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Les cépages résistants, la viticulture «verte»

En 20 ans, les variétés de vignes résistantes aux maladies sont devenues incontournables en Belgique. Outre l’émergence de pratiques respectueuses de l’environnement, elles permettent aux vins belges de se forger une identité originale. De nouvelles variétés arrivent bientôt de France et d’Italie.

Temps de lecture : 9 min

Apparus après le phylloxéra pour reconstruire le vignoble européen décimé par ce redoutable insecte, les cépages hybrides descendent de parents européens (Vitis vinifera) et américains (Vitis labrusca et riparia), ou même asiatiques (Vitis amurensis). Les défauts aromatiques des premières générations d’hybrides ont entraîné leur éviction au début du siècle dernier, mais tous les porte-greffes actuels sont toujours des hybrides. Depuis les années 60 environ, plusieurs instituts et centres de recherche européens ont réalisé d’autres croisements et mis au point des variétés résistant aux maladies les plus courantes de la vigne (mildiou, oïdium, black rot), permettant ainsi de réduire fortement les traitements et l’usage de pesticides.

Les premières variétés sont essentiellement originaires d’Allemagne ou de Suisse, la France étant toujours restée timide en la matière, coincée par les contraintes des cahiers de charges (voir infra). Créé en 1967 par le Julius Kühn Institut pour la sélection des cépages à Geilweilerhof, le Regent est le cépage résistant le plus diffusé en Allemagne, il est aussi le premier à avoir été accepté dans une appellation protégée. Dans les années 1970 et 80, le Weinbauinstitut de Fribourg obtint des variétés telles que Bronner, Solaris, Souvignier gris, Muscaris, Cabernet Cortis, Cabernet Cantor, Monarch… Des hybrideurs privés, notamment Valentin Blattner en Suisse, sont également à l’origine de variétés aujourd’hui très appréciées comme le Cabernet blanc, le Cabernet Jura, le Cabertin ou le Pinotin. Tous ces noms sont aujourd’hui bien connus chez nous.

Les pionniers belges

Même si la viticulture a une histoire de plusieurs siècles dans notre pays, elle a surtout repris dans les années 1970 autour de Huy et de Borgloon, grâce aux vignerons amateurs que l’on a longtemps taxés de « folkloristes » et qui, à force d’essais-erreurs, ont prouvé qu’il était possible de faire du vin de qualité en nos contrées au climat si capricieux.

À leur époque, les variétés résistantes n’étaient pas encore introduites et leur diffusion ne démarre vraiment qu’au début du XXIe siècle, plutôt en Wallonie, les viticulteurs flamands y venant plus tardivement, notamment par la mise en doute de la qualité de ces nouveaux vins et de la résistance réelle de ces variétés par des centres de formation importants…

En 2003, le Namurois Philippe Grafé est le premier à planter six variétés résistantes sur dix hectares à La Bruyère : Regent, Solaris, Johanniter, Merzling, Bronner et Helios. L’exemple du Domaine du Chenoy va inspirer toute une génération de jeunes vignerons tels que le Château de Bioul, Vin de Liège, le Domaine de Blanc Caillou, la coopérative de Sirault, le Bois des Dames, et avant eux Villers-la-Vigne déjà. Aujourd’hui, si l’on retire les 60 hectares de vignes de Ruffus et du Chant d’Eole, les variétés traditionnelles et résistantes sont quasiment à parts égales dans le vignoble wallon. En Flandre, on peut estimer cela à 20 % des surfaces environ.

De meilleurs vins rouges

Le grand atout de ces variétés résistantes est de répondre à de véritables préoccupations liées au changement climatique. Demandant moins de traitements que les variétés classiques, elles ont également permis le développement d’une viticulture bio en Wallonie grâce à l’influence majeure de plusieurs acteurs dont le Château de Bioul dans le Namurois.

En province de Liège, indéniablement influencée par l’expérience du Domaine du Chenoy, la coopérative Vin de Liège se créa en 2010 et démarra immédiatement en bio avec six principaux cépages résistants (Souvignier gris, Johanniter, Muscaris et Solaris en blanc, Cabernet Cortis et Pinotin en rouge) sur un peu plus de seize hectares actuellement.

« C’était un choix risqué, reconnaît Alec Bol, administrateur-délégué de la coopérative, mais il y a un côté extrêmement réjouissant de travailler avec des nouveaux cépages, d’avoir cette capacité à développer des vins différents. Pour chaque cépage, il y a bien sûr un apprentissage en termes de vinification, de recherche du meilleur terroir. Cela prend énormément de temps, mais c’est très amusant pour l’équipe. On ne tirerait pas le même plaisir avec des variétés classiques, parce qu’on a l’impression de créer des vins avec une nouvelle personnalité.

Cela étant, il ne faut pas se leurrer, ce n’est pas parce qu’un cépage est résistant au mildiou qu’il l’est à tout, chaque variété a des défauts auxquels on ne s’attend pas forcément : certains ont des sarments cassants, d’autres sont plus sensibles à l’excoriose. On ne peut pas vendre du rêve non plus, le cépage parfait n’existe pas. »

Le défi à venir pour Vin de Liège se situe au niveau des vins rouges dont la demande ne cesse de croître. Pour ce faire, la coopérative s’est tournée vers de nouvelles variétés résistantes venues d’Italie et de Suisse.
Le défi à venir pour Vin de Liège se situe au niveau des vins rouges dont la demande ne cesse de croître. Pour ce faire, la coopérative s’est tournée vers de nouvelles variétés résistantes venues d’Italie et de Suisse. - Vin de Liège

Resistenza

Le défi des prochaines années pour la coopérative liégeoise se situe très certainement au niveau des vins rouges dont la demande ne cesse de croître, mais pour cela il faut de nouvelles variétés et la réponse pourrait venir de l’Italie.

Surtout que, comme vient de l’annoncer le nouveau président du Comité national du vin Attilio Scienza, l’Italie a désormais la possibilité d’inclure les vignes résistantes dans le cahier des charges des dénominations d’origine contrôlée, rejoignant ainsi l’Autriche, l’Allemagne, le Danemark, la Hongrie, la Belgique et la France. Jusqu’à présent, la culture de ces nouvelles variétés, notamment par VCR, était limitée au seul « Vin de table » ou IGT.

Située à Udine dans le Frioul, VCR (Vivai Cooperativi Rauscedo) est, avec 5.000 hectares, l’une des plus grandes pépinières mondiales spécialisées dans les variétés résistantes dont le matériel génétique est constitué à plus de 90 % de gènes de Vitis vinifera et à moins de 10 % des autres Vitis. Travaillant en collaboration avec l’Université d’Udine, VCR a entamé en 2015 un programme de croisement pour obtenir des nouveaux cépages résistants à raisin de cuve, de table et de porte-greffe.

Parmi ses réalisations, relevons plusieurs croisements obtenus à partir de Sauvignon (Sauvignon Kretos, Nepis, Rythos), de Merlot (Merlot Khorus, Kanthus), de Cabernet (Cab. Volos, Eidos), mais aussi de Pinot blanc et de Pinot noir, dont le Pinot Kors, le Pinot Kersus et le Volturnis.

L’an dernier, Vin de Liège a planté 140 pieds de chacun des quatre variétés de Pinots créées par VCR à partir de Pinot noir (Kors, Volturnis et deux autres non encore baptisés).

« Nous devons prendre le temps de les essayer pendant quelques années, reprend Alec Bol, car nous n’avons encore aucun recul. Il faut se rendre compte qu’une vinification n’est pas suffisante, nous avons pris beaucoup de risques au départ en plantant des variétés que l’on ne connaissait pas bien, nous ne voulons pas réitérer ce risque et être vraiment certains de nos choix. Cela prend du temps, mais je préfère avoir dans six ans de vrais rouges, avec une vraie personnalité et un potentiel de production, que replanter du Pinotin contre lequel il faut se battre chaque année. L’avenir du domaine se fait plus que sur 10 ans, on construit mieux l’avenir comme cela. »

À noter que Vin de Liège expérimente également une dizaine d’autres variétés dont le Divico d’origine suisse.

Non loin de là, à Warsage, au Vignoble des Marnières, le fruticulteur Benoît Heggen a planté ses premières vignes en 1995, principalement Chardonnay et Pinot noir. Aujourd’hui, il semble prêt à adopter des cépages résistants VCR mais pas à n’importe quel prix.

« Ces nouvelles variétés sont intéressantes car elles sont résistantes de 90 à 100 % aux maladies de la vigne, mais aussi parce qu’une des deux parents est le Pinot noir ou le Pinot blanc, tous deux reconnus pour leurs qualités organoleptiques. Je ne suis pas encore certain de me lancer là-dedans, car les pieds sont environ 40 % plus chers à l’achat, et il faut signer un contrat de non-muliplication et VCR reste propriétaire… Mais je teste malgré tout 500 pieds de ces deux nouveaux Pinots pour voir ce qu’ils donnent sur mes terroirs et dans mes barriques de bois wallon.

VCR a aussi créé des clones de Merlot et de Cabernet, mais sont-ils intéressants chez nous ? Ils ont été créés en Italie, il faut voir s’ils arriveront à maturité comme là-bas. »

Il se murmure que d’autres vignerons liégeois envisagent eux aussi de se lancer dans la partie, mais ne brûlons pas les étapes.

La réponse française

Longtemps réticente, pour ne pas dire réfractaire, la France pourrait rattraper son retard dans le développement des variétés résistantes grâce au travail mené par son institut national de la recherche agronomique, l’INRA (devenu INRAE en 2020 – ndlr).

Celui-ci a lancé dans les années 2000, un vaste programme intitulé « INRA-ResDur » afin de favoriser le développement d’une viticulture durable, plus respectueuse de l’environnement en développant des cépages certes résistants mais aussi d’une bonne qualité organoleptique.

Quatre variétés ont ainsi été mises au point par l’INRA : Voltis et Floreal en blanc, Vidocq et Artaban en rouge, elles sont désormais inscrites au Catalogue officiel français. Mais attention, les cépages résistants en France doivent suivre un très long processus d’expérimentation, et leur présence dans un assemblage demeure interdite dans tous les cahiers de charges des AOP françaises. Celui qui opte pour une de ces nouvelles variétés ne peut donc sortir son vin qu’en « Vin de France », autrefois VSIG, vin sans indication géographique… Ce qui est relativement peu commercial, sauf dans des pays où l’appellation a moins de poids.

Enfin, ces cépages dits expérimentaux peuvent être plantés pendant une période probatoire de dix ans, mais ne peuvent dépasser 5 % des surfaces et 10 % d’un assemblage. Leur succès passera peut-être par la Belgique, puisque les premiers pieds de Voltis, proche du Chardonnay, ont été plantés en mai 2021 à Mons, au domaine Mont des Anges. Obtenu en 2002 d’un croisement interspécifique complexe entre le Villaris et un descendant de Muscadinia rotundifolia, le Voltis se caractérise par une résistance très forte au mildiou et totale à l’oïdium. Son volume en bouche et sa faible typicité le rendent parfaitement adapté aux effervescents que l’on élabore en Wallonie ou même en Champagne.

Bordeaux et Savoie

Un mouvement est également enclenché en France pour réhabiliter des cépages anciens mieux adaptés au changement climatique, les VIFA ou variétés d’intérêt à fin d’adaptation.

Depuis cette année, après dix ans d’essais, six nouveaux cépages sont désormais officiellement autorisés dans le vignoble bordelais pour les AOC Bordeaux et Bordeaux supérieur et toujours dans les limites imparties afin de ne pas « dénaturer le goût bordelais ».

En rouge, l’Arinarnoa, le Castets, le Marselan et le Touriga nacional, et en blanc, l’Alvarinho et le Liliorila. Peu de chances de voir toutefois leurs noms sur une étiquette de bordeaux prochainement, car c’est en effet interdit…

Après l’AOC Bordeaux, la Savoie a également été autorisée par l’INAO à déployer sept VIFA qui viennent s’ajouter à une liste impressionnante de 22 cépages déjà inscrits dans les cahiers des charges des AOC. Si peu connaissent la Molette, le Gringet ou la Verdesse, des variétés autorisées depuis longtemps, il leur faudra désormais en connaître sept autres, dont le Bia blanc, le Hibou noir, le Dousset ou la Petite-Sainte-Marie. Le monde du vin est plein de surprises…

Marc Vanel

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