Accueil Economie

Pacte Vert : chronique d’une catastrophe annoncée?

L’accumulation de conclusions négatives émanant de différentes études sur les effets du Pacte Vert sur l’agriculture européenne a poussé le parlement à convier chercheurs, experts et députés à débattre des chiffres alarmistes qu’elles avancent. Et à les analyser sous un autre prisme...

Temps de lecture : 6 min

C’est ainsi que les commissions de l’Environnement et de l’Agriculture du parlement se sont réunies, le 25 janvier dernier, pour examiner les résultats des études menées par l’Usda (ministère américain de l’Agriculture), mais surtout celle de l’université de Wageningen, commandée par le lobby Croplife Europe (industrie des pesticides) dont les conclusions ont été rendues le 20 janvier.

Les résultats de ces recherches ont d’autant plus alerté leurs lecteurs que leurs conclusions sont similaires : les pertes de production possibles à court terme liées à la réduction drastique d’intrants conduiraient à une baisse de la production agricole de l’UE comprise entre 10 et 15 % et s’accompagnant d’une hausse des prix et des importations en provenance de pays tiers. Des chiffres qui rejoignent ceux du Ccr (Centre commun de recherche de la commission) publiés durant l’été 2021.

Des études dont les conclusions enflamment l’hémicycle

Venu devant le parlement, le chercheur néerlandais Roel Jongeneel a toutefois précisé que les situations pourraient différer d’un type d’exploitation à l’autre ou d’une région à l’autre. Selon le travail qu’il a présenté, les producteurs de porc danois, par exemple, pourraient voir leurs revenus bondir de 40 % quand les producteurs laitiers néerlandais verraient les leurs chuter de 75 %. Mais, admet-il, « il est difficile d’avoir une perspective à long terme ».

Les conclusions de ces études ont à nouveau enflammé l’hémicycle, entre députés de la commission de l’Agriculture qui acceptent davantage de durabilité, « mais aussi de productivité pour garantir des revenus aux exploitants » et ceux de la commission de l’Environnement qui réclament une modification des systèmes alimentaires.

Certains députés « agricoles » fustigent une stratégie qui n’est pas suffisamment étudiée et réclament une vérification totale des impacts de toutes les mesures. D’autres regrettent que ce soit l’Usda et non la commission elle-même qui ait mené cette étude interpellante au niveau des revenus agricoles, de la chute de la production, du Pib de l’UE, de la hausse des importations, « sans parler de l’étude de la commission qui est sortie en catimini ».

Pour un député espagnol situé à droite sur l’échiquier politique, « les agriculteurs sont acculés et asphyxiés par une idéologie verte qui veut leur imposer un marché à la marge des réalités sociales de certains États membres, un type de productions et de consommateurs, ceux qui peuvent payer 6€ pour un fruit bio… Et de poursuivre que « l’on veut imposer un modèle d’élevage extensif et le circuit court comme seul modèle économique » s’est-il enfin emporté.

« Depuis la publication de cette stratégie, le lobby agricole fait des prédictions apocalyptiques : pénurie, retour de la famine, disparition du modèle agricole européen » ont tempéré les écologistes de la commission de l’Environnement en déplorant des études « alarmistes ».

En attendant la proposition de la commission sur le cadre alimentaire durable

Les députés « environnementaux », au premier rang desquels leur président Pascal Canfin, ont présenté une vision plus globale, mais aussi beaucoup plus théorique, prenant en compte des changements plus profonds impliquant aussi les consommateurs ou les règles commerciales. « Nous attendons en 2023 la proposition de la commission sur le cadre alimentaire durable qui complètera la PAC » a d’ailleurs précisé l’élu français. Ce cadre législatif devra définir le rôle de tous les acteurs de la chaîne d’approvisionnement et il apportera une définition de la « durabilité ». Il introduira des mesures contraignantes, avec des exigences minimales. Il prévoira également des incitations pour aller au-delà de ces normes plancher, en posant par exemple des critères pour verdir la commande publique.

« Lorsque l’on restaure la biodiversité et la santé des sols, les récoltes augmentent aussi »

« J’ai du mal à prendre au sérieux une étude commissionnée par le lobby de l’agrochimie ou un gouvernement (des États-Unis, ndlr) connu pour son obsession de la productivité agricole » a développé une écologiste allemande, ajoutant que « les auteurs recommandent de rester au statu quo. Or, des centaines d’études indépendantes nous demandent l’inverse pour préserver notre souveraineté alimentaire à long terme. Nous devons rapidement changer notre système alimentaire et le rendre plus juste et plus durable, qui ne veut pas pour autant dire moins productif. Lorsque l’on restaure la biodiversité et la santé des sols, les récoltes augmentent aussi ».

Pour cette députée, « les États membres ont vu une réduction drastique du revenu agricole au cours de ces dernières décennies malgré l’accroissement de la production. Le nouveau piège financier, c’est le mirage des nouveaux Ogm. Le rendement n’est pas le seul facteur qui impacte le revenu des agriculteurs, leur part dans la valeur finale de notre alimentation est inférieure à 15 %, c’est là que doit intervenir la PAC avec la promotion des circuits plus courts ainsi que la diversification des revenus. Il faut réduire la production et la consommation de produits d’origine animale si l’on veut atteindre les objectifs du Pacte Vert ». Et de se demander pourquoi les auteurs des recherches n’ont pas pris en compte ces facteurs ainsi que le gaspillage alimentaire et les attentes du consommateur.

La grille de lecture de l’Iddri

Selon l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales), dont l’un des représentants s’est exprimé devant le parlement, les deux études de l’Usda et du Ccr se sont focalisées sur l’impact de la réduction des intrants visée par la stratégie « De la fourche à la fourchette », ignorant les autres changements proposés par la stratégie (changements dans les régimes alimentaires, pertes et gaspillages de nourriture, organisation des filières agricoles, innovation agronomique et échanges internationaux).

Un autre changement envisagé par la stratégie « De la fourche à la fourchette », mais mal pris en compte dans les deux études sont l’innovation et les changements de pratiques agronomiques. La réintroduction des légumineuses en rotation comme l’optimisation de l’efficience d’usage de l’azote pourraient par exemple partiellement compenser la réduction de 20 % des intrants azotés. De même, l’allongement et la diversification des rotations, comme le redéploiement des infrastructures agroécologiques, favorisent une meilleure gestion de l’enherbement et des parasites, ce qui permet de réduire l’usage de pesticides avec un impact bien moindre sur les rendements que ce qui est envisagé. Sans compter que, dans l’autre sens, le scénario de référence auquel est comparé la stratégie européenne ne tient pas compte des effets négatifs à long terme d’un usage importants des intrants chimiques pour la capacité productive des agrosystèmes.

Une vision qui apporte un éclairage différent au débat…

Marie-France Vienne

A lire aussi en Economie

Voir plus d'articles