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Les mécanismes de résistance contre le mildiou (Plasmopara viticola) chez les cépages interspécifiques

L’espèce de vigne domestiquée en Europe depuis plus de 6000 ans avant notre ère est Vitis vinifera. Cependant, bien d’autres espèces existent dans le monde, réparties sur l’ensemble du globe terrestre : V. labrusca, V. berlandieri, V. riparia, V. amurensis…

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A vant l’arrivée du phylloxera et des autres maladies de la vigne (mildiou, oïdium, black-rot) venues d’Amérique à la fin du XIXe siècle, suite aux échanges commerciaux, le viticulteur européen n’avait pour ainsi dire à redouter que les accidents d’origine météorologique (gelées…). La vigne européenne (V. vinifera) n’ayant pas développé de mécanismes de résistance au cours de son évolution, celle-ci fut littéralement ravagée par ces ravageurs et maladies nouvellement introduits à cette époque, et failli disparaître de nos régions. Si elle existe encore aujourd’hui, c’est premièrement grâce à l’utilisation de porte-greffes d’origine américaine résistants au phylloxera.

Toutefois, le porte-greffe ne résout pas le problème de sensibilité aux maladies telles que le mildiou (Quéré, 2012). Pour cela, une solution fut d’exploiter la résistance naturelle de certaines espèces de vignes dans la création de nouveaux cépages. Les cépages hybrides ou cépages « interspécifiques » étaient nés, issus d’un croisement entre deux espèces de vignes, souvent la vigne européenne (V. vinifera) avec une vigne américaine (V. labrusca, V. rupestris, etc.) ou avec une vigne asiatique (V. amurensis par exemple) particulièrement résistante.

La sensibilité accrue de Vitis vinifera au mildiou et à l’oïdium en fait un des cultures les plus dépendantes aux fongicides en Europe. Dès lors, le recours à des cépages résistants constitue le premier moyen de lutte contre ces maladies et un des principaux leviers agronomiques pour réduire l’usage de fongicides.

Répartition des grands groupes de Vitaceae dans le monde.
Répartition des grands groupes de Vitaceae dans le monde.

Quels mécanismes de défense naturelle contre le mildiou ?

Les mécanismes de résistance développés par le genre Vitis sur d’autres continents sont complexes et multiples. Les réponses de la plante suite à l’infection par le champignon peuvent être spécifiques à ce champignon ou non. Dans le cas du mildiou (Plasmopara viticola), on observe la mise en place d’au moins deux mécanismes (Groupe ICV, 2013) :

1. synthèse de callose dans les stomates qui permet de renforcer la paroi cellulaire et d’ainsi limiter l’entrée du pathogène dans la plante ;

2. synthèse de molécules de défenses : les stilbènes. Ces molécules de défenses peuvent être produites sur les feuilles et sur les grappes. La particularité des cépages interspécifiques est de produire des stilbènes toxiques pour le champignon en forte concentration et capables de le combattre et de le détruire. On verra alors apparaître des nécroses sur les zones concernées suite à la mort cellulaire des tissus (Vireta, Springb, & Gindroc, 2018).

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Les gènes de résistance

Une grande diversité de gènes de résistance contre mildiou a été identifiée sur les Vitis sauvages. L’analyse récente du génome de la vigne a permis de localiser ces gènes sur les chromosomes. Pour la majorité des cépages interspécifiques actuellement plantés en Europe, ces gènes se trouvent dans les régions chromosomiques bien identifiées (QTL) suivantes : Rpv1, Rpv3, Rpv10 et Rpv12 (Wingerter, Eisenmann, Weber, Dry, & Bogs, 2021). Ces gènes permettent une reconnaissance du pathogène et déclenchent des mécanismes de défense tels que l’apparition de nécroses et freinent le développement du pathogène dans la plante.

Le même exercice d’identification a été réalisé pour l’oïdium (Erysyphe necator) et a également permis de mettre en évidence des gènes de résistance pour cette maladie (gènes « Ren »).

Les gènes de résistance identifiés pour les quelques cépages interspécifiques couramment plantés en Belgique sont repris dans le tableau 1.

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Les pathogènes peuvent-ils « contourner » la résistance ?

La plupart des facteurs génétiques identifiés à la base des résistances sont impliqués dans des relations « gène pour gène » avec les pathogènes. Cela signifie que ces caractéristiques ne sont pas forcément stables et que la résistance pourrait être contournée par une souche particulièrement virulente du pathogène.

Afin de limiter les risques de contournement des résistances, plusieurs mécanismes sont mis en place dans les programmes de création récents des nouveaux cépages interspécifiques :

– associer plusieurs gènes de résistance dans la même variété ;

– privilégier les gènes de résistance à large spectre capable de contrôler une gamme importante de souches d’un même pathogène (Merdinoglu, Schneider, Prado, Wiedemann-Merdinoglu, & Mestre, 2018).

Quel est le degré de résistance des cépages interspécifiques les plus plantés en Belgique ?

Des cotations (observations du degré d’attaque de la maladie) sont réalisées chaque année dans le vignoble expérimental du CARAH. Une moyenne des dégâts observés en 2021 a été réalisée avec les cotations réalisées par l’ICV (Groupe ICV, 2013). Les résultats sont présentés dans le Tableau 2.

Les cépages en tête de classement sont Bronner, Solaris, Muscaris, Monarch et Souvignier gris. Les cabernets se situent en milieu de classement pour terminer avec Johanniter, Helios, Regent et Pinotin. Il est intéressant de constater que les cépages les plus résistants dans le contexte de cette année 2021 sont ceux qui possèdent les gènes Rpv10 ou 12 d’origine asiatique, et que les plus sensibles sont ceux qui possèdent uniquement un gène Rpv3. Au sein des gènes Rpv3, le gène Rpv3.1 semble le moins performant. De manière générale, la résistance polygénique semble mieux fonctionner.

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Le choix du cépage, le premier levier à activer

Même si on recense plusieurs milliers de cépages différents de par le monde, les efforts des sélectionneurs et des hybrideurs pour créer de nouvelles variétés sont encore aujourd’hui d’actualité.

Quand un nouveau cépage arrive enfin sur le marché, il faut se souvenir que les premiers pépins issus de ce croisement entre deux parents ont été plantés plus d’une dizaine d’années auparavant. En effet, vont s’en suivre de longues années d’évaluation de leur capacité à résister aux maladies et de la qualité du vin qu’ils peuvent produire. Le principal challenge étant de combiner ces deux caractéristiques au sein d’un même cépage.

Ensuite seulement, le cépage pourra être multiplié et mis sur le marché. Créer un nouveau cépage représente bien souvent le travail d’une vie ! Face aux préoccupations environnementales actuelles, le choix du cépage reste le premier levier pour lutter contre les maladies de la vigne. L’hybridation a donc encore de longues années prometteuses devant elle…

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Julien Louvieaux, Anouck Stalport, Olivier Mahieu

Carah – Cellule Technique Viticole

HEPH-Condorcet

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