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Molenbeek, l’agriculture entre bitume et béton

L’insolence claire du temps, les bruits qui l’envahissent comme on entre dans une pièce pour y délivrer une ardeur. Molenbeek la bigarrée, son canal, il fuit, langoureux, un grain de silence. Le regard des maisons, le linge qui danse, les échos de la vie. Et rien d’autre.

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Quai du Hainaut, un prisme de lumière diffracte les façades fatiguées. Une cour qui bourdonne, sur le sol des souvenirs de pluie.

Au fond, le siège de « l’Atelier Groot Eiland », une Asbl bruxelloise d’une soixantaine d’employés active depuis trente ans dans le domaine de l’économie sociale, qui organise des parcours d’expérience professionnelle, d’éducation, de travail adapté et de coaching dans des secteurs très différents : de la menuiserie à la restauration en passant par l’agriculture urbaine. Autant d’activités qui pourront redonner foi en l’avenir à des chômeurs de longue durée, des personnes sans diplôme ou malheureusement touchées par la précarité.

L’HoReCa, la menuiserie, la création, l’agriculture

« L’Atelier Groot Eiland » s’articule autour de trois pôles. Tout d’abord celui de l’HoReCa qui compte la sandwicherie « Bel’O », le magasin bio « The Food Hub » qui propose des aliments biologiques sans emballage provenant directement des producteurs et du potager situé à l’arrière du bâtiment. C’est aussi sept restaurants, dont la taverne « Ter Linden » à Jette, et les restaurants « RestoBel » et le « Bel Mundo » qui utilisent des légumes biologiques du pôle agricole et des invendus alimentaires pour cuisiner de manière « zéro déchets ».

C’est ensuite le pôle de la menuiserie avec « Klimop » qui emploie principalement des résidus de scieries et du bois respectueux de l’environnement. Les restes et la sciure de bois sont redirigés vers le compost du potager. Enfin le pôle créatif « ArtiZan » et celui de l’agriculture, « BelAkker ». Autant d’aspects mis au service de la réinsertion sociale.

Quai du Hainaut, des serres enchâssées entre les immeubles

Le pôle agricole « BelAkker » organise des formations et du travail adapté dans le but de réintégrer des personnes qui ont quitté le champ de l’emploi, en brisant leur isolement, en leur offrant une activité. Aux manettes, cinq instructeurs maraîchers. Parmi eux, Jeff Merckx et son collègue Tom seconde, ancien magasinier passionné de jardinage qui a débuté voici trois ans une formation en agriculture biologique à l’Asbl Crabe (Coopération, Recherche et Animation du Brabant de l’Est) avant de devenir bénévole à « l’Atelier Groot Eiland » qu’il rejoint définitivement en 2020 dans le cadre du projet « CourJette ».

Sur le terrain «BelleVue», plusieurs variétés de salades, des tomates, des concombres, des haricots, des bettes, des épinards, du persil, du cerfeuil, des fleurs comestibles, des herbes aromatiques et bientôt des courgettes.
Sur le terrain «BelleVue», plusieurs variétés de salades, des tomates, des concombres, des haricots, des bettes, des épinards, du persil, du cerfeuil, des fleurs comestibles, des herbes aromatiques et bientôt des courgettes. - M-F V.

« BelAkker » recouvre les projets « Centre » avec des terrains situés à Bruxelles-Ville ou autour de la capitale dont les cultures sont destinées au secteur HoReCa. « Il s’agit de SPIN Farming (Small Plot INtensive Farming), encore appelé « High-Value Crops », ce sont des cultures à rotations rapides comme des salades » explique Jeff Merckx.

C’est le cas du terrain « Belle Vue » et de ses trois grandes serres déployées à l’arrière du siège de « L’Atelier Groot Eiland », sous le regard figé des maisons qui scrutent le potager.

Les Molenbeekois font partie de cet ensemble où se marient, en une inédite sarabande, le gris des façades, le brun délavé des murs de l’ancienne brasserie BelleVue et la terre piquetée de vert. Les maraîchers y ont planté plusieurs variétés de salades, des tomates, des concombres, des haricots, des bettes, des épinards, du persil, du cerfeuil, des fleurs comestibles, des herbes aromatiques et bientôt des courgettes. « Nous avons aussi testé des choux que avons dû rapidement abandonner en raison des altises » précise Jeff.

Outre les parcelles situées Quai du Hainaut, «BelAkker», ce sont aussi « Les Ursulines » aux Marolles, « L’Abattoir » sur le toit des Abattoirs à Anderlecht où les maraîchers cultivent notamment des oignons, des aubergines et viennent de tester la culture de yakons, ces grosses poires de terre douces et croquantes.

C’est également « Hélifarm » dans le Quartier Nord, un potager urbain professionnel et un jardin communal sur le plateau de la Chaussée d’Anvers sur 1.500m² géré en collaboration avec « Velt » et « De Harmonie ». Son objectif consiste à favoriser et organiser la durabilité, la cohésion sociale, la formation et l’intégration dans le quartier de l’Héliport. Les habitants peuvent s’engager dans le projet de différentes manières, pour créer ensemble un espace agréable, sécurisé et vert. « L’Atelier Groot Eiland » y a installé 38 citernes pour recueillir l’eau de pluie et irriguer les jardins. Toutes les recettes dégagées sont destinées à la consommation personnelle des habitants. Et tous les mois, « Hélifarm » organise des ateliers gratuits sur l’agriculture urbaine écologique.

Un projet implanté au coeur du quartier, parmi les Molenbeekois qui en font la trame.  L’Asbl les met à l’honneur au coeur du potager dont ils peuvent acheter les produits.
Un projet implanté au coeur du quartier, parmi les Molenbeekois qui en font la trame. L’Asbl les met à l’honneur au coeur du potager dont ils peuvent acheter les produits. - M-F V.

SPIN Farming, « FleurAkker » et « CourJette », des fleurs et des légumes en auto-cueillette

« FleurAkker » et « CourJette » sont quant à eux des projets horticole et de maraîchage en auto-cueillette qui sont basés sur la formule du CSA (Community Supported Agriculture), ou « Agriculture soutenue par la communauté », un modèle socio-économique alternatif agricole. Les avantages sont nombreux, tant pour les consommateurs que pour les agriculteurs qui ont l’occasion de gagner un capital important en début de saison et de disposer d’un marché garanti pour leurs produits. À moins d’une récolte désastreuse, les consommateurs bénéficient eux aussi d’une baisse générale des coûts alimentaires, de produits frais et d’un meilleur accès aux fruits et légumes de qualité. Les deux projets sont situés sur les hauteurs du Bois du Laerbeek, à Jette.

« CourJette », lui, a été lancé il y a deux ans et propose une offre extrêmement variée, « on cultive 50 à 60 légumes différents et une centaine de variétés sur 1,7 hectare, que l’on propose à la vente toute l’année, nous faisons quasiment tout, sauf les pommes de terre car la culture prend beaucoup de place pour un relativement faible rendement » indique Tom Seconde.

Le projet tire sa force de la communauté qui le soutient à la saison sur base d’un abonnement de 375€ par an et par adulte. Ils seront, en 2022, non moins de 275 membres annonce fièrement Jeff. « Nous nous occupons de tout, de la plantation à l’entretien, nos membres n’ayant plus qu’à venir récolter » détaille Tom tandis que Jeff précise que « l’inscription est obligatoire pour toute la famille, les enfants ne payant que 18€ par an ».

Si les membres endossent une partie des risques car il y a toujours des cultures qui marchent moins bien, ils profitent d’un autre côté des surplus, comme les tomates en été.

« Nous fonctionnons à la confiance avec un système de pictogrammes et de drapeaux de couleurs différentes pour indiquer aux membres l’opportunité de récolter certains produits en quantité illimitée pour permettre le semis d’un autre légume, tandis qu’une autre couleur leur signale une restriction dans le volume de récolte. Les choux-fleurs sont, par exemple, limités à une unité par adulte et par semaine » déroule Jeff.

L’agriculture bruxelloise, ses atouts, ses contraintes

Une fois par an, Tom et Jeff font le tour des parcelles avec les nouveaux membres pour mettre un visage sur leur nom et leur expliquer le fonctionnement de la récolte sur champ « même en notre absence car nous ne sommes là que du lundi au vendredi et la plupart des personnes viennent le week-end. Nous avons installé un grand tableau mentionnant tous les légumes à récolter, tout est fait pour leur faciliter la tâche » précise Tom Seconde.

Le système est bien rôdé et rencontre un franc succès, ce qui ne surprend guère les deux instructeurs maraîchers « car nous sommes à Bruxelles, et ça intéresse un large public, notamment au niveau éducatif. On voit ainsi des parents venir avec des enfants, pour leur faire découvrir les différents légumes et la façon dont ils poussent » développe Jeff en précisant qu’il y a « beaucoup de passionnés qui apprécient l’aspect communautaire du projet. C’est un peu comme une grande famille » sourit-il.

Si l’agriculture urbaine a clairement de l’avenir pour les deux maraîchers, « il faut aussi tenir compte de la pollution des sols bruxellois, ce qui nécessite de pratiquer des tests avant de pouvoir cultiver » nuance Jeff Merckx.

Quant à l’agriculture de toit, renchérit Tom Seconde, « c’est une belle idée, qui nécessite toutefois des structures fiables, très solides, sur des bâtiments équipés de monte-charges. Il faut savoir que le toit doit être à même de supporter un poids compris entre 500kg et 900kg/m² » …

Marie-France Vienne

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