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Les Outils d’Aide à la Décision pour optimiser la valorisation des ressources fourragères en élevage laitier

Depuis 3 ans, le projet Effort, mené par le Centre wallon de Recherches agronomiques (Cra-w), vise à améliorer la valorisation des ressources fourragères dans les exploitations laitières. Un enjeu de taille puisque les fourrages, ne serait-ce qu’au sein d’une même exploitation, présentent une qualité fort variable.

Temps de lecture : 7 min

En effet, une herbe pâturée et valorisée à un stade jeune peut atteindre jusqu’à 250g MAT/kg MS alors qu’un foin médiocre réalisé en conditions humides peut tendre vers la qualité protéique d’une paille, c’est-à-dire presque 0. Pourtant, optimiser l’utilisation des fourrages herbagers permet d’améliorer de nombreux aspects de la durabilité : autonomie, rentabilité ou encore réduction de la compétition avec l’alimentation humaine. Ainsi, dans l’optique de guider les éleveurs dans cette tâche complexe, de nombreux outils d’aide à la décision (OAD) ont été développés. Malheureusement, force est de constater que les éleveurs les adoptent peu. Nous nous sommes demandé pourquoi et surtout comment mieux faire ?

En élevage, tout système peut être appelé outil d’aide à la décision (OAD) s’il permet de prévoir ou de contrôler la gestion à court terme ou de repenser l’orientation de son système d'élevage en procurant des indicateurs associés à un modèle d’interprétation, qu’il soit informatisé ou non.

Mais un Outil d’Aide à la Décision (OAD), c’est quoi ?

La science des OAD se développe peu après la deuxième guerre mondiale avec les premiers modèles de prédiction informatisés. Vu la technicité grandissante nécessaire en élevage, l’espoir était qu’ils deviennent pour l’éleveur un conseiller disponible en tout endroit et à tout moment. L’idée était certes attirante mais les résultats se sont révélés décevants : la distance entre théorie et pratiques agricoles a souvent freiné les éleveurs dans l’utilisation de ces outils. Face à ce manque d’adoption, les stratégies évoluent du côté de l’offre technique. Au départ de modèles strictement informatiques, ces outils évolueront vers tout type de systèmes, incluant des objets ou des formats papiers. L’idée est de guider la prise de décision plutôt que de fournir la décision dite « optimale ». C’est un premier pas vers une reconnexion aux modes de gestion pratique ou savoir-faire des éleveurs et conseillers. Parallèlement, ces dernières années, la révolution numérique entraîne en agriculture la création d’OAD de plus en plus automatisés bouclant le cycle de la prise d’information (capteurs) à la prise de décision (traite automatisée par exemple).

De nombreux OAD existent !

Deux échelles de temps peuvent être considérées lors de la prise de décision : une échelle opérationnelle et tactique, à court terme, et une échelle stratégique avec une vue à plus long terme de l’orientation de l’exploitation (Fig. 1.). De manière prévisionnelle, les outils peuvent aborder la question du choix des fourrages à implanter (mélanges prairiaux, choix d’inter-cultures fourragères, …), de la fertilisation, de la gestion du pâturage ou encore du moment optimal de récolte. Outre cela, certains outils permettent d’approcher la question de l’allocation optimale des fourrages au troupeau par la réalisation d’un bilan fourrager. Enfin, certains outils permettent d’adapter la complémentation en concentrés à la ration fourragère de base (tableur de ration) et d’orienter la génétique du troupeau de manière à s’adapter au système en place. L’éleveur peut ensuite contrôler l’effet des actions mises en place (gestion rétrospective). Par exemple, l’alimentation du troupeau peut être évaluée à l’aide d’indicateurs liés à la production laitière (taux TB/TP et taux d’urée), d’indicateurs de santé animale ou de performances (efficience d’utilisation des concentrés). Des bilans annuels peuvent également être réalisés pour faire le point sur l’entièreté de la campagne réalisée. Ceux-ci sont notamment introduits au sein de certaines comptabilités agricoles. En résumé, une offre très diversifiée d’outils existe déjà, agissant à différents niveaux et disponibles en différents formats.

Fig. 1 : Catégories d’action en lien avec la valorisation des ressources fourragères en élevage laitier.
Fig. 1 : Catégories d’action en lien avec la valorisation des ressources fourragères en élevage laitier.

Et en Wallonie ? Enquête sur leur utilisation réelle dans notre région

En mars 2021, nous avons lancé une enquête en ligne à laquelle 61 éleveurs laitiers ont répondu. Toutes les régions agricoles sont représentées ainsi qu’une diversité de niveaux de production et de tailles d’exploitation. L’enquête questionne l’utilisation de 27 types d’OAD répartis en quatre catégories : aide au pâturage, à la gestion technique des prairies, de l’alimentation et technico-économique. Ils sont répartis en trois classes de technicité : indicateur (I), programme informatique (S) et outil automatisé (AT). Les freins et leviers à leur utilisation, les sources de formation et d’information disponibles ainsi que l’intérêt des éleveurs pour leur acquisition ont également été questionnés.

Sur la Fig.2, on remarque que les OAD les plus fréquemment utilisés par les éleveurs sont des indicateurs relativement simples et disponibles en ferme par d’autres canaux (analyses de lait sur facture, indicateurs de performances présents sur les comptabilités agricoles) ou sollicités lors d’analyses ponctuelles (analyses de sol ou de fourrages). Les programmes informatiques et lesdits outils automatisés sont utilisés à bien moindre fréquence. Henry Kohnen, professeur retraité au Lycée Technique Agricole (Luxembourg), dit en effet que le moyen le plus efficace d’aider les éleveurs à améliorer leurs pratiques est de leur fournir des indicateurs simples et ce, de manière régulière. Les éleveurs peuvent ainsi trouver eux-mêmes les solutions adaptées au contexte de leur exploitation.

Fig. 2: Fréquence d’utilisation de 27 types d’OAD par 61 éleveurs laitiers en Wallonie. Le pourcentage indiqué représente la proportion d’éleveurs utilisant le type d’outil. Pls – Plusieurs, Qqes – Quelques.
Fig. 2: Fréquence d’utilisation de 27 types d’OAD par 61 éleveurs laitiers en Wallonie. Le pourcentage indiqué représente la proportion d’éleveurs utilisant le type d’outil. Pls – Plusieurs, Qqes – Quelques.

Le coût et le temps sont à la fois des freins et des leviers

Les résultats de l’enquête montrent que les principaux freins liés à l’acquisition et l’utilisation d’OAD sont en lien avec le coût et le besoin en temps. En effet, les éleveurs trouvent que l’introduction des données nécessaires est trop long et qu’il y a trop peu de communication entre les différents outils. De manière moins significative, on note également un manque de confiance des éleveurs en la fiabilité et la robustesse des outils à leur disposition. Paradoxalement, les leviers à une plus grande utilisation sont en lien avec la capacité à stocker les informations d’élevage et à réduire les charges financières (de par une réduction d’intrants, etc.) et le temps d’astreinte. On remarque une potentielle contradiction dans le fait que les freins et leviers principaux soient tous deux le coût et le temps. Il faut donc potentiellement un investissement en temps et/ou monétaire dans les OAD pour induire des gains ultérieurs sur ces deux aspects.

Intérêt et encadrement à disposition

Environ un tiers des éleveurs se disent intéressés par l’acquisition d’un outil d’aide à la décision mais seulement 5% y réfléchissent activement. L’intérêt est le plus présent pour les outils de la catégorie « alimentation » suivie par la catégorie « pâturage » bien que cette dernière montre actuellement la plus faible utilisation. D’ailleurs, les outils les plus fréquemment cités sont l’herbomètre et les programmes informatiques de gestion du pâturage. Il existe donc un réel challenge à la création d’OAD liés à la gestion du pâturage.

Environ 30% des éleveurs interviewés trouvent que les informations à propos de la disponibilité et de l’utilisation de tels outils sont insuffisantes. Des différentes sources d’information existantes, les éleveurs se disent le mieux accompagnés par internet. La formation initiale et continue ainsi que les échanges avec d’autres éleveurs sont insuffisants pour presque la moitié des répondants. La communication autour de telles aides reste donc primordiale mais l’accent devrait être mis davantage sur l’aspect participatif (groupes d’échanges) et sur le long terme (formation continue).

Créer des OAD plus efficaces: aller de l’incompréhension à la création d’un « langage commun »

Les acteurs du monde agricole sont confrontés, à l’émergence de nombreuses techniques et équipements pleins de promesses. Certains, notamment l’herbomètre, semblent pertinents pour optimiser la valorisation de l’herbe pâturée. Comme le montre notre étude, les éleveurs laitiers font le plus souvent appel à des indicateurs simples plutôt qu’à des modèles informatiques et/ou des outils automatisés. Au-delà des coûts et de la charge de travail, nous pensons qu’il existe également un problème dans l’approche-même de conception des OAD : la distance trop importante entre les agriculteurs et les concepteurs de ces dispositifs. Concernant certains OAD, le manque de communication, de « langage commun », est réel.

En effet, pour qu’un outil puisse être utile, il doit accompagner les pratiques de l’utilisateur. Autrement dit, le savoir-faire doit être préservé et valorisé. Nos entretiens avec certains membres de la filière mettent cela en avant. En parlant de la pousse de l’herbe, un conseiller nous confie notamment son questionnement face à ces outils qui essayent de « faire le bonheur des éleveurs malgré eux ». Les éleveurs utilisent, selon lui, « leur bon sens lorsqu’ils voient leurs vaches et leurs prairies », grâce à leurs connaissances intimes de leurs prairies. Il y a « autant de variantes que d’éleveurs », ce qui motive la création d’outils adaptables ou de plusieurs outils en fonction des affinités de chacun. Au lieu d’étudier « comment améliorer l’adoption d’outils d’élevage existants ? », nous nous demandons donc « comment concevoir des outils de manière plus efficace et correspondant mieux aux pratiques et attentes des éleveurs ?».

Caroline Battheu-Noirfalise, Adelise Lefèvre, Romane Vanhakendover

Cra-w

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