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À la microferme d’Olne: se réapproprier son alimentation tout en recréant des liens entre agriculteurs, artisans et consommateurs

C’est un projet (de) particulier(s) que nous avons récemment pu visiter : la microferme d’Olne, située à Basse Fraipont, le long de la Vesdre. Davide Arcadipane, l’un des porteurs du projet, nous livre l’histoire récente d’une « entreprise familiale » de trois ménages, qui a investi dans la terre, pour se réapproprier son alimentation, l’ancrer sur son territoire, pour cette génération et les suivantes.

Temps de lecture : 12 min

Voilà près de 10 ans que Davide et sa famille se posaient nombre de questions sur leur alimentation, sur sa provenance, son mode de production, l’impact carbone… « Fin 2014, nous avons eu la possibilité d’acheter une parcelle boisée d’1ha. Une opportunité à saisir puisque nous nous chauffons au bois. Quelques mois plus tard, l’agriculteur qui avait les parcelles attenantes, nous a demandé si nous étions intéressés par les lui racheter. » Il s’agit de 8 ha de prairies. Si 3ha seront dédiés à un verger en bordure de cours d’eau, les 6 autres sont plutôt très escarpés.

« Nous ne sommes pas issus du milieu agricole, mais nous avons un lien très fort avec la terre de par nos origines (italiennes, Ndlr). Nous avons toujours eu des potagers, des petits élevages. L’alimentation a une place assez importante dans nos vies. »

À cette époque, Davide était encore dans son master à la HEC de Liège. « Nous avons donc décidé d’acheter l’ensemble des parcelles pour en faire un projet alimentaire à vocation familiale. Le but ? Atteindre une certaine autonome en nourriture. Avec d’une part une production de fruit, dans la partie basse de la propriété, et la production viande par le biais d’un élevage bovin sur la partie haute, dédiée aux prairies permanentes. Le projet est pensé de manière à garder un certain équilibre entre vie professionnelle, vie privée et réalisation dudit projet.

Par tous les projets mis en place, Davide Arcadipane travaille notamment  à maximiser le bien-être de ses animaux.
Par tous les projets mis en place, Davide Arcadipane travaille notamment à maximiser le bien-être de ses animaux.

Un verger conservatoire haute tige

Le site contenait, il y a encore trente ou quarante ans, un magnifique verger haute tige qui a complètement été arraché au fil des années. La première étape a été de le replanter en se basant sur les variétés locales. Pommes, poires, cerises, prunes, châtaignes, noix, quelques pêchers pour l’expérience… « Nous nous sommes appuyés pour nos démarches sur le réseau Diversifruit, qui tend à revaloriser des variétés anciennes et locales. Nous nous sommes fait accompagner par un professionnel (Sébastien Pirotte -Sylv’Agro) pour le choix des variétés, la localisation par rapport à la parcelle et l’usage de celles-ci. Nous avons voulu en faire un projet conservatoire. Pour ce faire, nous avons greffé de vieux arbres en voie de disparition dans les villages alentours… Parmi les variétés plantées, une grande partie n’a plus d’usage connu. Notre espoir ? Leur retrouver un usage. Il faut savoir que verger a été reconstitué sur base de photos qui nous ont été transmises par des personnes âgées du village. Dès qu’on est arrivé sur les parcelles, nous nous sommes mis en contact avec ces bibliothèques du savoir. Au fur et à mesure que nous avons réinvesti des parcelles, nous nous sommes rendu compte que certains éléments venaient recouper ces témoignages. C’est comme ça que s’est construit notre projet : se baser sur l’histoire des lieux pour éviter de le dénaturer.

L’idée d’en faire une zone conservatoire fait aussi écho à une étude de Natagora qui avait répertorié plusieurs espèces de chauve-souris dans la vallée. L’objectif est de recréer des habitats, des écosystèmes qui peuvent les accueillir et faire place à davantage de biodiversité. Et pour éviter de les abîmer, nous sommes dans un principe de lutte intégrée, notamment par la pose de perchoirs à rapaces pour favoriser la prédation des mulots. Nous n’intervenons jamais chimiquement. Nous faisons le pari des variétés rustique, nous chaulons tous nos arbres au printemps. Si tout se passe bien, le verger devrait pouvoir durer trois – quatre générations, avec une production estimée d’environ 20 t de fruits /an.

Sur les 3ha, quelque 140 arbres ont été plantés lors de chantiers participatifs. « Quand nous organisons de tels chantiers, nous demandons toujours à des personnes-ressources de venir pour partager leur savoir. Pour la main-d’œuvre, nous faisons appel à la famille, nos voisins, aux amis et autres personnes intéressées par le projet. Quand il s’agira de récolter la production, nous ferons aussi appel à eux. Ils viennent, ils se servent. Ce genre de cueillette a son petit succès. Il existe une réelle demande pour se reconnecter avec la nature, avec le vivant, le « vrai » ! »

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« La prairie sur laquelle se trouvent ces fruitiers est fauchée et pâturée plusieurs fois par an, par des ovins notamment. Nous faisons appel à un agriculteur pour les travaux agricoles. »

La valorisation des fruits à ses débuts

Une partie du verger a été plantée en 2016, l’autre en 2019.« L’idée est de valoriser les récoltes en fruits de tables, en jus, gelées, confitures, alcool, cidre, eau-de-vie… On peut imaginer pleins de choses ! Et pour ce faire, nous travaillons avec des acteurs locaux comme l’Atelier Constant Berger, des siroperies et autres confitureries… « Avec le temps, des relations de travail vont s’établir plus fréquemment. Jusqu’ici, nous étions dans la définition du projet : nous avons planté, nous commençons à goûter, à tester… Nous sommes en pleines « recherches et développement » mais nous nous appuyons aussi sur de nombreux témoignages de personnes du village…

Et de poursuivre : « Nous n’avons pas de vocation commerciale. Nous sommes davantage sur un projet d’autonomie. Nous essayons de soigner nos produits, de faire attention à la traçabilité. Tout ce qui est valorisé, l’est par des partenaires réglementés. »

De la gelée de pommes sauvages réalisée par la Framboiserie de Malmedy,  l’un des derniers confituriers de la région.
De la gelée de pommes sauvages réalisée par la Framboiserie de Malmedy, l’un des derniers confituriers de la région.

Un élevage de bovins rustiques

L’autre partie de la propriété est entièrement dédiée à de l’élevage. Ces prairies sont très escarpées, peu valorisables, si ce n’est par les ruminants. « Nous avons privilégié l’élevage de bovins rustiques : d’abord avec la Highland. Nous avons voulu par la suite explorer d’autres races comme l’Hereford, l’Angus… Nous ne les élevons pas pour la reproduction. Nous achetons de jeunes taurillons qui valoriseront les pâtures jusqu’au moment où ils partiront à l’abattoir. On achète les jeunes bêtes au printemps, les plus vieilles partent à l’automne qui suit. La charge UGB est moindre en hiver qu’en été, ce qui permet de gérer ces espaces fragiles, d’autant que nous n’avons pas de bâtiment. Aujourd’hui elles sont dans les genêts, demain elles seront dans les ronces… Elles valorisent vraiment tout type de fourrage. Elles resteront trois ans sur les prairies. Les bêtes sont finies à l’herbe. »

Davide est un adepte du pâturage tournant. Et si la pousse de l’herbe est trop importante, il peut augmenter la charge à l’hectare grâce à une collaboration avec des éleveurs partenaires.

« C’est aussi un projet qui nous a permis de tester des méthodes un peu plus innovantes et durables, à notre sens. Nous y travaillons après journée, nous avons donc aussi une certaine liberté ! »

Une fois les animaux abattus (et découpés), nous nous partageons les colis de viande confectionnés par des artisans bouchers du coin.

En hiver, la charge à l’hectare est diminuée pour préserver au maximum les prairies permanentes.
En hiver, la charge à l’hectare est diminuée pour préserver au maximum les prairies permanentes.

Un lien fort avec le secteur agricole

Le contact avec les agriculteurs du coin s’est tout de suite bien passé ! « Nous avons d’abord eu une approche empathique parce qu’au départ nous ne connaissions pas du tout le monde agricole. Dans notre famille, nous n’avons pas peur de travailler et avons beaucoup de respect pour cette profession. Et c’est comme ça qu’on a pu approcher certains agriculteurs de la région. Ils nous ont conseillés, ils sont venus sur leur temps libre pour nous donner des conseils… Nous les en remercions. Nous avons avec eux des collaborations win-win… Ils viennent nous aider, nous leur donnons à notre tour un coup de main, nous échangeons aussi parfois du foin, nous leur faisons profiter de nos fruits… L’idée ? Recréer des liens entre agriculteurs. D’autant que nous ne sommes pas mécanisés. Notre credo : la solidarité !

L’importance d’un maillage écologique

Le verger est en bordure de la Vesdre, en zone inondable. « Et les inondations de juillet 2021 ont confirmé l’urgence à préserver nos sols, nos espaces verts et notre bocage. Outre le verger, nous avons replanté, entretenu ou encore replessé certaines haies. Nous avons recréé des trognes en bordure de propriété en vue de recréer le bocage, soit le réseau de haies, trognes, mares et prairies permanentes, qui a pratiquement disparu aujourd’hui. »

Le pâturage extensif est aussi un bon moyen de gestion de ces écosystèmes. « Nous n’avons pas peur de laisser des zones dites sales (ronces, aubépines…) car elles s’avèrent être de bonnes oasis de vie qui permettent une plus grande résilience du milieu en cas de sécheresse, d’inondation… Nous n’hésitons pas non plus à investir dans la biodiversité. Chaque année, des nichoirs sont placés, tout comme des abris pour les pollinisateurs sauvages. Petit à petit, nous agradons le lieu », sourit-il.

Les inondations de juillet ont rappelé le rôle important des prairies et des plantations en vue d’une meilleure résilience de notre environnement.
Les inondations de juillet ont rappelé le rôle important des prairies et des plantations en vue d’une meilleure résilience de notre environnement.

Une alimentation ancrée dans son territoire

« Lorsque nous créons, transformons et valorisons des produits (gelée de pommes sauvages, viande maturée…), c’est toujours avec l’aide et les conseils de professionnels. Pour les gelées par exemple, nous travaillons avec la Framboiserie de Malmedy, l’un des derniers confituriers de la région. Nous aimons ensuite les faire goûter à des chefs pour avoir leurs avis. Nous ne sommes que de simples citoyens qui essayons de valoriser au maximum l’écosystème présent. »

« Le projet demande évidemment des moyens financiers, ici pris en charge par nos trois familles. Cela demande des sacrifices, une bonne entente… Nous ne sommes pas dans un projet d’autarcie ultra-individualiste, nous restons les pieds sur terre. Nous n’avons pas vocation à nourrir un village ou une région. Toutefois, nous nous attelons à faire ce qui peut être fait ! Nous faisons évidemment des erreurs, mais c’est aussi un bon moyen d’apprentissage ! C’est une sensibilisation constante que de prendre en main la question alimentaire. »

En ce qui concerne l’élevage, c’est aussi pouvoir réapprivoiser la mort. « Nous avons eu de vifs débats au sein du projet sur la question de l’abattage des animaux que nous élevions. Se confronter à la mort d’animaux, qu’ils soient d’élevages ou sauvages, n’est pas chose aisée pour tout le monde. Si nous avons toujours eu des petits élevages, le rapport que l’on a à la vie et à la mort est totalement différent avec de grands animaux. Moralement parlant, nous n’avons aucun problème à sacrifier un animal pour nous nourrir. Nous maîtrisons le bien-être animal de la naissance au départ de nos bêtes pour l’abattoir. »

Et de poursuivre : « Dans notre philosophie, on valorise toute la bête. Nous récupérons la peau pour la faire tanner par des artisans à Liège, les crânes et les cornes également car il existe une demande. Tous les morceaux de viande sont valorisés, ce qui demande à réapprendre à cuisiner tous les morceaux car on ne ressort pas de la carcasse que des côtes à l’os et des filets purs… Pour ce faire, nous travaillons avec des artisans bouchers compétents. Si on ne fait pas attentions à ces morceaux, ils seront voués à disparaître au profit du haché. Il ne faudra alors pas venir se plaindre que les grandes surfaces ne nous proposent plus que de la viande en barquette venant de très loin. »

Faire évoluer les mentalités

Mais ce type de débat a évolué. « Nous accueillons des personnes qui ont les mêmes démarches que la nôtre. Nous organisons des visites pour ceux qui le désirent (écoles, porteurs de projets…). Nous en parlons aussi dans nos métiers respectifs qui sont liés de près ou de loin au projet… En mettant en avant le projet, il devient source de discussions, d’échanges. C’est aussi une manière de faire évoluer les mentalités. »

« Nous allons à la rencontre de différents projets pour comparer, nous inspirer… Ce que nous défendons ? Une agriculture productive diversifiée, respectueuse du sol, des animaux et des humains. Toutefois, nous gardons une certaine liberté dans nos choix car nous ne gagnons pas notre vie du projet. Nous essayons malgré tout de toujours garder une cohérence économique. »

Pour avancer dans leurs projets (ici, le plessage de haies),  la microferme organise des chantiers participatifs.
Pour avancer dans leurs projets (ici, le plessage de haies), la microferme organise des chantiers participatifs.

« Une fois le projet bien pensé, il avance « tout seul » »

Pour la suite ? « Nous ne sommes pas en manque d’idées ! Toutefois, le projet évolue petit à petit, sans pression. Voilà six ans que nous sommes dessus et, chaque année, nous faisons quelque chose en plus… Et si ce n’est pas nous, peut-être sera-ce nos enfants… »

Il faut accepter que tout ne soit pas parfait mais le but c’est de mettre la main à la pâte ! Au début, nous avions imaginé pleins de projets, mais quand on commence à étudier le lieu, le voir évoluer au fil des saisons, on comprend très vite que tout n’est pas possible.

Pour moi, le gros problème actuel : nos modes de vie nous demandent une certaine forme d’immédiateté, or dans les projets en lien avec le vivant qui demandent du temps. Et c’est en voulant aller trop vite que ces projets peuvent prendre l’eau. Il est donc nécessaire de le commencer petit à petit, de le nourrir progressivement. Une fois bien pensé, le projet avance tout seul. »

C’est un investissement, c’est certain mais pas tant financier. Il est surtout familial : le temps qu’on y passe ensemble, les découverts que l’on y fait, l’émerveillement des enfants qui sont dans la nature… Cela fait des émules. C’est aussi pour cette raison qu’on y organise de petits événements avec des amis et des proches du projet. Nous n’avons pas peur de travailler, mais nous aimons passer aussi du bon temps.

Notre région est riche de personnes qui ont envie de proposer quelque chose d’autre pour maintenant mais aussi pour plus tard. Ce que nous laissons à nos enfants sera mieux que ce qu’on a pris à notre environnement.

S’écarter des contraintes

Davide et sa famille ont touché des aides de la Région Wallonne pour la plantation d’arbres, de haies et pour leur entretien. « C’est sûr que ces aides sont bienvenues ! Elles nous permettent de diminuer la charge financière liée à ces investissements. D’autant que nous comptons encore planter une trentaine de fruitiers. En ce qui concerne les autres aides, dont celles de la PAC, nous pourrions y avoir droit mais, par conviction, nous ne les demandons pas. La part de l’administratif est importante dans une exploitation et nous voulions sortir de cette contrainte. »

Nos projets sont le fruit

de rencontres

« Au vu des coteaux schisteux orientés plein sud dont nous disposons, nous avons donc le potentiel pour produire un peu de raisin. À voir si on veut le vinifier… Cela demande des connaissances, des investissements… Pour le moment, nous laissons venir les projets. Ceux-ci sont le fruit de rencontres. »

« Nous ne voulons pas nous arrêter sur des activités bien précises. L’élevage et la fruiticulture auront toujours une part importante dans notre projet. »

« Si demain nous savons replanter des fruits à coques, nous lancer dans la production d’osier pour la vannerie, installer des mares… Notre force est d’avancer à notre rythme en évitant au maximum de nous disperser.

Pour l’heure, le projet dépasse déjà nos attentes et ce qu’on avait pu imaginer au départ. »

Propos recueillis par P-Y L.

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