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Loup : «on peut s’attendre à ce que plusieurs meutes s’installent sur le territoire wallon»

En Wallonie, la gestion du loup, qui repose sur la connaissance des individus, nécessite le recours à la génétique. Une démarche qui s’inscrit dans le cadre du « Réseau Loup » créé en mai 2017, dont l’objectif consiste à assurer un suivi scientifique de cette espèce sensible. Son coordinateur, Alain Licoppe, nous détaille la situation, les comportements et mesures qu’implique la présence de ce grand canidé sauvage en région wallonne.

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C ela fait quelques années que la Wallonie a enregistré le retour du loup sur ses terres. Pour encadrer au mieux sa présence, la Région a mis en place un plan pour gérer les éventuels conflits.

Alain Licoppe, pourriez-vous nous rappeler les grands contours de ce « Plan Loup » ?

Le « Plan Loup » a été lancé sous l’impulsion de la ministre Céline Tellier en juin 2020. Il s’appuie sur l’expertise du Dnf, du Demna, du Service public de Wallonie, des membres du « Réseau Loup » et s’articule autour de plusieurs axes opérationnels. Le premier concerne le suivi précis de cette espèce Natura2000 qui implique un rapportage au niveau européen. Le second porte sur le renforcement de la protection de l’espèce en garantissant un maximum de quiétude autour des tanières localisées et en renforçant la surveillance des zones occupées par le loup notamment pour éviter les risques de braconnage.

Le troisième porte sur la protection des troupeaux et l’indemnisation des éleveurs particuliers (dont les troupeaux sont enregistrés auprès de l’Arsia) et professionnels touchés par des attaques du prédateur. Il faut savoir qu’au moment où un loup s’installe et crée une meute, nous créons une « zone de présence permanente » (Zpp) qui ouvre la voie à plusieurs types d’aides pour les éleveurs. Elles peuvent revêtir la forme d’un prêt (par exemple de filets mobiles électrifiés) ou du financement total ou partiel de matériel de protection durable (électrification de clôtures…) pour empêcher les loups d’approcher un troupeau. Un travail qui s’effectue en collaboration avec l’Asbl Natagriwal en charge des analyses de risques et des diagnostics de vulnérabilité.

Enfin, le quatrième axe a trait à la sensibilisation, que ce soit des éleveurs, des chasseurs ou du grand public au travers de conférences, de soirées d’informations ou d’articles dans la presse.

Quelles sont les lignées de loup présentes sur le Vieux Continent et plus particulièrement en Wallonie ?

On en retrouve deux. D’une part l’italo-alpine qui provient d’une population relictuelle située dans les Abruzzes, qui a progressivement colonisé le nord de l’Italie avant de passer en France et de se signaler chez nous. De l’autre, la lignée germano-polonaise qui a tendance à recoloniser le nord de l’Allemagne et qui peut essaimer jusqu’en Wallonie. En raison de la compétition au niveau de la nourriture, les subadultes sont éjectés de leur meute et s’inscrivent ainsi dans une stratégie de dispersion sur une longue distance afin de diversifier leurs gènes. En raison de son statut d’espèce protégée, la population des loups s’accroît d’environ 20 % chaque année, ce qui explique son expansion tant au niveau numérique que géographique en Europe.

A-t-on une idée du nombre de loups sur le territoire wallon ?

Nous avons cinq loups qui font partie de la même meute. Il s’agit d’un couple avec trois jeunes qui se sont installés de manière durable dans les hautes Fagnes. Un autre loup vient tout récemment de se signaler à l’est de cette région, il est en phase d’installation. On a aussi détecté d’autres loups dispersants qui traversent la Wallonie de part en part pour s’installer dans des régions voisines. On peut dire qu’il y a une vingtaine de loups qui ont déjà transité dans notre région depuis 2016.

Et l’on sait combien la cohabitation entre l’espèce et les éleveurs est tendue…

Nous avons connu l’été dernier, en zone de présence permanente, une vague d’attaques liée à la naissance de louveteaux et ce sont malheureusement les moutons qui en ont fait les frais. Des mesures ont été mises en place pour aider les propriétaires de troupeaux à se protéger. Pour le moment, nous n’avons plus d’attaques sur Jalhay, la commune la plus touchée, mais nous redoutons le même phénomène à la fin de l’été prochain. Parmi les éleveurs, certains ne veulent pas entendre parler du loup et ne souhaitent même pas se protéger, mais la majorité d’entre eux comprend qu’il leur faudra cohabiter avec lui et sont demandeurs de moyens de protection… qui leur faudra toutefois entretenir. Au sein du « Réseau Loup », nous avons pu bénéficier des conseils des filières ovines et caprines de la SoCoPro avec laquelle nous travaillons sur l’évaluation des coûts. Cela se passe moins bien quand une attaque tue plusieurs moutons dans un élevage clôturé. C’est ce que l’on appelle le « surplus killing », (abattage excédentaire) un comportement également observé chez les renards qui tuent souvent toutes les poules d’un poulailler.

Quels sont donc les types d’attaques dont sont victimes les éleveurs ?

On peut distinguer les attaques liées à une meute installée dans une zone de présence permanente, qui sont relativement prévisibles et celles, totalement imprévisibles, qui sont le fait d’électrons libres qui traversent notre région. La seule recommandation est de mettre les moutons à l’abri durant la période hivernale, la plus critique en termes de loups dispersants. Globalement, cela ne se passe pas trop mal même si nous avons dû gérer en juillet 2020 le cas d’un loup à Nidrum (près de Butgenbach) qui avait pris pour habitude de pénétrer jusque dans les étables pour s’attaquer aux veaux. Il a fini par se faire abattre après avoir commis des dégâts en France, en Allemagne et aux Pays-Bas. Il s’agit d’un comportement tout à fait exceptionnel qui renforce les a priori défavorables à l’encontre du loup d’autant que le dossier a malheureusement traîné au niveau des indemnisations. Une situation qui a exacerbé la colère et le désespoir de l’éleveur.

Mi-janvier des eurodéputés ont demandé la révision du statut de protection du loup en Europe. Quelle est la position de la Wallonie par rapport à ce débat ?

Il n’est pas question de vouloir modifier quoi que ce soit au niveau de la Région wallonne. Des premiers louveteaux sont nés l’an dernier, ce serait inapproprié de réfléchir à une manière de réguler l’espèce chez nous. En revanche, nous échangeons avec les régions voisines dans le cadre d’une collaboration transfrontalière basée notamment sur des analyses génétiques harmonisées. Nous essayons de déterminer le nombre d’individus à atteindre pour s’assurer que l’espèce n’est pas en danger d’extinction. Si on lit bien les textes européens, on parle de conservation de l’espèce en termes d’abondance et d’occupation du territoire. En Wallonie, nous sommes sur une meute qui tient sur 25.000 hectares. Compte tenu du caractère giboyeux de la région et de la surface forestière qui représente environ 33 % du territoire wallon, on peut s’attendre à ce que plusieurs meutes s’installent chez nous sans que cela ne mette en péril certaines activités. Pour l’instant, les mesures prévues par le Plan loup consistent davantage à miser sur la protection des troupeaux que sur le contrôle du loup.

Marie-France Vienne

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