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Baux antérieurs à la nouvelle réforme: une interprétation qui peut poser problème

Lors d’une journée d’information traitant des outils de transmission des exploitations organisée par Hainaut Développement, Maître Henry Van Malleghem s’est exprimé sur la transmission des exploitations au regard de la loi sur le bail à ferme. Il a plus particulièrement abordé la question du traitement des baux antérieurs au 1er janvier 2020 ainsi que les principes de la cession familiale simple et de la cession privilégiée.

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Lors de son exposé, Maître Henry Van Malleghem a plus précisément choisi de s’intéresser à la cession des baux à ferme lors de la transmission des exploitations. « Il ne s’agit pas d’évoquer la transmission de tout l’actif d’une exploitation agricole mais uniquement les outils légaux permettant aux exploitants de transmettre à leurs héritiers les baux dont ils sont titulaires. Précisons aussi que l’exploitant peut très bien ne transmettre qu’une partie de ses baux, c’est souvent le cas dans le cadre d’une transmission partielle ou en phases de l’exploitation, à ceci près que chaque bail cédé doit l’être en intégralité: autrement dit, un preneur qui loue 5 ha à un propriétaire A et 5 ha à un propriétaire B peut faire le choix de céder le bail relatif aux 5 ha du propriétaire A et demeurer preneur dans le cadre du bail des 5 ha du propriétaire B mais il ne peut céder le droit au bail sur 2,5 ha appartenant à A et sur 2,5 ha appartenant à B.»

Avant de détailler les principes de la cession simple et de la cession privilégiée, il a tenu à faire le point sur une problématique née de la nouvelle réforme, à savoir son application aux baux antérieurs à son entrée en vigueur. En effet, l’interprétation qu’on peut en faire n’est pas sans conséquence pour la transmission de ces baux.

Les dispositions transitoires : les anciens baux verbaux protégés

Le décret wallon du 2 mai 2019 a remanié de façon plus ou moins profonde la loi sur le bail à ferme. « Une bonne partie de ce qui était repris dans la version du 7 novembre 1988 a été maintenue, néanmoins quelques nouveautés méritent d’être soulevées dont une relativement importante consignée dans le nouvel article 4 de la loi. Cette nouveauté limite désormais le nombre de périodes d’occupation d’un contrat de bail à ferme à quatre durées de 9 ans », explique Maître Henry Van Malleghem. Le nouveau décret étant entré en vigueur le 1er janvier 2020, il n’y a pas trop de difficultés en ce qui concerne l’application de cette règle aux baux postérieurs à cette date.

La problématique est, par contre, plus importante pour les baux antérieurs au 1er janvier 2020. Dans toute législation, il existe des dispositions transitoires, c’est-à-dire une partie de la nouvelle loi expliquant comment celle-ci s’applique à une situation née antérieurement à son entrée en vigueur. « Dans le cas présent, ces dispositions peuvent avoir un impact important dans les relations contractuelles des preneurs avec leurs bailleurs ainsi que sur la possibilité de transmettre des baux à des héritiers », explique Maître Van Malleghem.

En effet, les dispositions transitoires précisent clairement ce qui se passe pour les baux verbaux nés avant le 1er janvier 2020 mais restent muettes pour les baux écrits antérieurs à cette date. « De façon assez claire, la législation dit que, pour un bail verbal ayant pris cours avant 2002, au 1er janvier 2020, l’agriculteur preneur a encore droit à deux périodes de 9 ans, c’est-à-dire 18 ans. En effet, 18 ans séparent 2002 de 2020 et on considère encore deux périodes après cette date butoir pour au final avoir 36 ans, ce qui est précisément le nombre d’années autorisées par la nouvelle loi sur le bail à ferme. En ce qui concerne les baux verbaux postérieurs à 2002, on fonctionne avec 4 périodes comme l’indique la nouvelle loi. Un bail verbal de 2010 courra ainsi jusque 2046. Pour les baux verbaux, il n’y a donc a priori pas de difficultés, ce qui est assez contradictoire puisque, auparavant, l’agriculteur a toujours pensé être davantage à l’abri lorsqu’il était en possession d’un bail écrit plutôt qu’un bail verbal. Celui-ci étant couché par écrit, cela le rendait selon lui difficilement contestable. D’ailleurs, dans l’article 3, la nouvelle loi semble presque imposer la rédaction écrite pour les nouveaux baux mais, et c’est là que réside le problème, lorsqu’il s’agit de savoir ce qu’il faut faire pour les baux écrits antérieurs au 1er janvier 2020, la loi semble davantage protéger les baux verbaux. C’est à rien n’y comprendre ».

Rien de prévu pour les anciens baux écrits

Pour les baux écrits anciens la problématique est que, contrairement aux baux verbaux anciens, le décret wallon n’a rien prévu. « Alors applique-t-on aux baux écrits anciens la même règle afin d’avoir une forme d’égalité de traitement ou considère-t-on que, puisque la nouvelle législation n’a rien prévu pour les baux écrits anciens, on leur applique la nouvelle législation. Cette dernière solution n’est pas sans poser problème. Pour exemple, un bail écrit de 1980 de 9 ans auquel on applique la nouvelle législation de 4X 9 ans se terminerait en 2016. Il serait alors mort en 2020, expiré avec effet rétroactif depuis 2016. La problématique est épineuse, d’autant plus quand on compare les situations d’un titulaire d’un bail écrit et celui d’un bail verbal. Un bail verbal de 1980 bénéficie encore de deux périodes jusqu’en 2038, alors qu’un bail écrit est fini ».

Égalité de traitement et conforme à la Constitution ?

Pour l’avocat, cette problématique doit s’examiner sous l’angle de l’égalité de traitement. « On pourrait considérer qu’il y a discrimination puisque les situations de départ sont identiques. La situation a été portée devant les juges de paix de quasiment toute la Wallonie et l’un et l’autre ne disent pas la même chose. Néanmoins, il semble se dégager que si on applique l’article 4, la situation pourrait apparaître discriminatoire et, si c’est le cas, on peut alors considérer qu’elle n’est pas conforme à la Constitution belge sur base de deux articles, 10 et 11, essentiels qui traitent de l’égalité de traitement. Lorsqu’une une situation semble être contraire à ces articles, les juges s’en déchargent et renvoient cela vers la Cour Constitutionnelle. Ce tribunal unique en Belgique est alors chargé de dire si le nouveau texte est conforme ou non à la Constitution belge ».

Néanmoins, le rôle de la Cour constitutionnelle se limite à ça. Il ne précise pas ce qui se passe si elle estime que la loi n’est pas conforme. « Elle ne donne pas la solution au problème. Si elle estimait le texte non conforme, on peut supposer que le problème sera renvoyé au Parlement wallon qui légiféra à nouveau sur la question. Le dossier est déjà parti à la Cour depuis 1 an, on ne sait combien de temps prendra son traitement et quelle sera la décision rendue. Mais, entre-temps, cela laisse un énorme floue et met certains exploitants dans une mauvaise posture. En effet, si certains baux n’existent plus, il est impossible pour l’agriculteur de les transmettre à son fils. Certains exploitants vont devoir attendre cette décision pour pouvoir transmettre sereinement leur exploitation à leurs enfants ».

Le principe de la cession peu égratigné

Sur le principe de la cession de bail, et sous réserve que les baux existent encore au 1er janvier 2020, il n'y a pas de grande nouveauté dans la nouvelle réforme. « Le législateur a toujours été attentif à la stabilité d’occupation offerte aux exploitants agricoles, tout comme il a toujours été attentif à faciliter la transmission des exploitations agricoles dans un cadre familial. La loi sur le bail à ferme, en sa version du 7 novembre 1988, prévoyait déjà des mécanismes de transmission familiale d’exploitations indépendants de tout accord préalable du propriétaire bailleur. Le décret wallon du 2 mai 2019, qui a remanié de façon plus ou moins profonde la loi sur le bail à ferme, n’a que peu égratigné ces facilités ».

Cession interdite sans autorisation sauf…

En effet, si la loi sur le bail à ferme limite la possibilité de céder son bail à un tiers, tel n’est par contre pas le cas lorsqu’il s’agit de le céder à un parent éligible. De façon simple, la loi (article 30) interdit au preneur, en règle, de céder son bail sans l’autorisation préalable du bailleur. Cette règle, a priori sévère, connaît cependant deux exceptions principales.

« La première, quel que soit l’identité du cessionnaire, vise l’hypothèse où le bailleur a consenti préalablement et par écrit à la cession du bail : ce qui était interdit ne l’est plus puisque le bailleur l’a autorisé ».

« La seconde exception, qui nous intéresse davantage, vise l’hypothèse où le preneur cède son bail à un parent repris dans la liste des articles 34 et 35 de la loi sur le bail à ferme. Ce dernier cas ne requiert pas l’autorisation préalable du bailleur pour autant que la cession concerne la totalité du bien loué au même bailleur et que le cessionnaire soit un parent éligible. La liste des parents éligibles (articles 34 et 35 de loi) est la suivante : les descendants/enfants adoptifs du cédant, les descendants/enfants adoptifs du conjoint/cohabitant légal du cédant, les conjoints/cohabitants légaux des descendants/enfants adoptifs du cédant, les conjoints/cohabitants légaux des descendants/enfants adoptifs du conjoint/cohabitant légal du cédant.

Deux types de cessions familiales

Il existe deux types de cession familiale : la cession familiale simple (article 34) et la cession privilégiée (article 35). La différence tient essentiellement aux formalités et aux conséquences.

En matière de cession familiale simple, la loi impose au cédant de notifier la cession au bailleur (voie recommandée ou pli d’huissier) dans un délai de 3 mois de la cession. Cette formalité est apparue dans la loi depuis le décret du 2 mai 2019. « Avant, il n’était pas obligatoire d’informer le bailleur de la cession, si on le faisait, c’était par simple courtoisie et les choses suivaient leur cours. Aujourd’hui, il est absolument nécessaire de le faire ».

En matière de cession privilégiée, grosso modo, le même formalisme est imposé, sinon que le délai de 3 mois prend cours à dater de l’entrée en jouissance du cessionnaire (et non à dater de la cession, même si les dates correspondent souvent).

« Il est permis de se demander si l’obligation de notifier la cession familiale simple au bailleur n’est pas de nature à semer la confusion dès l’instant où, si la notification d’une cession privilégiée ne reprend pas textuellement l’expression « cession privilégiée », il se pourrait que le bailleur se demande si ce qui lui est notifié est une cession simple ou privilégiée. Il est donc vivement conseillé à ceux qui entendent notifier une cession privilégiée d’insérer les mots « cession privilégiée » dans la notification et de faire référence à l’article 35 de la loi sur le bail à ferme, pour éviter tout malentendu. Utile, encore, de préciser que la loi impose d’indiquer dans la notification de cession privilégiée les nom, prénom et adresse du cessionnaire. Il est tout autant conseillé de mentionner la date de l’entrée en jouissance ».

Les différences quant aux conséquences

Quant à leurs conséquences, les cessions simple et privilégiée se distinguent sur deux plans. La première différence tient à la notion légale de « solidarité ». Celui qui cède son bail de façon simple reste solidairement tenu de toutes les obligations du bail, et ce avec le cessionnaire. Tel n’est pas le cas en matière de cession privilégiée, le cédant étant définitivement libéré de toutes les obligations liées au bail cédé.

La seconde différence tient à la durée du bail cédé au cessionnaire. En matière de cession simple, ce dernier continuera le bail là où il se trouvait au moment de la cession alors que la cession privilégiée crée, au profit du cessionnaire, un « tout nouveau » bail à ferme (première période de 9 ans) prenant cours à la date anniversaire de l’entrée en jouissance du cessionnaire. Cette dernière différence est de taille, surtout lorsqu’on sait que le décret du 2 mai 2019 a introduit une limitation à 4 des périodes d’un bail à ferme. « Un exemple illustrera cette seconde et considérable différence : un bail à ferme né le 1er novembre 1990. Le preneur cède son bail de façon simple le 1er novembre 2020. Le cessionnaire continuera le bail vieux de 30 ans là où il était… Si le preneur cède son bail de façon privilégiée le 1er novembre alors que le cessionnaire est entré en jouissance le 2 août 2020, ce dernier bénéficiera d’un nouveau bail à ferme pour une première période de 9 ans prenant cours au 2 août 2021. On parle bien de la date anniversaire de l’entrée en jouissance, c’est-à-dire le 2 août 2020+1. »

Opposition à la cession ?

Le bailleur peut-il s’opposer à une cession de bail familiale simple ou privilégiée ? « En matière de cession de bail familiale simple, la loi ne prévoit rien mais il est admis que le bailleur peut solliciter la résiliation du bail -rupture du bail aux torts et griefs du preneur- sans délai légal particulier (mieux vaut le faire rapidement) si, par exemple, le cessionnaire n’est pas exploitant agricole ou n’entend pas le devenir, si la cession ne concerne pas la totalité du bail ou si le cessionnaire n’est pas un parent éligible… »

L’opposition à cession privilégiée, elle, est davantage réglementée (articles 36 et 37 de la loi). Si elle est basée sur un motif légal prévu à l’article 37, elle doit être introduite dans un délai de 3 mois (article 36) à dater de la notification de la cession, contre le cédant et le cessionnaire. « Sont des motifs d’opposition prévus par l’article 37 l’absence d’aptitude du cessionnaire, l’existence d’un congé donné avant cession, l’incompatibilité entre bailleur et cessionnaire… La cession sera dite nulle et non avenue si l’opposition à cession privilégiée introduite pour un des motifs visés à l’article 37 est déclarée fondée par le Juge de Paix. Le bail devrait, par contre, être résilié si la cession ne concerne qu’une partie des biens loués ou, encore, si le cessionnaire n’est pas un parent éligible. En ce dernier cas, l’action en résiliation n’est pas réglementée tant et si bien qu’elle n’est pas soumise à un délai légal. Mieux vaut l’introduire sans tarder, idéalement dans le même délai de 3 mois, pour éviter toute discussion inutile. Rappelons que toute action en matière de bail à ferme doit être précédée d’un appel en conciliation, à peine d’irrecevabilité (art. 1345 Code Judiciaire) ».

Propos recueillis par D.Jaunard

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