Accueil Maraîchage

Quels nouveaux schémas de désherbage adopter dans l’ère post-linuron?

Suite à la disparition du linuron en 2017, le désherbage des parcelles de carottes s’est complexifié. Face à la nécessité d’identifier des alternatives efficaces pour contrer la concurrence des adventices, le Cpl-Végémar conduit de nombreux essais dont voici la synthèse.

Temps de lecture : 7 min

La culture de la carotte était, en 2020, la troisième culture de légumes de plein air la plus importante en termes de surface en Belgique. Suite au retrait de l’agréation du linuron en 2017, le désherbage de cette culture a subi de profonds changements. La morelle, autrefois contrôlée par cet herbicide, constitue aujourd’hui la problématique nº1 du désherbage de par sa germination tardive, son développement rapide et l’efficacité insuffisante des produits homologués (figure 1).

Figure 1 : morelles présentes dans l’essai de désherbage en carotte en 2019.
Figure 1 : morelles présentes dans l’essai de désherbage en carotte en 2019. - Cpl-Végémar

Le Centre provincial liégeois de productions végétales et maraîchères (Cpl-Végémar) réalise depuis quelques années déjà des essais pour remédier à cette problématique et développer de nouveaux schémas de désherbage dans l’ère post-linuron.

La pré-émergence : indispensable…

Le traitement de pré-émergence doit être effectué le plus proche possible du semis pour profiter au maximum de l’humidité du sol et ainsi permettre une bonne action des produits racinaires. Il faut opter pour un traitement de pré-émergence le plus complet possible, c’est-à-dire basé sur l’association d’au moins trois matières actives pour garantir un bon contrôle de la flore adventice : l’aclonifen, la pendiméthaline et la clomazone.

La pendiméthaline a un large spectre d’action et une bonne rémanence. Cette matière active est absorbée par les racines, les germes, les cotylédons et les feuilles des adventices (absorption principalement foliaire en post-émergence). Elle va inhiber les processus de division et d’allongement cellulaires. Cela va engendrer un arrêt de la croissance après la germination ou après la levée et les adventices vont alors dépérir.

La clomazone présente également un large spectre d’action. Elle joue un rôle important dans le contrôle des ombellifères telles que la petite ciguë (éthuse) et possède un effet synergique sur de nombreuses adventices dont la morelle.

L’aclonifen a, quant à lui, une action intéressante sur un grand nombre d’adventices tels que les chénopodes et les camomilles. C’est un herbicide de contact qui, lorsqu’il est appliqué, va constituer un film localisé à la surface du sol. Les mauvaises herbes vont alors entrer en contact avec ce film lorsqu’elles vont lever.

Les principaux herbicides utilisés en pré-émergence sont repris dans le tableau 1.

20-4016-CAROTTES1-web

Les traitements de pré-émergence conseillés sont soit constitués de Novitron (1,8 kg/ha) et Stomp Aqua (2 l/ha), soit de Centium (0,2 l/ha), de Challenge (1,5 l/ha) et de Stomp Aqua (2 l/ha). Ceux-ci permettent de réduire significativement les populations d’adventices présentes en culture de carotte (voir tableau 2). Néanmoins, l’efficacité des pré-émergences reste partielle, d’où l’intérêt des traitements de post-émergence.

20-4016-CAROTTES2-web

… mais pas suffisante

Le tableau 3 expose les principaux produits utilisés en désherbage de post-émergence en carotte.

20-4016-CAROTTES3-web

La stratégie à adopter en post-émergence peut se résumer par quatre lettres : PCFD pour précocité, combinaison, fractionnement et dose.

 Précocité

Il est primordial d’intervenir tôt en post-émergence. En effet, plus les adventices sont jeunes, plus elles sont faciles à éliminer. À l’inverse, plus elles sont développées et plus le rattrapage est compliqué car certains herbicides de post-levée ont une action racinaire.

 Combinaison

L’association de partenaires permet d’élargir et de renforcer le spectre d’action du traitement de désherbage grâce aux synergies entre produits. On peut notamment citer le produit Defi qui, appliqué seul, présente un intérêt limité mais qui joue un rôle synergique avec d’autres herbicides de post-émergence (Challenge et Sencor, par exemple).

 Fractionnement

Fractionner les applications permet d’intervenir à chaque nouvelle levée d’adventices et donc d’intervenir sur des adventices jeunes. L’idéal est d’intervenir tous les 7 à 10 jours.

 Dose

La dose optimale d’un produit herbicide est un équilibre précaire entre l’efficacité et la sélectivité. Il est primordial d’adapter les doses pour allier efficacité et sélectivité et ce, en fonction du stade des carottes, des conditions météorologiques ainsi que des conditions d’humidité du sol. Aux stades jeunes de la culture, les doses doivent être réduites pour éviter tout problème de sélectivité. Par la suite, elles peuvent être augmentées.

Intervenir aussi en post-émergence

Cette stratégie PCFD a un effet boule de neige, le fractionnement des applications et le fait d’intervenir sur des adventices jeunes permettent de réduire les doses des herbicides utilisés. Par ailleurs, l’utilisation de matières actives avec des modes d’action différents limite les risques d’apparition de résistances.

Au stade « début 2 feuilles », il est conseillé d’utiliser le mélange Defi 0,5 l/ha + Stomp Aqua 0,75 l/ha. En effet, dans les essais menés ces dernières années, celui-ci a confirmé son intérêt au stade « 1 feuille ». Attention, Stomp Aqua n’est pas homologué au stade « 1 feuille » mais une demande d’extension d’usage a été introduite.

Remplacer Defi par Sencor est envisageable mais il faut rester prudent par rapport à la sélectivité de ce dernier à ce stade. Il est conseillé de réaliser un premier traitement au stade « début 2 feuilles » en cas de levée lente des carottes ou si la parcelle est sale à ce stade (importance d’intervenir sur des adventices jeunes). Si ce n’est pas le cas, il est possible d’attendre le stade « 2-3 feuilles » pour débuter le désherbage de post-émergence avec le mélange Defi + Stomp Aqua + Challenge.

Concernant le stade « 2-3 feuilles » , les associations Defi + Challenge ou Defi + Challenge + Sencor ont fourni de bons résultats dans la gestion des adventices et notamment sur la morelle noire. Le mélange triple est plus indiqué en cas de présence de camomilles alors que le mélange double devrait être privilégié lorsque les adventices majoritaires sont des chénopodes, des moutardes, des sénés…

Dans le cas du mélange Defi + Challenge, pour assurer une bonne efficacité, il semble important de ne pas trop réduire les doses. Ce mélange est tout à fait sélectif aux doses de : Defi 1,5 l/ha et Challenge 0,75 l/ha. Le mélange triple Defi + Challenge + Sencor est plus agressif vis-à-vis de la culture. Un essai conduit en 2019 avait démontré l’importance de limiter la dose de Defi à maximum 1 l/ha afin d’éviter les problèmes de phytotoxicité, surtout en cas de conditions humides (voir tableau 4). Il est également primordial de rester prudent par rapport aux doses de Challenge et Sencor au sein du mélange.

20-4016-CAROTTES4-web

Au stade « 4-6 feuilles », Sencor utilisé seul et le mélange Defi + Sencor ont montré de bons résultats dans les essais. Ce dernier possède une bonne efficacité sur camomille, mercuriale et morelle.

Adapter les doses selon la météo

Attention à bien adapter les doses des produits appliqués en fonction des conditions météorologiques. En effet, l’essai de 2019 susmentionné a permis de mettre en évidence le manque de sélectivité de certains schémas qui, pourtant, avaient peu marqué la culture en 2018 (tableau 4).

Les conditions météorologiques et l’humidité du sol sont donc déterminantes pour l’efficacité du désherbage et la sélectivité sur la culture. Les doses des herbicides doivent être adaptées en fonction des conditions d’humidité du sol et du feuillage ainsi que de la météo. En cas de printemps humide par exemple, les doses des produits doivent être réduites sous peine de provoquer un retard de croissance, voir des pertes de plants. Attention également à traiter sur une végétation sèche pour limiter les problèmes de sélectivité.

Quelle efficacité pour le Toki ?

Toki est un herbicide total composé de flumioxazine. Il a une action principalement racinaire. Le Cpl-Végémar teste ce produit depuis plusieurs années déjà en carottes. Les différents essais ont montré une bonne efficacité contre la flore adventice, notamment la morelle.

Par contre, une phytotoxicité non négligeable a été observée dans les différents essais même lorsque la dose était fractionnée ( figure 2 ). En effet, un freinage de la culture était visible même plusieurs semaines après les traitements de post-émergence.

Figure 2 : à gauche : parcelle traitée avec le produit Toki en post-émergence (entourée en bleu), présence d’un freinage  de la culture de carotte ; à droite : symptômes de phytotoxicité dus au produit Toki.
Figure 2 : à gauche : parcelle traitée avec le produit Toki en post-émergence (entourée en bleu), présence d’un freinage de la culture de carotte ; à droite : symptômes de phytotoxicité dus au produit Toki. - Cpl-Végémar (2021)

Par ailleurs, outre les schémas présentés, le Cpl-Végémar en étudie d’autres également. Cependant, l’équilibre sélectivité-efficacité n’est parfois pas simple à atteindre.

Intervenir tôt, combiner, fractionner et adapter les doses

En conclusion, on observe qu’un traitement de pré-émergence solide constitue le premier levier pour réussir le désherbage des carottes. En outre, cette opération nécessite d’intervenir à un stade précoce, de fractionner les applications, d’adapter les doses et de multiplier et combiner les partenaires.

Figure 3: résumé d’un schéma de désherbage conseillé en carotte avec trois applications en post-émergence (Cpl-Végémar, 2021).
Figure 3: résumé d’un schéma de désherbage conseillé en carotte avec trois applications en post-émergence (Cpl-Végémar, 2021).

Figure 4: résumé d’un schéma de désherbage conseillé en carotte avec deux applications en post-émergence (Cpl-Végémar, 2021).
Figure 4: résumé d’un schéma de désherbage conseillé en carotte avec deux applications en post-émergence (Cpl-Végémar, 2021).

Les schémas conseillés ci-avant sont à adapter en fonction de l’importance et du type d’adventices présentes mais également des conditions météorologiques. Ils sont bridés par les homologations des produits. Cependant, de nombreuses demandes sont en cours pour remédier à ce problème. On peut notamment citer la demande d’utilisation de Stomp Aqua au stade 1 feuille.

Valérie Glesner et Adrien Boufflette

Cpl-Végémar

A lire aussi en Maraîchage

La fertilisation en maraîchage diversifié

Maraîchage La fertilisation des cultures maraîchères et celle des grandes cultures répondent aux mêmes principes. Il s’agit d’améliorer le sol physiquement, chimiquement ou biologiquement. Cependant, les particularités propres aux cultures maraîchères influencent les décisions prises par les producteurs, notamment en ce qui concerne la durabilité économique, sociale et environnementale.
Voir plus d'articles