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Agr-e-Sommet de Libramont : l’éleveur, ses données et la vache dans le nuage

Si l’agriculture a été de toutes les évolutions technologiques, la massification et la densification des données stockées et partagées dans le « cloud » constituent un enjeu crucial touchant à leur privatisation. Le débat, urgent, est au cœur du secteur de l’élevage de demain.

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D’abord réalisée sur papier, la collecte de données s’est informatisée au fil du temps pour aboutir à une centralisation et une interconnexion de l’information qui ont permis une simplification de la vie des éleveurs. Avec la digitalisation de l’agriculture, les données alimentées par l’éleveur, les techniciens et collectées de façon continue en temps réel grâce, par exemple, aux capteurs positionnés sur les animaux, sont ensuite partagées avec différents acteurs afin de leur faciliter le quotidien.

Mais pas que. Car le développement des capteurs concerne les exploitations dans leur totalité, ils sont pluviométriques, anémométriques, tensiométriques, barométriques, des capteurs d’humidité, des caméras qui font tous exploser le volume des données agricoles. On peut également mentionner ceux qui sont présents sur les engins agricoles tels que les capteurs de position, les accéléromètres, les capteurs de pression, de position, de niveau.

La filière laitière est certainement celle qui est la plus avancée dans le Big Data. Les constructeurs de robots ont accès à un grand volume de données. Par le biais de leur expertise, ils peuvent proposer aux éleveurs un service à haute valeur ajoutée. Ils réalisent également de la maintenance prédictive afin d’anticiper les pannes. En ce qui concerne les élevages de porcs et de volailles, des balances connectées permettent d’ajuster la nourriture selon la croissance de l’animal.

Les données sont désormais stockées et partagées dans le « cloud » ou « cow computing » avec l’avantage de créer de la valeur car c’est en partageant, indique Carlo Bertozzi, directeur innovation chez Elevéo que l’on pourra développer de nouveaux services ou outils d’aide à la décision (OAD) sans compter que cela permettra aux éleveurs de se comparer afin de se positionner et, par là même, de progresser.

Quelle place pour l’éleveur dans le « cow computing » ?

Toute médaille ayant son revers, d’aucuns s’interrogeront sur la façon dont seront utilisées ces données et, surtout, par qui… Une inquiétude renforcée par le flou juridique entourant la collecte de données agricoles et leur privatisation : « les leaders de ces technologies de pointe alimentées par les éleveurs sont des acteurs privés, eux-mêmes parfois rachetés par des multinationales pharmaceutiques » développe M. Bertozzi en insistant pour que la place qu’occupera l’agriculteur dans le « cow computing » soit à la fois centrale mais partagée selon un modèle coopératif.

C’est dans cette optique qu’Elévéo a initié le projet « WaLLeSmart », une plateforme numérique permettant le développement d’une solution centrale de gestion du Big Data qui vise à éviter les lourdeurs administratives, traiter collectivement la donnée pour en tirer un maximum de connaissances afin de renforcer les OAD mais surtout de sécuriser l’accès et la propriété des données des éleveurs avec un hébergement sûr et un paramétrage des accès aux données et aux services. Les éleveurs sont mis au centre de la gestion des autorisations liées aux données qui les concernent afin de préserver leur autonomie par rapport au secteur privé (fabricants de robots, Gafa…).

Le système bénéficie de trois niveaux de sécurité et permet en outre aux fournisseurs de données de gérer eux-mêmes les autorisations de leur utilisation grâce à un gestionnaire d’authentification de l’autorisation pour accéder aux informations. Les éleveurs, ainsi que d’autres adhérents, seront pour leur part intégrés dans la gouvernance de la plateforme.

Pour Carlo Bertozzi, « l’innovation naîtra du partage dans une approche transparente et collective ».

« La fracture numérique existe aussi dans le secteur agricole »

Pour la Fédération wallonne de l’agriculture, il s’agit tout d’abord de permettre à toutes les exploitations familiales d’avoir accès aux nouvelles technologies. « Si pour certains, elles constituent une évolution, pour d’autres c’est une révolution, raison pour laquelle il faut à la fois accompagner et emmener les différentes catégories d’âges dans ce processus, d’où l’importance de la formation dans les écoles d’agriculture » a indiqué Marie-Laurence Semaille, conseillère au sein du service d’étude de la FWA.

Une carrière agricole, c’est long et certains agriculteurs n’ont pas encore conscience de l’atout que les nouvelles technologies peuvent leur apporter dans leur quotidien. Pour la FWA, tous les secteurs n’ont pas les mêmes besoins en termes de technologies et de données, par exemple en matière de contrôle et de traçabilité dans les filières, sans compter, selon la conseillère du service d’étude, « qu’il faut une juste répartition du coût de la captation de ces données ».

« Le maillon de départ ne doit faire les frais de la mise en œuvre d’une traçabilité numérique tout au long de la filière » indique M. Semaille en précisant que « l’agriculteur doit continuer à maîtriser ses données ».

La FWA questionne en outre la valeur commerciale d’une donnée agricole, et la façon dont elle est traitée dans un cadre d’amélioration, du développement et de modernisation du secteur et celle dont l’agriculteur est amené à la récupérer.

« L’agriculteur doit maîtriser, à titre individuel, sa donnée dont il doit rester propriétaire » insiste Marie-Laurence Semaille qui fonde beaucoup d’espoirs dans l’accompagnement au niveau de la Région wallonne et le soutien public, essentiel pour capter les données, les stocker, les sécuriser.

Et d’ajouter qu’il est rassurant de constater que le Plan de relance wallon prévoit des moyens conséquents dévolus à la numérisation de l’agriculture.

«À nous de capitaliser sur ce point pour qu’un maximum d’agriculteurs puisse ressortir gagnants dans ce transfert de technologies en agriculture ».

Marie-France Vienne

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