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Combien de temps les prix des céréales resteront-ils aussi élevés?

Alors que les prix des céréales tutoient des sommets encore jamais atteints, nombreux sont les agriculteurs à s’interroger sur les raisons de cette hausse et sur sa durée dans le temps.

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Pour répondre ces interrogations, nous sommes allés à la rencontre de Marc Ballekens, manager de Seed@bel, la fédération belge des semenciers, au fait des évolutions agricoles en Belgique et au-delà de ses frontières.

Quelle est la raison des prix exceptionnels que nous connaissons aujourd’hui en céréales ?

MB : Il s’agit d’une conjonction de plusieurs facteurs. En raison de la sécheresse, la récolte céréalière a été mauvaise dans plusieurs parties du monde, notamment aux États-Unis et au Canada. En revanche, dans les pays d’Amérique du Sud, en particulier l’Argentine et le Brésil, l’hiver a été humide et le printemps exceptionnellement froid, ce qui a eu un effet négatif sur le rendement. La Russie a, quant à elle, réalisé une excellente récolte. Elle est toutefois restée vigilante au niveau de ses exportations. Dans le même temps, celles de l’Union européenne se portent très bien. Preuve en est, la France a déjà exporté 20 % de volume en plus que l’année dernière. Il ne faut pas oublier la Chine, dont la production prend de plus en plus d’ampleur dans le paysage mondial.

Mais à une époque où le climat constitue un important facteur d’incertitude, un pays aussi étendu va jouer la carte de la sécurité. Et les dirigeants chinois le savent bien, une pénurie alimentaire peut facilement dégénérer en guerre civile.

Dans le même temps, il faut savoir que les prix de l’énergie sont montés en flèche, une tendance qui va généralement de pair avec un accroissement du prix des céréales.

Les prix du maïs jouent-ils également un rôle important ?

Avec ses grains riches en amidon, le maïs est une culture qui couvre environ 150 millions d’hectares dans le monde. 40 % de la production mondiale provient des seuls États-Unis dont les rendements ont été régulièrement revus à la baisse. Une situation qui maintient les prix à un niveau très élevé et contribue à faire grimper, ou à tout le moins stabiliser les prix des céréales.

A-t-on déjà connu de tels prix par le passé ?

Le niveau des prix actuels des céréales est exceptionnel. C’est la deuxième fois que cela se produit au cours des 30 dernières années. Il convient de noter qu’au cours de la période précédente, les céréales étaient cultivées sous un régime de prix d’intervention stables, avec une faible volatilité de l’offre.

Depuis la réforme MacSharry en 1992 suivie du plan Fisschler en 2000, les céréales (et d’autres produits agricoles) ont été davantage exposées aux fluctuations du marché. 2007 a marqué un tournant spectaculaire dans le secteur. Je me souviens très bien que cette année-là, le rapport stock/consommation dans le monde est tombé en dessous de 20, ce qui a engendré la spéculation et fait grimper le prix des céréales à près de 250 €/t. L’année 2010 a été marquée par un nouveau boom, mais cette fois-ci en raison de vastes incendies en Russie, qui ont contraint le pays à suspendre ses exportations. Nos marchés en ont profité.

Pareilles conditions favorables peuvent-elles s’inscrire dans le temps ?

Dans le passé, cela n’a jamais été le cas. Les prix élevés des céréales entraînaient souvent une augmentation des semis et de la production l’année suivante, ce qui se traduisait presque toujours par une forte baisse des prix. Les prix modérés des céréales sont donc bien plus la règle que l’exception.

Pensez-vous donc que ces prix exceptionnels ne perdureront pas dans le temps ?

Ce n’est pas parce que les périodes de prix élevés des céréales ont toujours été de courte durée dans le passé que ce sera le cas à l’avenir. Nous entrons actuellement dans une période où le passé ne préjuge en rien de l’avenir. Jusqu’à présent, nous pouvions voir certains schémas se répéter, ce qui n’est plus le cas en raison du changement climatique…

Il se pourrait donc bien que les prix élevés persistent dans le temps. Il est de plus en plus probable qu’un certain type de perturbation climatique aura des effets massifs sur les approvisionnements.

Dans quelle mesure une hausse du prix du blé est-elle dangereuse pour les pays pauvres ?

Un prix élevé n’est pas une bonne nouvelle pour les pays pauvres, loin s’en faut. L’Europe, et en particulier la France, exporte beaucoup vers l’Afrique du Nord et en partie aussi vers le Moyen-Orient. Les effets du changement climatique sont beaucoup plus prégnants dans ces pays, en particulier dans le Sahel, dans le sud Sahara. Et il est clair que l’augmentation du prix des céréales exercera une pression encore plus forte qu’auparavant sur ces régions.

Nous recevons également des rapports successifs sur la baisse constante de la production de maïs, de céréales et de soja dans ces régions. Bien que ce soit souvent lié à une instabilité d’ordre géopolitique, certaines contrées sont en proie à des épisodes de famine, l’exemple le plus récent étant celui de l’Afghanistan.

Quels conseils donneriez-vous aux céréaliers en matière de stratégie de vente ?

C’est une question délicate. Je conseillerais toutefois à ceux qui n’ont encore rien vendu cette année de le faire pour une partie de leurs volumes. Nous connaissons actuellement une phase de prix élevés qui peut éventuellement s’inscrire dans la durée. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faut relâcher sa vigilance. Bref, par les temps qui courent, la vente à tempérament me semble être la solution la plus appropriée.

Y a-t-il encore des semences en suffisance pour cet automne ?

Nous savons tous que la dernière récolte n’a pas été des plus productives dans notre pays et que les pluies prolongées (surtout dans l’est du pays) ont eu une influence négative sur la qualité. Cela signifie que les semenciers sont confrontés à des productions plus faibles mais aussi à des pertes élevées au niveau du triage. Les agriculteurs utilisent également mois leurs propres semences.

Les poids de mille grains sont un peu plus faibles cette année, ce qui signifie que la densité moyenne de semis par hectare est un peu plus faible aussi. Il semble donc qu’il y aura suffisamment de semence, mais cela dépend bien sûr de la quantité restante à semer. Et cela pourrait encore être beaucoup compte tenu de la situation météorologique sur le terrain.

D’après Tim Decoster

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