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L’égalité des genres en agriculture: où sont les femmes?

Pour la deuxième année consécutive, le parlement européen a organisé la « Semaine européenne de l’égalité des genres » du 25 au 28 octobre. La commission de l’Agriculture s’est saisie de cette occasion pour auditionner deux auteures qui ont évoqué, en toute liberté, et surtout sans langue de bois, les heurs et malheurs des femmes en milieu rural.

Temps de lecture : 6 min

L’égalité des genres, c’est l’égalité d’accès aux ressources et différentes possibilités y compris la participation économique et la prise de décision, aussi en agriculture.

Theresia Oedl-Wieder, l’une des auteures autrichiennes de l’étude « Frauen am Land » a présenté tous les obstacles auxquels sont confrontées les femmes en agriculture, en partant d’un constat interpellant : les jeunes et les femmes s’éloignent de plus en plus du monde agricole, posant en cela un problème au niveau démographique.

« Il faut dépoussiérer les structures patriarcales en agriculture »

Une tendance que la chercheuse attribue à une conjonction de facteurs ayant trait au salaire, à la qualité de vie, au manque d’infrastructures, surtout en matière de crèches et de gardes d’enfants et d’absence de réseaux. Elle note également un marché de l’emploi qui offre moins de débouchés aux femmes.

Les femmes manquent également de certitudes au niveau social. Elles ont moins de possibilités de recevoir des conseils alors qu’elles jouent un rôle extrêmement important en tant que partenaire ou conjointe-aidante.

Leur sous-représentation dans la vie publique et politique au niveau local et régional pose problème, sans parler de la question de l’intersectionnalité de la diversité et de l’intégration.

Pour M. Oedl-Wieder, il faut réellement remettre en question certains stéréotypes, et déjà commencer par dépoussiérer les structures patriarcales, notamment la cession d’exploitations qui se font principalement entre hommes.

« Il est où le patron ? »

« Il est où le patron », c’est la chronique de cinq paysannes passionnées par leur métier qui vivent au quotidien des situations dérangeantes les renvoyant inexorablement à leur statut de femmes.

Loin de vouloir se complaire dans un rôle de victime, elles se sont tournées vers la bande dessinée pour y crier leur colère et dénoncer les injustices liées au patriarcat.

Cela parle de sexisme ordinaire, de l’invisibilisation des femmes sur leur exploitation. Le machisme du milieu agricole, c’est quand ces hommes voulant s’adresser au supposé mâle dominant, débarquent sur leur exploitation et demandent systématiquement : « il est où le patron ? »

Les remarques sexistes sont le quotidien de ces femmes, sur leur exploitation mais aussi sur les marchés où elles ne choquent personnes, mais font rire presque tout le monde. « Si on vend des fromages c’est parce qu’on est jolie et non car on maîtrise un savoir-faire » déplore Maud Bénézit, la dessinatrice et l’une des auteures de l’ouvrage.

Ces remarques sont d’autant plus difficiles à supporter qu’elles s’inscrivent dans un double rapport de subordination, quand elles fusent par exemple d’un chasseur ou d’un propriétaire des terres utilisées pour faire pâturer les animaux.

Le machisme est dans le pré

Les femmes, systématiquement jugées, doivent toujours faire leurs preuves, elles ne sont pas prises au sérieux, par exemple, quand elles utilisent un tracteur en pénètrent dans un commerce de fournitures agricoles où il n’est pas rare qu’on leur rétorque qu’on ne vend du matériel que pour les professionnels…

Les déserts médicaux font que l’accès à la santé est compliqué pour les femmes. Le matériel n’est pas adapté, les sacs de ciment pèsent 35kg, il faut s’employer pour brancher la prise de force derrière le tracteur ou atteler certains outils.

Il faut par ailleurs savoir que 70 % des agricultrices se font opérer d’une descente d’organe, opération à la suite de laquelle elle ne peuvent plus porter plus de 6kg, se trouvant de facto écartées de certaines tâches.

Les femmes rurales qui subissent des violences sont surreprésentées. Malheureusement, dans la campagne, tout le monde se connaît et on a peur du quand dira-t-on, si bien que les femmes se retrouvent isolées sur leur ferme où tout est mélangé : le travail, le revenu, les enfants, la voiture. Une situation qui peut rapidement se détériorer quand les agresseurs sont de connivence avec les représentants syndicaux. Cette thématique a d’ailleurs été portée sur grand écran avec le film « La terre des hommes ».

Chez nos voisins français, il est particulièrement compliqué d’obtenir le statut de « chef d’exploitation » le seul qui offre une vraie reconnaissance aux femmes leur permettant d’accéder aux cotisations sociales pour leur retraite et droits à la santé.

Or, seuls 25 % des chefs d’exploitations sont des femmes tandis qu’environ 5.000 femmes travaillent sur des exploitations sans statut, sans compter les nombreuses conjointes-aidantes qui ont un sous-statut.

Des femmes pots de fleurs…

Les femmes se retrouvent très souvent avec une toute petite retraite dont le montant moyen n’excède pas 550€/mois contre 850€ pour les hommes. Comme l’exploitation et la maison sont rarement séparées, la femme se retrouve en totale dépendance de son mari.

Il n’y a pas plus de 30 % d’élues dans les instances agricoles, qui occupent majoritairement des postes de secrétaires ou de trésorières. Les femmes n’osent postuler à des fonctions à responsabilités par crainte d’un manque de légitimité ou de mise en doute de leurs compétences. De plus, enfonce Maud Bénézit, lors des élections, on se met à la recherche de femmes dans un seul souci de parité.

Mais quelles pistes pour sortir de cette impasse…

L’agricultrice française pense à la mise en place de groupes non-mixtes pour imaginer des solutions. Cela peut passer par du théâtre pour aider à reprendre du pouvoir sur sa vie et, par extension, sur son exploitation, des stages d’autodéfense et des formations pour, par exemple, souder ou conduire un tracteur, la sensibilisation au sexisme et au consentement dès le plus jeune âge des filles et des garçons.

Cela passe aussi par une visibilisation des inégalités en comptant la répartition genrée de la parole lors de réunions. M. Bénézit cite également la mise en place d’un système de marrainage pour encourager les femmes à s’engager syndicalement.

Mais que fait la commission ?

L’Exécutif a indiqué qu’elle était prête à aider les États membres à gérer tous les aspects liés au statut des femmes dans le monde agricole. La commission a souligné avoir émis des recommandations pour que les États membres tiennent compte des questions d’égalité des genres dans le cadre de l’élaboration de leur plan stratégique national.

Et d’ajouter que les paiements directs de la nouvelle PAC seront dorénavant assortis d’une clause de conditionnalité sociale visant ainsi à garantir le respect des conditions de travail et d’emploi en vigueur.

En outre, la commission a également précisé qu’elle travaillait sur la collecte de données afin d’aider les États membres à renforcer l’intégration de l’égalité hommes/femmes dans leur politique respective.

Marie-France Vienne

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