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Agr-e-Sommet de Libramont : des chasseurs-cueilleurs à l’élevage connecté

Cela fait des milliers d’années que l’homme et l’animal cohabitent et interagissent dans l’objectif vertueux de nourrir les populations. Une relation qui a pris une tout autre dimension avec le développement exponentiel de l’informatique qui s’est inéluctablement rapprochée de l’élevage pour se mettre à son service.

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Un long cheminement qu’a déroulé le vétérinaire Léonard Theron dans le cadre de l’Agr-e-Sommet de Libramont du 17 décembre 2021.

« La numérisation, ou digitalisation, consiste à transposer les réalités agricoles en chiffres. Si ce ne sont pas encore les animaux qui pianotent sur un clavier, nous n’en sommes pas loin, puisqu’aujourd’hui des vaches sont capables de piloter des systèmes d’élevage » pose M. Theron.

L’homme et l’animal, une relation ambivalente et interdépendante

Cette histoire débute voici 50.000 ans, moment où les hommes se sont mis à observer la nature et en particulier les premiers ruminants. L’animal tient alors une place prépondérante dans leur culture – on le voit dans l’art pariétal essentiellement animalier –, car il est pour eux un ensemble de ressources, alimentaires et non alimentaires, essentielles. Celles-ci témoignent de la relation ambivalente et interdépendante qui s’est installée entre l’homme et l’animal, faite tout à la fois d’admiration et de nécessité de survie.

Passée l’étape des chasseurs-cueilleurs nomades qui suivent les mouvements de la faune chassée, les hommes établissent des campements temporaires en fonction de leur zone de chasse et des saisons, ils se sédentarisent grâce à l’agriculture et à l’élevage. C’est tout d’abord au Moyen-Orient que l’on retrouve les traces des premières communautés agricoles, plus particulièrement dans le « croissant fertile », la zone formée principalement par les actuels Israël, Cisjordanie et Liban. Elle bénéficiait à l’époque de conditions climatiques clémentes qui ont favorisé l’essor de nouvelles technologies.

Un peu plus loin sur la ligne du temps, voici quelque 7.500 ans, la rupture du barrage naturel formé par la langue de terre qui sépare la Grèce de la Turquie provoquait un déversement brutal des eaux méditerranéennes dans le bassin de la mer Noire. Cette inondation, qui a recouvert 100.000 km² a déclenché une diaspora massive des premiers agriculteurs, accélérant du même coup la diffusion de l’agriculture en Europe.

« la civilisation occidentale moderne est inspirée par les modèles d’élevage »

Les communautés agricoles se multiplient, les hommes observent les animaux, commencent à noter les stocks, l’évolution des saisons, la localisation des parcelles, les noms des propriétaires des animaux. « Il s’agit là de l’ancêtre des toutes premières comptabilités agricoles » précise Léonard Theron pour qui il est remarquable que « le moteur de la civilisation moderne qu’est l’écriture, c’est un peu l’agriculture qui en a été l’étincelle ». Et c’est en quelque sorte, une forme de numérisation.

Tout au long de l’évolution humaine on se rend compte que la civilisation occidentale moderne est inspirée par les modèles d’élevage. Les agriculteurs comptent les animaux, rationnalisent les stocks en fonction des personnes à nourrir mais aussi pour se prémunir des famines.

Au XIXème siècle, en observant des petits pois, le botaniste autrichien Gregor Mendel pose les bases de la génétique moderne en comprenant l’intérêt de compter les croisements pour pouvoir améliorer les variétés de semences. Cette approche quantitative de la génétique est suivie par des agriculteurs qui deviennent les premiers agronomes sélectionneurs.

R. Bakewell a développé le mouton Leicester , un animal en forme de tonneau qui produisait une longue laine grossière et fournissait également un bon rendement en viande grasse de haute qualité.
R. Bakewell a développé le mouton Leicester , un animal en forme de tonneau qui produisait une longue laine grossière et fournissait également un bon rendement en viande grasse de haute qualité.

L’un d’eux, le britannique Robert Bakewell, est aujourd’hui reconnu comme l’une des figures les plus importantes de la révolution agricole outre-Manche. Il est le premier à mettre en œuvre l’élevage sélectif systématique du bétail et aussi le premier à élever du bétail utilisé principalement pour la viande bovine. Ses progrès ont non seulement conduit à des améliorations spécifiques chez les moutons, les bovins et les chevaux, mais ont contribué à la connaissance générale de la sélection artificielle. « Inspiré par Gregor Mendel, il fait des croisements dirigés d’animaux pour optimiser les races, les rendre plus domesticables et leur donner des caractéristiques propres » détaille Léonard Theron.

La pesée du lait, ancêtre du contrôle laitier

La pesée du lait, ancêtre du contrôle laitier qui prendra quant à lui son essor à partir des années ‘60, était déjà une forme de numérisation puisque l’on a « transformé la production des vaches en informations chiffrées pour pouvoir s’en servir comme critères de sélection » pose Léonard Theron.

Pour répondre aux craintes, voire à la peur de certains éleveurs, la solution consiste à les placer au centre de l’évolution afin qu’ils puissent au mieux en bénéficier. On voit alors émerger des rameaux très laitiers et d’autres plutôt allaitants au départ d’une agriculture où la plupart des races avaient des finalités mixtes. Pour M. Theron, « il s’agit de la première étape moderne de la digitalisation en élevage ».

Les années ’90 enregistrent l’arrivée des premiers robots de traite, fruits de la finesse de l’observation des animaux au niveau de leurs rythmes, de leurs besoins. C’est également une forme de digitalisation au sens ou l’animal peut choisir lui-même son rythme d’élevage. Une avancée « visionnaire » quand on sait que plus de deux machines sur trois installées en agriculture sont des robots.

L’avènement des smartphones, quelques années plus tard, marque un tournant fondamental en agriculture explique Léonard Théron, précisant que « si les données agricoles, couplées à un travail d’observation au quotidien, sont déjà partiellement digitalisées dans les ordinateurs des éleveurs, l’arrivée du smartphone permet de les intégrer et d’en disposer à tout moment pour prendre des décisions précises au niveau sanitaire et de la durabilité ».

« L’agriculture est la mère de la numérisation »

En 2021 et maintenant 2022, nous sommes à l’ère de l’intelligence artificielle dans les systèmes d’élevage qui permet à des caméras, des ordinateurs de reconnaître des données, d’avertir l’éleveur afin de l’aider à améliorer son travail en lui servant d’assistant numérique dans un monde en perpétuelle mutation.

« La rencontre entre le numérique et l’élevage n’est pas une révolution mais une évolution » poursuit Léonard Theron en indiquant que « l’agriculture est en quelque sorte la mère de la numérisation ».

Les éleveurs ont commencé à écrire pour suivre leurs données agricoles, les ingénieurs ont mis l’intelligence artificielle dans le génie civil pour faire de l’agriculture dont l’évolution s’est associée à la numérisation.

Pour Léonard Theron, « le numérique est une opportunité et une fatalité » dans le secteur de l’élevage.

Marie-France Vienne

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