En visite chez «Les Garçons maraîchers» à Jette : «Il est fondamental de recentraliser des cultures sur Bruxelles»
Gris. Humide. Immobile. Bas. Il passe les heures à lutter contre la persuasive mélancolie d’un hiver, le ciel inépuisable, une sentinelle de silence, des respirations si lentes, des blocs de paix. Jette, les champs, au bout même les trains de banlieue se moquent d’émois.
C’est là, à la lisière du Bois du Laerbeek, îlot de biodiversité exceptionnel faisant partie des zones spéciales de conservation Natura2000, que le champ de Jean-Philippe Gomrée attend le retour des premiers rais de lumière.
Il y voit pousser ses légumes, les récolte, dans cette petite parcelle située entre une allée prisée les promeneurs, et, au loin, une paire de voies ferrées où glissent furtivement quelques trains.
De la restauration à une formation en maraîchage bio
Après 25 ans comme chef de cuisine, il décide de changer totalement de cap. « J’avais fait le tour de mon métier, j’ai travaillé pour de grosses entreprises qui commençaient à couper dans les salaires et à acheter de plus en plus de produits semi-transformés pour limiter les coûts de personnel, c’était une orientation qui ne s’inscrivait plus du tout dans le sens que j’avais donné à mon travail » embraye-t-il.
Jean-Philippe Gomrée souhaite toutefois rester en contact avec l’alimentation. Il se lance, en 2014, dans un projet de production de noisettes, à l’époque où il habitait près de « Tour et Taxis » encore partiellement à l’état de friche industrielle. Il suit, pour ce faire, une formation de dix jours chez « Groupe One », un organisme qui facilite la transition vers une économie durable mais se rend rapidement compte que l’activité qu’il projette de démarrer requiert au moins 3ha de terrain et un laps de temps de cinq ans avant de devenir rentable.
Il se tourne alors vers une formation de huit mois en maraîchage biologique à la Mission locale d’Ixelles et d’Etterbeek où il apprend à cultiver.
Et c’est une révélation : « à partir du moment où j’ai découvert qu’il y avait autre chose que des néons dans une cuisine, j’ai trouvé ça génial » déroule ce Bruxellois pur jus qui réfléchit pendant un an avant de déployer un nouveau projet.
« Les tomates, c’est mon dada, le produit que j’aime par-dessus tout »
Avec un ami… ingénieur du son, il est sélectionné dans le cadre d’un appel à projet pour un espace-test à Anderlecht et fonde, dans la foulée, l’identité « Les Garçons maraîchers », un clin d’œil aux « Garçons bouchers » (le métier, le film, le groupe rock…) dont il restera le seul représentant après le départ de son associé voici quelques années.
Jean-Philippe s’est installé sur
Jette, une commune bruxelloise qui encourage l’agriculture urbaine
Son objectif d’ici trois ans est de pouvoir dégager de 15.000€ à 20.000€/an de son activité de maraîcher. Mais pour l’heure, « c’est très difficile d’en vivre entièrement, il faudrait que j’y consacre un temps plein », avoue Jean-Philippe qui est également encadrant technique à mi-temps à la Mission locale de Saint-Gilles au niveau d’un projet de réinsertion sociale par le maraîchage. Là où l’on apprend aux jeunes l’essence du métier, depuis le semis jusqu’à la récolte et à la vente de tous les légumes de saison que l’on peut cultiver à Bruxelles.
Si les projets en maraîchage fourmillent à Bruxelles, la capitale ne compte pas énormément d’espaces pour les développer car les terres agricoles présentes dans les zones urbanisées ou urbanisables, sont très chères et constituent une bulle spéculative.
Heureusement, la commune de Jette encourage fortement l’agriculture urbaine en mettant à disposition des terrains via un contrat avec le mouvement « Terre-en-vue » car il faut savoir que « l’hectare à Bruxelles se négocie autour de 120.000€ à 140.000€ » détaille Jean-Philippe en expliquant que « la commune est quand même propriétaire de quelques terres dans le Bois du Laerbeek dont elle fait profiter une ferme pédagogique qui organise des stages et animations pour les enfants et les personnes âgées.
La commune a compris qu’elle avait tout intérêt à relocaliser une partie de la production alimentaire sur son territoire, raison pour laquelle plusieurs projets s’y sont aisément développés précise Jean-Philippe Gomrée. On y trouve en effet « Les Houblons de Bruxelles » qui produisent les bières « Super Deluxe » et « Hoppy Bunny » mais aussi « CourJette », le projet d’économie sociale porté par l’Atelier Groot-Eiland ainsi qu’un projet orienté vers les herbes médicinales et un autre vers la tisanerie.
Une belle entente et une indispensable entraide se sont nouées entre les différents locataires de parcelles qui ont organisé en pleine crise sanitaire une petite foire sur le terrain pour accueillir les nouveaux occupants.
« Oui, l’agriculteur bruxellois a de l’avenir »
« On imagine des synergies de vente entre nous pour compléter nos offres respectives, c’est indispensable quand on est sur de si petites surfaces et proches les uns des autres » souffle Jean-Philippe qui envisage un bel avenir pour l’agriculture urbaine à Bruxelles. Car « on parle aussi des champignons, des chicons dans les caves, de cultures sur toits et des cultures en pleine terre comme moi ».
D’autres idées sont en germination sur les communes voisines de Ganshoren, Berchem tandis que certaines structures sont implantées depuis des années, c’est le cas de la ferme « Nos Pilifs » à Neder-over-Hembeek, de « La Ferme du Chant des Cailles » à Boitsfort ou encore de « Radiskale » à Anderlecht.
Pour Jean-Philippe Gomrée, qui a la volonté de rapprocher les Bruxellois de la production locale et de les reconnecter à la terre, « l’agriculture urbaine a de l’avenir, tout simplement parce qu’il y a une très forte demande, j’en avais déjà fait l’expérience sur l’espace-test à Anderlecht, les gens se déplacent, ils sont désireux non seulement de connaître les produits mais aussi les producteurs qui se cachent derrière ce qu’il y a dans leur assiette ».