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«Bêteraviers»: équitable rimait avec durable

En 2020, nous avons cultivé nos betteraves sans en tirer de bénéfices, juste de quoi couvrir nos frais. Selon différentes comptabilités, le prix de revient moyen d’un ha de betteraves est de 2.380 €/ha soit exactement ce que peut toucher, si le prix de 28 € ne change pas, celui qui fait 85 t à 18º. Pour 2021, (prenez une chaise et votre mouchoir avant de poursuivre cette lecture) on prévoit 84 t/ha à 17º soit 79,5t à 18º pour les planteurs de la RT et 78 t/ha à 17.2º soit 74,5 t à 18º pour ceux livrant à Iscal. C’est effrayant, ce qui voudrait dire que nous aurions investi et travaillé pendant un an pour perdre pas mal d’argent. Voici des exemples concrets : sans hausse de prix pour 2021, un betteravier de Longchamps, cultivant 13 ha de betteraves perdrait en moyenne 2.000 € et un d’Iscal, 3.800 €! C’est inacceptable et peut-être même peu légal car le législateur n’accepte qu’on vende à perte uniquement sous certaines conditions.

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Depuis des années, au moment d’établir notre assolement, on nous laisse espérer une amélioration du prix du sucre sur le marché mondial mais, au moment du paiement… on ne voit pas grand-chose. Pour 2022, j’ai bien peur qu’on nous annonce une augmentation de prix de 3 ou 4 € pour nous amadouer, ce qui n’améliorerait en rien la rentabilité de cette future campagne vu les différentes hausses, celles des engrais en particulier. Toutes les astuces sont bonnes pour noyer le poisson et presser encore un peu plus le citron, par exemple passer la barre de 16º à 17ºpuis 18º.

Les jeunes, pour obtenir les aides à la reprise, doivent faire une comptabilité. Ils ont ainsi pris conscience de cette triste réalité. Resterait-il dans notre ADN quelques traces du moyen âge où les serfs étaient taillables et corvéables à merci ?

Certains ont besoin de pulpes pour leur bétail. On entend que le prix de celles-ci pourrait monter de 5 €, prix auquel s’ajoute 4.55 € de transport, on constaterait alors que le prix d’un sous-produit est proche de celui de la betterave. Pour échapper à cela, certains ont réservé une petite parcelle de leur ferme pour implanter des betteraves demi-sucrières ou fourragères produisant facilement 100t/ha et plus. Celles-ci, en mélange avec du maïs ou d’autres fourrages, donnent un excellent aliment, l’eau de végétation de ces racines est très intéressante pour le transit et est de plus chargée d’oligo-éléments.

Nous sommes bien mal récompensés d’être devenus les meilleurs betteraviers de la planète et d’avoir été très patients, courageux, tolérants pour supporter si longtemps pareille situation en attendant des temps meilleurs. Et en remerciement, on vous fera l’odieux chantage de fermer la sucrerie au profit des fermiers allemands tout en voulant nous en faire endosser la responsabilité. Ce chantage est incompréhensible et absurde pour tant de raisons : qui seraient punis si on fermait une usine ne rapportant qu’aux sucriers ? Nous aurions difficile de croire que les agriculteurs allemands, reconnus pour être de bons financiers, augmenteraient les surfaces d’une culture non rentable. Ce qui est simple et évident pour des gens de bon sens comme nous est parfois difficile à appréhender par les sucriers à savoir qu’une râperie ne peut recevoir que des betteraves alors que nos terres peuvent aussi accueillir plus de colza à 700€/ t ou de blé à 240€… et qu’une sucrerie sans betteraves, non seulement ne vaut rien mais sa démolition et sa dépollution risquent d’être un gouffre financier. Il est confortable pour les sucriers de demander aux entrepreneurs de faire des investissements colossaux pour s’équiper d’intégrales, d’avaleuses valant le prix d’une très belle maison afin de fournir, même en conditions difficiles, des racines propres et entières à une usine qui ne donne pas l’exemple avec un équipement vieillissant et un entretien perfectible.

Ayant mis avec passion pendant 50 ans ma toute petite goutte d’eau dans l’évolution de la technique de préparation de sol, binage, bâchage, je serais d’autant plus peiné de voir disparaître une culture que nous aimons ou avons aimé et en laquelle nous excellons.

Nous voudrions aider notre interlocuteur historique, CEO de la RT, placé inconfortablement entre le marteau et l’enclume, en lui proposant de découper tous ces articles et les transmettre à Sudzucker. Ces industriels allemands doivent comprendre, comme l’écrit si bien Judith Braconnier dans Le Betteravier, qu’ils se tirent eux-mêmes une balle dans le pied. Sans un apport rapide d’oxygène ou plutôt d’euros pour les planteurs, la culture de la betterave sera douloureusement dirigée vers les soins intensifs et pour la première fois, nous serons à côté des industriels pour ensemble pleurer sa disparition.

Terminons avec l’espoir d’être entendu. De bonnes cartes sont dans les mains des administrateurs de Sudzucker. Ils devraient être heureux de pouvoir travailler avec des betteraviers intelligents, performants suivant les conseils d’excellents instituts comme l’IRBAB, le CRAW… et cultivant sur les meilleures terres et sous le meilleur climat pour la betterave. Sudzucker peut être aidé aussi par le politique qui sait qu’importer du sucre de cannes est mauvais pour le climat tant par la pollution due au transport que par la déforestation. En Hollande, la coopérative Cosun achète aux fermiers des betteraves à 17º à 35 €/t et ce prix peut encore nettement monter suivant les résultats de l’entreprise. Il faut parfois imiter un voisin plus petit que soi afin que vous et nous puissions tous en sortir gagnants.

André Jadin,

Meux.

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