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Protéines végétales en Wallonie: une vision doublée d’une volonté politique et stratégique forte

Après la pandémie de Covid-19, le conflit russo-ukrainien a confirmé l’importance de garantir l’autonomie alimentaire de l’UE devenue une priorité dans l’agenda européen. Et le défi s’annonce passionnant…

Temps de lecture : 8 min

Cette thématique brûlante d’actualité a été développée dans le cadre d’un séminaire organisé par la Fédération wallonne de l’Agriculture au cours duquel se sont succédé plusieurs orateurs pour brosser le tableau des situations wallonne et européenne.

L’embargo américain de 1973 sur le soja

La situation de dépendance de l’Europe aux protéines n’est pas neuve, loin s’en faut. Elle est la résultante de choix politiques.

Elle débute au sortir de la seconde guerre mondiale, quand le libre marché commence à se mettre en place et que le Vieux continent décide de protéger certaines de ses productions (céréales, sucre, lait) en taxant de façon conséquente l’exportation de ces produits sur le territoire européen.

En contrepartie, ce que l’on appelait alors la communauté européenne s’engageait à ne pas mettre de barrières tarifaires sur le soja en provenance des États-Unis. C’est à ce moment précis qu’on assiste à la genèse de la dépendance protéique décidée politiquement.

Cette dépendance a, par la suite, entraîné une perte de capacité de recherche et de production. Pendant une dizaine d’années, l’Europe s’en remet alors uniquement aux importations jusqu’à l’embargo américain sur le soja en 1973 où l’Europe prend conscience de l’aspect stratégique de ce secteur et investit massivement pour son développement, de même que dans la production de protéagineux et oléagineux dont les cultures de colza et de tournesol sont le témoin.

Mais c’est aussi le moment où elle doit répondre à son expansion démographique et donc aux besoins de ses citoyens, ce qui explique en partie pourquoi elle est restée encore assez dépendante du soja américain tandis que de nouveaux acteurs arrivent sur le marché (Brésil, Argentine) pour ne plus le quitter.

Accords de Blair House et réorientation de la PAC

L’Europe développe son premier Plan protéines de soutien aux cultures d’oléagineux et de protéagineux (pois, lupin doux) qui se compose de différentes mesures à destination des producteurs et des transformateurs.

Toutefois, les nombreuses tentatives d’instauration d’une taxe à l’importation sur les oléagineux se solderont toutes par un échec, en raison notamment de l’opposition des industriels de l’alimentation animale et des États-Unis.

La plainte déposée au sein du Gatt face aux aides délivrées aux producteurs européens sera même à l’origine d’une réorientation majeure de la PAC, au début des années 1990, assortie de la volonté des pays européens de réduire les dépenses budgétaires, ce qui aboutira à de profonds changements pour la filière des oléagineux avec les accords de Blair House, en 1992.

La surface agricole dédiée aux oléagineux est alors limitée à 5,13 millions d’hectares et leurs prix en Europe sont alignés sur les prix mondiaux.

La mise en place de l’Agenda 2000 ne remettra pas en cause cette orientation, et ce malgré l’interdiction des farines animales dans l’alimentation à la suite de la crise de la vache folle et à la nouvelle hausse des importations européennes de soja qui s’en est suivie.

La dépendance européenne aux importations de matières riches en protéines nécessaires à l’alimentation animale est de l’ordre de 70 % depuis le milieu des années 2000, un chiffre qui a oscillé entre 60 % et 80 % depuis les années 1970.

Les États membres réclament en vain une stratégie européenne

L’approvisionnement et la production de protéines végétales (soja, légumineuses, oléagineux…) pour le secteur agroalimentaire suscitent aujourd’hui plus que jamais le débat au sein de l’UE.

Source d’acides aminés indispensables pour le bétail, elles sont une composante majeure de l’alimentation animale et essentielle pour l’agriculture wallonne, terre d’élevage.

Si une stratégie européenne coordonnée ne semble pas pour l’instant d’actualité, les États membres, qui déplorent ce manque d’élan européen, se penchent sur le développement de filières sur leurs territoires respectifs.

Tous sont conscients qu’augmenter la production européenne de protéines végétales permettrait à la fois de renforcer une production nationale durable conforme aux normes européennes élevées et de faciliter la production de protéagineux dans les zones d’intérêt écologique.

Cela viserait également à développer et étendre les chaînes de valeur et les capacités de transformation régionales afin de raccourcir le transport entre le lieu de production et le lieu de consommation.

En outre, pareille stratégie devrait favoriser la recherche et l’innovation, notamment dans le cadre d’Horizon Europe, promouvoir la diversification des apports en protéines, ainsi que leur utilisation pour la production d’aliments pour animaux

La production de protéines, un avantage à multiples facettes…

Les protéines occupent également une place importante pour les citoyens puisque le taux de croissance annuel dans l’alimentation humaine au niveau mondial est de l’ordre de 7 %.

Il faut aussi rappeler que le segment des flexitariens, déjà en forte croissance, est amené à poursuivre son essor dans les prochaines années et que la crise engendrée par le conflit russo-ukrainien augmente les pressions sur la situation des filières agricoles.

Source d’acides aminés indispensables pour le bétail, les protéines sont  une composante majeure de l’alimentation animale et essentielles  pour l’agriculture wallonne, terre d’élevage.
Source d’acides aminés indispensables pour le bétail, les protéines sont une composante majeure de l’alimentation animale et essentielles pour l’agriculture wallonne, terre d’élevage. - M-F V.

« La guerre a pour corollaire de déclencher un signal d’alarme majeur pour l’UE au niveau de sa souveraineté alimentaire et énergétique afin de nous rendre nettement moins dépendants des importations » a ainsi souligné Pierre Pirard, le chef de cabinet adjoint du ministre Willy Borsus.

L’accroissement de la production de protéines doit constituer un bénéfice pour les agriculteurs, les producteurs de denrées alimentaires et d’aliments pour animaux. Elle constituera également un avantage en matière environnementale.

… Pas si simple à implémenter en Wallonie

Les protéagineux contribuent efficacement à rendre vertueux le cycle de l’azote en le stockant dans les sols par le biais des nodosites présentes au niveau des racines.

Implémenter les protéines en région wallonne n’est toutefois pas aisé. Il faut en effet considérer différents éléments tels que les conditions agronomiques qui ne sont pas optimales pour la production à grande échelle, la rentabilité économique de ces cultures, la compétitivité ou encore la concurrence autour de l’utilisation des sols et des terres arables.

Autant de défis qui devront amener la région wallonne à poursuivre ses recherches et encourager l’innovation en matière de pratiques agronomiques.

« Nous devons par exemple optimiser les étapes d’extraction et de transformation afin d’améliorer la qualité et les propriétés des protéines » a précisé le représentant du ministre fédéral de l’Agriculture.

Une initiative prioritaire dans le cadre de la « S3 » 2021-2027

La recherche sur les protéines végétales est soutenue comme initiative prioritaire dans le cadre de la Stratégie de Spécialisation Intelligente de la Wallonie (S3) pour la politique de Recherche et d’Innovation et la politique industrielle de la Wallonie pour la période 2021-2027. Il s’agit d’une approche stratégique du développement économique et social de la Région.

L’objectif de cette stratégie vise le déploiement d’une filière complète de production de protéines végétales issues d’une agriculture raisonnée pour l’alimentation humaine et animale en intégrant toute la chaîne de valeur du champ à la fourchette.

Un soutien financier aux agriculteurs wallons

Avec l’appui du pôle de compétitivité agroalimentaire Wagralim et par le biais du collègue des producteurs, la Wallonie a rédigé un plan de développement de la filière protéique dont la vision à l’échéance 2030 est d’assurer son approvisionnement au travers de 15.000ha de protéines végétales dont 75 % dans des filières organisées.

Outre la recherche, la Wallonie entend soutenir le conseil aux producteurs, le partage du risque à travers les soutiens de la PAC mais aussi de la SRIW (la Société Régionale d’Investissement de Wallonie) et du fonds d’investissement Sogepa, deux des outils financiers wallons, la promotion des produits issus d’approches relocalisées.

La recherche sur les protéines végétales est soutenue comme initiative prioritaire dans le cadre de la Stratégie de Spécialisation Intelligente de la Wallonie.
La recherche sur les protéines végétales est soutenue comme initiative prioritaire dans le cadre de la Stratégie de Spécialisation Intelligente de la Wallonie.

Cette filière pourra inclure la valorisation de ses produits pour l’alimentation animale. D’autres filières pourront être créées, complétées ou repositionnées en fonction de leur intérêt économique pour la Wallonie. Elles accorderont une attention particulière à la valorisation des coproduits.

Le Cepicop, le collège des producteurs et Wagralim, qui assure la mise en relation entre les acteurs, le développement d’un écosystème au travers de son expertise sur le volet des innovations agricoles et technologiques à implémenter, l’analyse du marché consommateur ainsi que la réflexion stratégique, « disposent ainsi de larges compétences au service des initiatives et au besoin d’accompagnement en la matière » a souligné M Pirard.

L’adhésion des acteurs en amont de la chaîne de valeur sera essentielle dans la mise en œuvre d’une filière génératrice de revenus et d’emplois qui favorise un ancrage local et durable.

PAC et Directive-cadre sur l’eau

Dans le cadre de la nouvelle programmation de la PAC, le gouvernement wallon a validé le budget et les grandes orientations qu’il entend donner au secteur pour la période 2023-2027 parmi lesquelles figurent la promotion de l’autonomie alimentaire et une aide financière aux agriculteurs.

Les protéines végétales ont été reprises dans le soutien couplé du premier pilier de la PAC, « c’est donc un signal très fort dès lors qu’il constitue une aide directe pour nos agriculteurs » a soulevé M. Pirard.

En introduisant ces cultures à faibles niveaux d’intrants dans la rotation, « l’objectif est multiple » poursuit le représentant de M. Borsus, « il s’agit de préserver les masses d’eau et de contribuer ainsi aux enjeux liés à la directive-cadre sur l’eau, de s’inscrire dans une démarche d’autonomie par rapport aux aliments concentrés, généralement importés, relocaliser la production alimentaire, ou encore favoriser la diversification des rotations ».

La mesure répond également à différents points en matière d’agriculture durable et intègre certaines recommandations formulées par la commission.

Marie-France Vienne

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