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Vote du parlement sur la stratégie «De la fourche à la fourchette»: entre courroux et satisfaction

Chahutée, mais finalement adoptée. La position du parlement européen sur la stratégie « De la fourche à la fourchette a finalement été validée par les eurodéputés réunis la semaine dernière en session plénière à Strasbourg.

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Et ce, malgré les débats houleux ayant animé les discussions qui se sont principalement cristallisées autour de la question des études d’impact.

Le texte a recueilli 452 voix favorables, en provenance de la totalité des élus écologistes et de presque tous les élus de gauche et 170 voix contre, qui sont le fait de nombreux démocrates-chrétiens conservateurs (groupe PPE), de l’extrême droite (groupe ID) et des eurosceptiques (groupe ECR), tandis que les 76 abstentionnistes se retrouvent essentiellement dans les rangs des eurosceptiques et des démocrates-chrétiens.

Le document maintient des objectifs contraignants pour l’utilisation de produits phytosanitaires et appelle les États membres à les définir dans le cadre de leurs plans stratégiques de la future PAC.

Les eurodéputés ont néanmoins demandé une évaluation des effets cumulatifs des différentes mesures de la stratégie afin de s’assurer que le rapport coût-efficacité et les conséquences soient pris en compte.

Satisfecit du côté belge

Du côté belge, la satisfaction était généralement au rendez-vous.

Pour le démocrate-chrétien Benoît Lutgen, qui a soutenu le rapport, la nouvelle stratégie « augmentera désormais les exigences en matière d’environnement et de qualité, et aussi le prix et les marges pour l’agriculteur ». Et de souligner que ce sera notamment tout bénéfice pour « la qualité exceptionnelle de l’élevage bovin wallon, essentiellement extensif et durable ».

L’écologiste flamande Sara Matthieu s’est quant à elle montrée particulièrement satisfaite de voir mentionnée dans le document une interdiction d’exportation des pesticides dangereux interdits dans l’UE.

Toujours au nord de notre pays mais plus à droite sur son échiquier politique, la libérale Hilde Vautmans a également accueilli favorablement ce vote tout en indiquant que l’ambition devait être contrebalancée « par le soutien et les alternatives nécessaires au changement ».

Elle a insisté pour que « la durabilité aille de pair avec la viabilité, faute de quoi le secteur agricole européen pourrait finir par disparaître.

« Le Parlement européen formule donc aujourd’hui de nombreuses recommandations pour donner aux agriculteurs européens un rôle plus central dans la réalisation des objectifs environnementaux, mais avec un cadre qui leur permette de faire de l’agriculture durable un modèle économiquement viable » a-t-elle enfin indiqué.

Les écologistes sur un nuage

Les écologistes se sont sans surprise succédés pour louer l’adoption du texte, à l’instar de la Française Caroline Roose qui a taxé de « cruciale » la stratégie « De la fourche à la fourchette » pour mettre le système alimentaire en cohérence avec les objectifs du Pacte Vert et la lutte contre le dérèglement climatique.

Pour la représentante d’origine belge du Groupe des Verts, « cela passera nécessairement par la fin de l’élevage industriel, l’élevage représentant, selon la Fao, plus de 14 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde tandis que 40 % des terres cultivées le sont pour nourrir le bétail ».

L’écologiste a également évoqué les importations de soja dédiées à l’alimentation des animaux qui contribuent directement à la déforestation sans oublier « les souffrances immenses » générées par l’élevage industriel au niveau du transport ou de l’abattage. Elle a plaidé, dans son intervention, en faveur d’une autre forme d’élevage qui soit non seulement plus respectueux de l’environnement mais aussi « plus gratifiant pour les éleveurs ».

Enfin, elle a appelé à une réduction de notre consommation de produits d’origine animale.

Très à l’offensive, son collègue Benoît Biteau a quant à lui pointé du doigt les lobbys de l’agro-industrie « montés au créneau car cela va perturber leurs business » tout en réfutant l’apocalypse alimentaire qu’ils prédisent.

« Quand on réinvente l’agroécologie pour avancer vers une certification de l’agriculture biologique, qu’on utilise d’autres ressources génétiques mieux adaptées à l’agriculture biologique et que l’on a un mélange d’espèces, non seulement on n’observe pas de perte d’activité au contraire, on constate une augmentation ».

Selon cet agronome de formation, ce nouveau modèle d’agriculture pourrait réduire de 20 % à 30 % les émissions de gaz à effet de serre produits par le secteur.

« La commission a privilégié des effets d’annonce »

Les détracteurs des propositions de la commission se sont quant à eux vivement fait entendre.

Co-rapporteuse du texte, la néerlandaise Anja Hazekamp, issue des rangs de la gauche, a admis avoir été surprise par l’intensité du lobbying notamment mené par le copa-cogeca qui s’est appuyé sur plusieurs études d’impact (dont celle menée par le Centre commun de recherche de la commission européenne) montrant les conséquences négatives des objectifs proposés sur la production agricole.

Cette position a été largement soutenue par les démocrates-chrétiens, en particulier la Française Anne Sander, qui n’a pas hésité à lourdement tacler la commission pour avoir présenté une stratégie en privilégiant des effets d’annonces plutôt que des « objectifs pragmatiques, fondés sur la science ».

La très active membre de la commission de l’Agriculture du parlement a amèrement regretté le refus catégorique de l’Exécutif de mener une analyse globale de l’impact de la stratégie « qui a pour conséquence de décrédibiliser les objectifs qu’elle propose ».

« Nous avons au contraire besoin d’inspirer la confiance, de croire au progrès et de stimuler l’innovation au lieu de présenter la décroissance comme seul horizon possible pour l’agriculture européenne » a-t-elle déroulé en insistant sur la nécessité d’accompagner les agriculteurs mais surtout « de ne pas les accabler avec des contraintes et des taxes supplémentaires ».

L’eurodéputée, qui a logiquement voté contre le document, a déploré que les tentatives de rééquilibrage du texte prenant en compte les incertitudes existant sur son impact aient été rejetées par une majorité.

Elle a ainsi refusé de donner un blanc-seing à la commission qui, à ses yeux, « ne joue pas franc jeu ».

« Du libre-échange au juste-échange »

Symbole de la richesse des émotions qu’a généré le vote sur le document, la réaction de sa compatriote Irène Tolleret issue du groupe centriste « Renew », qui siège également en commission de l’Agriculture.

Cette enthousiaste vigneronne bitteroise s’est montrée quant à elle « fière d’être européenne et de soutenir les objectifs politiques ambitieux du Pacte Vert tels que déclinés dans la stratégie « De la fourche à la fourchette ».

Elle a salué un texte « équilibré » qui démontre la volonté de l’assemblée « d’être au rendez-vous de l’Histoire ».

Elle a toutefois réclamé de la vigilance dans la mise en place concrète pour éviter les effets négatifs évoqués dans l’étude du Centre commun de recherche européen comme l’augmentation du prix de l’alimentation ou la délocalisation des émissions de carbone.

« Pour réussir il faut passer du libre-échange au « juste-échange » avec des outils de protection des revenus agricoles tels que les clauses-miroirs, défendues par le ministre français de l’Agriculture Julien Denormandie, pour les produits importés

Enfin, a-t-elle également soutenu, « l’accès à une alimentation durable de qualité ne doit pas être réservé à quelques privilégiés. Il s’agit d’un droit fondamental de tout être humain, en ce compris les plus fragiles ».

« Les intentions sont bonnes mais il manque une étude de faisabilité qui permette d’établir une véritable feuille de route indispensable pour renforcer l’identité agricole et alimentaire de l’UE » a pour sa part avancé l’agriculteur Jérémy Decerle du groupe « Renew ».

Au-delà d’une étude d’impact, a-t-il insisté, « il faut être conscient des difficultés que la stratégie implique pour les agriculteurs, s’assurer des méthodes à développer et des soutiens à développer pour que personne ne soit laissé sur le bord de la route ».

Son collègue italien démocrate-chrétien Herbert Dorfmann a souligné dans la foulée que les agriculteurs faisaient déjà un excellent travail, donc quand on leur demande, à juste titre, de réduire davantage leur utilisation de pesticides, d’engrais et d’antibiotiques, « nous devons les soutenir afin que la production ne vienne pas exclusivement de l’extérieur de l’UE ».

« Garantir la disponibilité de denrées alimentaires à des prix raisonnables doit rester une priorité » a-t-il encore pointé.

On le sait, et nous lui avons déjà donné la parole dans nos pages, la présidente de la Fnsea et du Copa Christiane Lambert s’inscrit en faux depuis longtemps contre la stratégie « De la fourche à la fourchette » qui pourrait entraîner, selon l’étude diligentée par la commission, à une baisse de rendements de 15 % en moyenne.

Et pour l’éleveuse française, c’est justement l’élevage qui serait le plus touché.

« Quand on retire 10 % de la surface de production il y a l’obligation de réduire de 30 % les engrais et 50 % les produits phytosanitaires, évidemment cela fait moins de rendement. Toutes les études qui ont été faites montrent des baisses en la matière : dans le domaine de la céréaliculture comme le blé, l’orge, le maïs, avec une baisse de 10 à 13 %, cela montre aussi une réduction de la viande de porc et de bovins, c’est donc s’exposer à importer plus de produits ».

Les lobbys se rebiffent

Un communiqué commun signé par le Copa-Cogeca, CropLife (lobby regroupant des entreprises et des organisations professionnelles dans le secteur de la protection des cultures et la biotechnologie végétale), la Fefac (Fédération européenne des fabricants d’aliments composés), la Cevi (Confédération européenne des vignerons indépendants), ne s’est pas fait attendre.

Ces organismes indiquent désormais attendre « des propositions concrètes de la commission, notamment sur les angles morts identifiés dans le débat en cours, comme les effets des fuites de carbone, l’autonomie stratégique européenne ou les prix à la consommation ».

Les jeunes agriculteurs du Ceja (Le Conseil européen des jeunes agriculteurs) espèrent, eux, que les risques potentiels qui émergent de la transition seront pris en compte « y compris l’impact économique à court terme que les agriculteurs porteront très probablement sur leurs épaules ».

Attaquée parfois frontalement par certains députés, la commission, par la voix de sa commissaire chypriote Stella Kyriakides a promis que des études d’impact en bonne et due forme seront réalisées pour chaque proposition législative importante.

« Je n’ai jamais dit que cette transition se ferait sans coût ni adaptation » a-t-elle précisé en soutenant que tout changement systémique nécessitait de l’engagement et du courage.

Marie-France Vienne

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