinaigre avec un nombre moindre de plantules infectées.

L’outil développé a montré une bonne efficacité pour évaluer l’impact de traitements de semences de froment sur le développement de la carie. Il peut dès lors être envisagé comme méthode de screening pour l’évaluation de la sensibilité variétale au stade plantule. Ces essais ont également permis la mise au point d’une méthode de détection de la carie dans les jeunes plantules. Cette technique pourra s’avérer très utile dans le screening variétal afin de déterminer, déjà aux stades précoces, la sensibilité des variétés face à la carie.

Dans un futur proche

L’identification de variétés tolérantes à la carie pourrait permettre d’élargir le choix de variétés intéressantes pour l’agriculture biologique

L’identification de traitements de semences efficaces permettra de diminuer grandement l’inoculum potentiellement présent sur les semences et donc d’enrayer la propagation de la carie en agriculture biologique.

D’après C. Bataille,

D. Eylenbosch et A. Chandelier,

CRA-W, Livre Blanc, septembre 2021

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