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Vers un retour en grâce?

Et pourquoi pas des pommes de terre ? Le marché des céréales et leur circulation dans le monde sont gravement perturbés par l’« opération militaire spéciale » des Russes en Ukraine. Le froment, le maïs, le riz…, se sont imposés comme aliments de base pour nourrir l’humanité, car ils s’insèrent parfaitement dans la logique agro-industrielle, commerciale et capitaliste qui mène toutes les danses à l’heure d’aujourd’hui. Mais pour le reste ? Environnement et dérèglements climatiques, sécurité alimentaire des pays pauvres et risques de famine, diversité des sources d’approvisionnement ? Ces thèmes essentiels peinent de plus en plus à être respectés par la culture du blé & Cie. Alors, je le redis : pourquoi pas cultiver davantage de pommes de terre, et profiter de leurs atouts, malgré leurs faiblesses ?

Temps de lecture : 5 min

Les patates en Belgique, on connaît ! Et pas qu’un peu, mon neveu ! Depuis bientôt 250 ans, la plante à Parmentier (Antoine Augustin, 1737-1813) nourrit des millions de personnes partout dans le monde grâce à ses tubercules, riches en amidon, oligo-éléments, vitamines et fibres. Excusez du peu ! Cette culture vivrière a très bien évolué au cours de deux siècles de sélection, et constitue aujourd’hui une source alimentaire au potentiel indéniable, pour peu qu’elle soit déployée plus largement encore. Autrefois, dans nos régions rurales et aux abords des villes, d’innombrables petits lopins et de grands champs lui étaient consacrés. Chaque famille au village cultivait « ses crompires », au potager ou dans un coin d’une parcelle de céréale. On comptait environ entre deux et trois ares par adulte, ce qui représentait une toute petite surface pour récolter de quoi manger toute l’année lors du repas de midi, et au soir pour souper. Les épluchures et les tout petits tubercules étaient cuits à la « caboulée » pour les cochons. C’était réellement un aliment-miracle ! Et puis, nul besoin de passer par un meunier et un boulanger pour obtenir une nourriture prête à être consommée : il suffisait en été d’en arracher quelques-unes au courtil, de les peler et les mettre cuire avec une pincée de sel. Impossible de trouver un circuit plus court !

Le gros défaut des pommes de terre venait, et vient toujours, de leur sensibilité au mildiou. Les Irlandais l’apprirent à leurs dépens au cours du 19e siècle ! À partir de 1810, la pomme de terre gagna le cœur des paysans de la grande île verte, au point de devenir la denrée alimentaire de base. Un acre (40 ares) suffisait largement à nourrir une famille de cinq à six adultes, là où trois acres de blé peinaient à produire de quoi manger le pain quotidien. Les Irlandais cultivaient l’Irish Lumper en exclusivité, une pomme de terre fort fertile qui poussait dans les terres les plus pauvres et résistait bien aux étés froids et humides. Cette nourriture abondante donna un fameux coup de boost à la démographie de l’île, qui vit sa population quasi doubler en quarante ans ! Hélas, le mildiou (Phytophora Infestans) débarqua clandestinement d’Amérique du Nord en 1844 et vint contaminer l’Europe. Sur le continent, où l’agriculture était davantage diversifiée, la famine causée par les pertes de rendement ne causa la mort « que » de cent mille personnes. En Irlande, elle fut tout à fait désastreuse, et entraîna le décès d’un million de malheureux, sur une population de huit millions d’âmes. Un autre million émigra très vite vers les États-Unis, et cet élan migratoire se poursuivit au cours des décennies qui suivirent. La pomme de terre Lumper fut pointée du doigt, car elle était très sensible au mildiou, et sa monoculture à grande échelle n’arrangeait rien. De plus, les abominables lords anglais protestants, qui possédaient les grands domaines, ne levèrent pas le petit doigt pour secourir leurs métayers catholiques. Au contraire, appuyés par l’armée britannique, ils continuèrent à prélever leurs locations sous forme de denrées alimentaires ! On comprend pourquoi les Irlandais ne portent pas trop les Anglais dans leur cœur…

Mais aujourd’hui, la culture de la pomme de terre est beaucoup mieux maîtrisée. Les variétés de plants sont plurielles, et la culture ne revient que tous les dix ans sur une même parcelle. La recherche phyto-pharmaceutique a mis au point des fongicides très efficaces, pour contenir le mildiou et assurer une protection ; certaines variétés sont peu sensibles à cette terrible moisissure. Dans le contexte de crise céréalière, la pomme de terre pourrait s’avérer une alternative fort intéressante, dans les pays d’Afrique et partout dans le monde où le manque de nourriture risque de tourner à la catastrophe, comme en Irlande au 19e siècle. À l’inverse de cet épisode calamiteux, ce serait ici la culture de ce sympathique tubercule qui viendrait apporter une partie de la solution. La plante-miracle d’Antoine Parmentier exige moins d’eau que les céréales, et se cultive très vite. En moins de trois mois, on obtient déjà un bon aliment prêt à l’emploi ! Alors, pourquoi pas un retour en grâce ?

Des champs de pommes de terre viendront-ils remplacer ces rizières génératrices de CH4 et de N2O (7 % des GES émis dans le monde) ? La patate sera-t-elle davantage cultivée dans nos régions, et surtout dans les pays du Tiers-Monde qui dépendent des céréales russes et ukrainiennes ? Sans doute souffre-t-elle chez nous d’une image de nourriture de base, qui ne peut guère rivaliser avec l’aspect « glamour » des pâtes industrielles au blé dur, abondantes dans les supermarchés ? C’est un aliment populaire local, susceptible d’être cultivé pour le peuple, et consommé sur place par le peuple. Difficile de trouver plus durable, en termes d’environnement, de partage social et d’économie ! Cuite à l’eau, frites, en purée, en gratin dauphinois ou robe des champs… Vive la pomme de terre !

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