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«Les pires épreuves finissent toujours par nous apporter quelque chose de positif»

Il y a peu, j’ai eu la chance d’échanger avec Jacqueline Strade, exploitante agricole à Chaumont-Gistoux mais également à la tête de l’entreprise agricole La Champtaine. Une dame dynamique et inspirante qui reste résolument confiante en l’avenir de l’agriculture et en l’humain malgré un parcours de vie teinté de gris.

Temps de lecture : 7 min

L’agriculture a toujours fait partie de la vie de Jacqueline Strade puisqu’elle est originaire d’une famille agricole de Tourinnes-Saint-Lambert : « Ma famille est dans l’agriculture depuis plusieurs générations. Je baigne dans ce monde depuis ma plus tendre enfance. Plus tard, j’ai réalisé des études de secrétariat et comptabilité mais tout mon temps libre était dédié à l’exploitation agricole familiale. Cette manière de vivre était de toute façon assez courante à l’époque et personne ne s’en plaignait ».

Une nouvelle aventure, des projets, un drame…

Jacqueline croise ensuite la route de José Strade, agriculteur à Chaumont-Gistoux et ils se marient en 1972 : « À l’époque, les parents et même les grands-parents de mon mari étaient encore très présents dans l’exploitation, j’ai donc poursuivi mes activités de comptable dans une firme à Wavre jusqu’en 1982, lors de notre reprise de la ferme. J’ai travaillé une petite année à mi-temps afin de faire la transition avec la nouvelle employée et je me suis ensuite pleinement consacrée à la ferme ». En effet, dans une exploitation mixte d’élevage et de cultures, les occupations ne manquaient pas : « Nous élevions des veaux B-BB à l’engraissement et trayions 28 vaches dont tout le lait était transformé en beurre et vendu à domicile. Mon mari faisait également de l’entreprise avec son papa. Les journées étaient donc bien chargées mais notre fils Frédéric souhaitant continuer dans cette voie, les projets fourmillaient ». Frédéric rejoint ses parents sur l’exploitation en 1992 et donne également un bon élan à l’entreprise agricole familiale. « Nous pouvions désormais compter sur notre fils qui a dès alors pris la place des bons-papas qui étaient encore très présents dans la ferme même si, évidemment, ils ont continuer à nous aider lors des coups de feu. À l’époque, nous avons également repris les parcelles de cultures de mes parents ».

Malheureusement, Frédéric décédera dans un accident de voiture en 1995 : « Cela a été très difficile et tout a été remis en cause. Nos projets n’avaient plus de sens sans Frédéric. Néanmoins, nous avons décidé de nous raccrocher à notre exploitation. Le travail et notre couple extrêmement soudé nous ont véritablement sauvés ».

« Avant l’instauration du statut de conjointe aidante, les agricultrices n’étaient que « les épouses de » !»

Le statut de conjointe aidante : une reconnaissance essentielle !

En 1998, le couple décide de stopper le troupeau laitier moins compatible avec l’entreprise agricole en développement.

En 2000, l’instauration du statut de conjointe aidante permet à Jacqueline de réellement exister en tant que travailleuse : « Jusque-là, même si tout le monde respectait énormément mon travail, officiellement je n’avais jamais été que « l’épouse de » ! Ce changement a été essentiel pour les femmes agricultrices et encore plus pour moi car j’ai perdu mon mari des suites d’un cancer en 2009 ».

Pour Jacqueline, la gestion administrative et la prise de recul par rapport  à ce qui est entrepris sont deux clés de la réussite.
Pour Jacqueline, la gestion administrative et la prise de recul par rapport à ce qui est entrepris sont deux clés de la réussite.

Jacqueline est à nouveau confrontée au même dilemme : continuer seule l’entreprise et l’exploitation ou tout arrêter ou en partie. « Le souhait de mon mari était que je continue et c’est le travail qui m’avait déjà sauvée d’un premier malheur, j’ai donc décidé d’essayer. Dans cette épreuve, j’ai bénéficié de la réputation que José avait forgée toutes ces années et des valeurs qu’il véhiculait. Les clients m’ont suivi et fait confiance. Grâce à mon statut d’indépendante conjointe, j’ai pu m’installer en tant qu’indépendante à titre principal et prétendre au statut d’agricultrice complet grâce à mon expérience et malgré mon absence de formation agricole à la base. J’ai alors engagé David Frits, un ami d’enfance de Frédéric qui a repris le poste de José dans l’entreprise agricole. J’ai également décidé de me concentrer uniquement sur les cultures ».

La Champtaine

En 2013, Jacqueline crée la société La Champtaine dédiée à l’entreprise agricole avec David en tant qu’associé : « Professionnellement et personnellement, c’était évident et ça l’est toujours aujourd’hui. Je suis ce qu’on pourrait appeler une cheffe d’entreprise mais je m’occupe principalement de l’administratif, la gestion des intrants et l’intendance. Je monte rarement sur une machine, c’est le domaine de David. Nous décidons ensemble de l’organisation du travail mais, pour ce qui est outils, je me fie à son instinct et j’ai pleine confiance en lui. Chacun apporte ses compétences à La Champtaine ».

L’entreprise propose des services du semis à la récolte, avec un suivi cultural et/ou administratif voire complet dans certains cas. David, Jacqueline peuvent compter sur un autre ouvrier pour le travail au quotidien et sur plusieurs indépendants pour les compléments en saison. « Mon filleul et neveu de mon mari, Denis Gauthier vient également régulièrement nous aider. Ils travaillent dans la vente agricole mais est très impliqué dans l’entreprise et toujours présent aux moments clé. Je suis très heureuse de l’avoir à nos côtés. Denis et David travaillent dans le même esprit que mon mari et mon fils. C’était une grande fierté pour mon beau-père de le constater ».

Avec David et Denis, Jacqueline a toute confiance en l’avenir de la Champtaine.
Avec David et Denis, Jacqueline a toute confiance en l’avenir de la Champtaine.

Soutien indéfectible

Jacqueline a en effet toujours pu compter sur le soutien de son beau-père, José Strade : « J’ai eu la chance de pouvoir m’appuyer sur ma famille et ma belle-famille tout au long de mon parcours mais le soutien de mon beau-père a été merveilleux et je lui en suis extrêmement reconnaissante. Il a été l’un des premiers à me dire de continuer. Après toutes ces années de travail ensemble dans la ferme, nous avions tissé des liens forts et il a été là jusqu’à la fin, m’accompagnant au champ pour porter à manger et voir comment se déroulaient les récoltes… Il nous a quittés en 2017 mais sa plus grande satisfaction était de voir que l’entreprise perdurait et son nom et les projets de son fils et petits-fils à travers elle. Il était également très fier de voir que Denis participait à tout cela. C’était un homme qui aimait son métier et a transmis ses valeurs à sa famille. Pour lui la modernisation était un gage de réussite et montrait qu’on allait de l’avant ».

Jacqueline insiste sur l’importance de l’entourage dans un parcours de vie tel que le sien : « Je remercie mes parents pour la force de caractère qu’ils m’ont transmise. Tout au long de mon parcours, j’ai fait de belles rencontres, dans le milieu professionnel, dans mes clients mais aussi chez les fournisseurs. J’ai toujours pu m’appuyer sur nombre d’entre-eux. Plusieurs amis de mon fils et mon mari ont également été des points essentiels. Au niveau des entrepreneurs, je peux également tabler sur un bon cercle d’entraide. On n’hésite pas à se rendre des services. Je crois que dans nos vies et nos métiers, il est important d’être entourés de personnes valables, compétentes et fidèles ».

Présidente UAW, province du Brabant

Des personnes qu’elle a pu également croiser à l’Union des Agricultrices Wallonnes puisque Jacqueline a été présidente de la section locale de Wavre-Perwez-Jodoigne et est actuellement présidente de l’UAW de la Province du Brabant Wallon. « Ma maman faisait déjà partie de l’UAW, cela lui permettait de sortir de la ferme et de son quotidien. J’ai toujours pensé que je n’avais pas le temps pour ça mais depuis que j’y suis je me suis rendu compte que cela m’apportait énormément de lien et m’a permis de sortir de mon environnement essentiellement masculin. Ces rencontres sont l’occasion de partage d’expérience et j’ai découvert de sympathiques dames. Certaines sont devenues des amies, me conseillent et m’écoutent. Je ne peux que conseiller aux jeunes d’y aller. Je crois aussi qu’on ne sait pas vivre seule et que le partage avec les autres est enrichissant, aller vers les autres, apporter son aide est une de mes valeurs principales ».

« Mon mari m’a porté sur ses épaules et soutenu, il était normal que je fasse de même pour lui et prenne le relais. »

Et quand elle regarde en arrière…

Jacqueline dit ne rien regretter de son parcours professionnel : « L’une de mes forces a également été la bonne gestion administrative. Je crois qu’il faut être particulièrement attentif aux papiers. C’est bien de travailler mais il faut aussi savoir prendre le temps de s’asseoir et voir ce qui est rentable ou ne l’est pas. Si je devais refaire ma vie, je referais la même chose, sans les drames évidemment. Je ne regrette pas les choix que j’ai posés et je reste positive pour l’avenir de l’agriculture. Je pense que quand la vie nous apporte des épreuves soit on reste derrière le mur et on ne voit plus rien, soit on choisit de le traverser. C’est ce que j’ai fait et il en est ressorti des choses positives. Mes proches me manquent mais le mieux à faire pour leur rendre hommage est que le temps sans eux s’écoule le mieux possible. Mon mari m’a porté sur ses épaules après la disparition de notre fils, j’ai ensuite pris le relais. Si j’y suis arrivée, c’est aussi grâce à toutes les valeurs que José, mes parents et beaux-parents m’avaient transmises ».

D.Jaunard

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