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Les enjeux du Pacte Vert: «On fait tout pour que le secteur de la viande bovine disparaisse»

Des interrogations. Des incertitudes. Qu’adviendra-t-il du secteur de l’élevage dans les toutes prochaines années à la lumière des exigences que dessine le Pacte Vert. Mais aussi comment faire coexister sur la même partition commerce et climat.

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Ces questionnements sont ceux de l’éleveur français Jean-Pierre Fleury, membre de la FNB (Fédération nationale de la viande bovine) et président du groupe de travail « viande bovine » au sein du Copa-Cogeca dans le cadre du dernier Global Food Forum organisé par le cercle de réflexion « Farm Europe » à Jodoigne.

Des années Thatcher à la diplomatie du climat

Pour les représentants du secteur européen de l’élevage, il est essentiel d’être en mesure d’investir dans les outils et méthodes de production les plus adaptés afin de relever les nouveaux défis.

De nombreuses propositions font actuellement l’objet de discussions au niveau européen, notamment sur la séquestration du carbone dans les terres agricoles, sur l’étiquetage en matière de bien-être des animaux ou sur des modifications de la législation européenne actuelle en vue de stimuler l’innovation dans le cadre de la production animale, afin d’atteindre les objectifs ambitieux du Pacte Vert et de la stratégie « De la fourche à la fourchette ». Le secteur de l’élevage doit donc être un partenaire incontournable de ces discussions.

Mais pour avancer, il faut toujours savoir d’où l’on vient. Et pour M. Fleury, « nous nous situons à la fin d’un cycle mondial de l’ultralibéralisme issu des années Reagan et Thatcher qui s’étale sur une période courant des années 90’ à 2020 et à l’aube d’une nouvelle ère qui s’étendra jusqu’en 2050, laquelle sera placée sous le signe du changement climatique. Reste qu’il faudra faire la jonction entre les deux ».

Pour l’éleveur bourguignon, il faut travailler sur le positionnement de l’agriculture européenne, et en particulier le commerce des produits agricoles après la COP26, alors que l’Accord de Paris semble déjà bien loin et difficilement réalisable. Et de s’interroger sur la perception qu’en a la commission.

Miroir, clause miroir, dis-moi qui est la plus belle ?

Jean-Pierre Fleury n’est, pour sa part, pas opposé aux échanges multilatéraux du moment que ces derniers sont équilibrés. Il s’interroge par contre sur la compatibilité entre l’ex-Gatt devenu OMC et le climat, sur les règles régissant le commerce mondial par rapport au Pacte Vert et à ses deux stratégies « De la fourche à la fourchette » et « Biodiversité ».

« Quelle est la compatibilité juridique du Pacte Vert avec les textes internationaux concernant le commerce mondial » pose-t-il en évoquant le sujet des clauses miroir visant à protéger la santé (antibiotiques activateurs de croissance), l’environnement (traçabilité des bovins pour lutter notamment contre la déforestation) et les animaux dans la conditionnalité tarifaire des accords commerciaux en cours de négociation. Un sujet porté par la France qui, pour la FNB, devra s’opposer à toute nouvelle ouverture de contingents d’importation de viandes bovines.

Dans la même veine, il souhaite que la France obtienne, avant la fin de sa présidence, l’acte délégué tant attendu visant à interdire les importations européennes de viandes issues d’animaux « dopés » aux antibiotiques. Cet acte délégué, prévu par le règlement sur les médicaments vétérinaires du 11 décembre 2018, devait en théorie être pris par la commission avant le 28 janvier 2022. La présidence française veut en faire l’un de ses points de force. M. Fleury s’inquiète toutefois de la publication d’un rapport de la commission prévu fin du mois de juin.

Car il est bien question, au niveau européen, de réduire les exportations pour accroître les importations. Un processus que ne comprend pas M. Fleury et lui fait dire qu’en Europe, « on veut tuer l’élevage pour des raisons essentiellement idéologiques ».

L’accord avec les pays du Mercosur, caillou dans la chaussure de la commission

Le scandale sanitaire, environnemental et climatique que constitue l’accord avec les pays du Mercosur est, pour Jean-Pierre Fleury, un véritable caillou dans la chaussure de la commission. Une règle de l’OMC stipule que les produits sensibles peuvent être retirés de la négociation. « Or, personne n’a utilisé cette possibilité, tout simplement parce que la viande bovine sert de troc » a-t-il déroulé.

Concrètement, toute importation de viandes bovines issues de pays « à haut risque » au regard de l’enjeu de déforestation devra être interdite si les importateurs ne sont pas en mesure de fournir toutes les informations relatives à l’identification et au suivi des animaux dont elles proviennent, tout au long de leur vie. Seul ce système de traçabilité totale des animaux et des viandes, calqué sur la norme européenne en la matière, permettra en effet de garantir que les viandes importées ne sont pas issues d’élevages responsables de la déforestation.

« Nous sommes dans la précipitation au niveau européen car nous avons décidé d’être les meilleurs en dictant les normes les plus strictes aux agriculteurs européens sans se demander comment nous allons essayer d’imposer ces mêmes règles au reste du monde » a encore expliqué le représentant du Copa-Cogeca.

« On fait tout pour que le secteur de la viande bovine disparaisse en Europe » ose même Jean-Pierre Fleury.

Lui-même et le secteur européen de l’élevage dans son ensemble appellent à une approche cohérente. De nombreuses questions doivent encore trouver réponse pour garantir que les efforts fournis au sein de l’UE ne mènent pas à un dumping climatique ou environnemental ailleurs.

Marie-France Vienne

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