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Des nouvelles pratiques pour limiter le ruissellement érosif grâce au projet Intell’eau

Ruissellement et érosion constituent un problème majeur en zone agricole et ce, d’autant que le sol constitue le capital principal des fermes. Ces pourquoi le projet Intell’eau entend étudier et tester des pratiques permettant de limiter ces phénomènes en vue, in fine, d’aider les agriculteurs à mettre en place les mesures les plus adaptées à leur situation.

Temps de lecture : 9 min

La préservation du capital sol et les coulées de boues ont toujours beaucoup fait parler d’eux, d’autant plus en 2021. Actuellement, les conseils en matière de lutte contre l’érosion et de ses conséquences découlent en grande partie d’avis d’experts (cellule Giser, notamment). Le projet Intell’eau vise, pour sa part, à faciliter la prise de décision, tant pour des pratiques ou aménagements bien établis que d’autres moins étudiés ou répandus. Nous faisons ici le point après une première campagne d’essais portant sur différentes pratiques agronomiques ou barrières inter-parcellaires productives.

Optimiser la mise en œuvre de mesures de conservation

Le projet Intell’eau a pour objectif ultime de développer un outil cartographique d’aide à la décision relatif à la mise en œuvre de mesures de conservation des eaux et des sols tant au niveau des parcelles agricoles qu’au niveau des transitions entre parcelles. Il vise ainsi à optimiser l’usage de ces techniques et de prendre en compte leurs effets combinés pour limiter le risque de ruissellement et d’érosion à l’échelle de petits bassins versants agricoles. Cet outil, fruit d’une collaboration entre l’Université de Liège – Gembloux Agro-BioTech, l’UCLouvain, le Cipf et le Cra-w, sera mis à disposition des conseillers agricoles et des agriculteurs.

La première phase du projet (2021-2023) se focalise sur la quantification de l’impact de mesures de réduction du ruissellement érosif. Si certaines techniques ont déjà été largement étudiées, d’autres, plus innovantes, nécessitent des mesures de terrain. Le projet s’appuiera donc sur une revue bibliographique pour rassembler toutes les données pertinentes existantes, et sur des mesures concrètes pour les techniques moins documentées (tableau). Les résultats préliminaires obtenus au cours de cette première année de travail sont présentés ici.

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Bande de miscanthus : un aménagement productif et efficace

Les barrières végétalisées entre parcelles freinent les flux, contribuent ainsi au dépôt de sédiments, et favorisent l’infiltration de l’eau dans le sol. Les bandes enherbées sont déjà préconisées et efficaces mais ne sont pas productives alors que leur emprise foncière est conséquente. Les barrages filtrants, ou fascines, de paille, de branchage ou de copeaux ont une emprise foncière limitée mais leur implantation est chère et complexe, pour une durée de vie de quelques années seulement.

Afin de concilier efficacité et valorisation, le projet Intell’eau explore l’utilisation de deux plantes énergétiques : le miscanthus et le taillis à très courte rotation (TTCR) de saule. Ces cultures pérennes (15 à 20 ans), valorisables en biomasse notamment, demandent très peu d’entretien après implantation et présentent des caractéristiques végétales (hauteur et couverture végétale importante, résilience à l’enfouissement…) qui en font des candidats intéressants pour la lutte contre l’érosion.

Afin de définir l’efficacité de ces dispositifs, les essais réalisés consistent à envoyer un flux d’eau maîtrisé à travers les cultures énergétiques en situation réelle en champ. La mesure des hauteurs d’eau permet la définition d’un « coefficient de Manning », représentatif de la capacité de la végétation à freiner les écoulements. Plus ce coefficient est élevé, plus le ruissellement sera freiné et plus la capacité à retenir les sédiments érodés sera importante.

Deux sites ont été étudiés en 2021. Le premier est une bande de miscanthus implantée par le Cipf. Plantée en 2018 à une densité de 20.000 plants/ha, la culture se trouve sur un sol limoneux caillouteux, sur des pentes de 7 à 15 %. Le coefficient de Manning moyen mesuré pour le miscanthus est de 0,6 s.m-1/3. En comparaison, une bande enherbée a un coefficient de Manning situé entre 0,2 et 0,3 s.m-1/3 et une fascine entre 0,1 et 1 s.m-1/3. Une culture de miscanthus mature apparaît ainsi comme plus efficace qu’une bande enherbée pour freiner les flux, tout en apportant une valeur ajoutée financière, en nécessitant un entretien minime et en ayant une durée de vie élevée.

La clé : un mulch dense

Ces essais ont également mis en évidence l’importance de la couche de mulch présente à la surface du sol dans la culture de miscanthus. Lors d’événements érosifs, celui-ci se déplace, et s’accumule entre les tiges, formant une série de micro-barrages naturels, retenant des quantités d’eau et de sédiments plus importantes que lorsque le mulch est à sa place initiale. Précision importante : au printemps, ces barrages ne se forment que si les tiges ont été coupées suffisamment haut (50-60 cm du sol).

Formation de micro-barrages lors du déplacement du mulch par les flux d’eau: lors des essais (ci-dessus), et lors des orages de juin 2021 (ci-dessous).
Formation de micro-barrages lors du déplacement du mulch par les flux d’eau: lors des essais (ci-dessus), et lors des orages de juin 2021 (ci-dessous).

Mulch miscanthus (fig 2 bis)

TTCR de saules : l’importance d’un couvert herbacé

Le second site d’étude est un TTCR de saule, implanté par l’entreprise Phitech en 2019, sur sol limoneux à drainage favorable et pente faible (< 3 %). Le taillis est constitué d’une alternance de saules recépés, avec un couvert herbacé (trèfle, graminée et phacélie). Le coefficient de Manning moyen s’y élève à 0,3 s.m-1/3, proche de celui d’une bande enherbée. On peut supposer que le ralentissement des flux provient majoritairement de la présence du couvert herbacé, plutôt que de celle des saules. Le maintien de ce couvert semble dès lors primordial dans le cadre d’un TTCR à visée anti-érosive.

La microtopographie créée à l’implantation du TTCR semble également impacter la dynamique du ruissellement de surface. En effet, l’alternance saule-couvert forme une série de dépressions dans le couvert herbacé et de talus sous les saules, créant un ensemble de mini-bassins de rétention d’eau. Les résultats préliminaires indiquent que les taux d’infiltration dans ces bassins seraient nettement plus importants dans les TTCR que dans les bandes de miscanthus.

Les essais et mesures seront également menés sur d’autres bandes ligno-cellulosiques implantées dans des conditions différentes, afin de définir les conditions optimales d’implantation de ces dispositifs (lieu, largeur, densité) pour maximiser leur efficacité dans le cadre de la lutte anti-érosive.

Strip-till en maïs : encore peu adopté mais à potentiel

Différentes pratiques agricoles ont également été testées en 2021 : le strip-till et sous-semis en maïs, ainsi que le prébuttage en pommes de terre. L’efficacité de ces techniques a été quantifiée sous pluie naturelle par récolte des eaux de ruissellement sur des sous-parcelles agricoles de 15 à 60 m², et détermination des volumes ruisselés, de la quantité de terre érodée ainsi que des quantités d’herbicides emportés par l’eau et les sédiments.

Le strip-till est une technique de travail du sol en système non-labour, qui consiste à travailler uniquement la ligne de semis du maïs afin d’y assurer un lit de semence adapté à une bonne émergence, tout en laissant l’inter-rang non travaillé. Durant la saison 2021, sur un site d’essai situé à Bonlez sur une pente de 18 %, le traitement strip-till (un passage strip-till avant le semis) a été mis en œuvre dans un couvert végétal de moutarde, phacélie et trèfle, qui avait été détruit par le gel durant l’hiver.

Sur l’ensemble de la saison, cette pratique a permis de réduire le ruissellement d’environ 50 %, et les pertes en terres et en herbicide (sulcotrione) de plus de 65 %, par rapport au traitement témoin (deux passages vibroculteur-crosskillette avant le semis) (figure 1).

Figure 1: quantité totale d'eau ruisselée, de terre érodée, et d’herbicide exporté en surface, pour le traitement strip-till en maïs et son témoin à Bonlez, durant la saison 2021.
Figure 1: quantité totale d'eau ruisselée, de terre érodée, et d’herbicide exporté en surface, pour le traitement strip-till en maïs et son témoin à Bonlez, durant la saison 2021.

À noter le taux d’érosion élevé mesuré sur la parcelle témoin (> 15 t/ha en 4,5 mois) suite à cette saison 2021 particulièrement pluvieuse, qui démontre une fois de plus la sensibilité à l’érosion de la culture de maïs sur terres limoneuses en pente.

En termes de rendements, on a relevé une production moyenne de 19,8 t/ha de matière sèche sur les témoins et de 18,2 t/ha sur les parcelles en strip-till. Cette légère perte de rendement confirme les observations du Cipf sur des essais précédents en terres (sablo-)limoneuses, à savoir une réduction de 10 à 15 % sous strip-till comparé au témoin.

Sous-semis en maïs : développement lent du couvert

La technique des sous-semis en maïs consiste à semer une espèce associée dans l’inter-rang, en même temps que le semis du maïs. Cette espèce n’est pas destinée à être récoltée mais vise plutôt à couvrir le sol pendant et surtout après la récolte de la culture principale. Les avantages attendus sont nombreux : protection du sol dans l’inter-rang, favorisation de l’infiltration, meilleure portance des machines à la récolte…

Maïs témoin sans sous-semis,  en date du 28 juin.
Maïs témoin sans sous-semis, en date du 28 juin.

Les espèces à croissance lente choisies sont le trèfle blanc et la fétuque rouge. Elles ont montré un niveau de concurrence faible à modéré avec le maïs, en fonction de la disponibilité en eau de la saison et de la densité de semis. Pour la fétuque rouge, une densité de semis jusqu’à 5 à 7 kg/ha a des impacts limités sur le rendement (0 à 5 % de réduction comparé au témoin). Pour le trèfle blanc, la réduction de rendement attendue est de l’ordre de 0 à 5 % à 2 kg/ha et de 5 à 10 % à 4 kg/ha (sur l’essai 2021, la densité de semis appliquée est de 4,5 kg/ha).

Maïs avec sous-semis  de trèfle blanc.
Maïs avec sous-semis de trèfle blanc.

Maïs avec sous-semis de fétuque rouge,  en date du 28 juin.
Maïs avec sous-semis de fétuque rouge, en date du 28 juin.

Dans le cadre d’essais antérieurs réalisés par le Cipf, la sulcotrione a été identifiée comme étant la plus sélective vis-à-vis des sous-semis tout en assurant un désherbage efficace. Toutefois, le choix approprié de la date de pulvérisation (post-émergence) et de la dose (autour de 300 g/ha) reste très délicat afin de détruire sélectivement les adventices mais pas les sous-semis. Ceux-ci restent en effet systématiquement impactés (le plus souvent, blanchiment plus ou moins marqué des feuilles et croissance temporairement ralentie).

Un essai a été mené à Ottignies sur une parcelle avec une pente moyenne de 16 %. Bien qu’une légère réduction du ruissellement (non significatif) ait été observée durant cette saison d’essai 2021, cette technique n’a pas permis de réduire l’export de terre ou d’herbicide (figure 2). Cependant, sur un essai suivi par le Cipf en 2017, le sous-semis de fétuque rouge avait permis de réduire de 50 % le ruissellement et l’érosion. De plus, l’intérêt de la technique réside également dans le fait qu’elle permet de commencer l’automne et l’hiver avec un couvert bien établi, condition difficile à obtenir avec un semis de couvert en automne étant donné la date tardive de récolte du maïs. De plus, les résidus du couvert, une fois restitués au sol, sont susceptibles d’améliorer sa structure, bénéficiant au taux d’érosion de l’année suivante.

Figure 2: quantité totale d'eau ruisselée, de terre érodée, et d’herbicide exporté en surface, pour le sous-semis de fétuque, de trèfle, et le témoin, à Ottignies, durant la saison 2021.
Figure 2: quantité totale d'eau ruisselée, de terre érodée, et d’herbicide exporté en surface, pour le sous-semis de fétuque, de trèfle, et le témoin, à Ottignies, durant la saison 2021.

Une légère diminution de rendement (< 1 %, non statistiquement significative) a été mesurée sur le maïs avec sous-semis, signe d’une faible concurrence avec le maïs cette année : 17,0 et 16,4 t matière sèche/ha de rendement pour le maïs avec sous-semis de fétuque et de trèfle respectivement, contre 17,4 t/ha pour le maïs témoin.

Identifier les actions

les plus efficaces

Plusieurs mesures de réduction de l’érosion ont déjà largement prouvé leur efficacité et sont d’ores et déjà applicables sur les parcelles agricoles. D’autres plus innovantes, comme celles présentées ici, sont encore à l’étude. Les essais 2022 et 2023 devraient permettre de poursuivre la quantification de leur efficacité dans différentes conditions (année climatique, type de sol, précédent cultural…). L’outil d’aide à la décision qui sera développé au terme du projet Intell’eau devrait permettre de mieux quantifier l’impact de différentes mesures prises isolément ou en combinaison, et ainsi d’identifier les actions les plus efficaces à entreprendre, dans un contexte personnalisé.

Plus d’infos sur le projet Intell’eau via https ://intelleau.wixsite.com/projet.

Aurore Degré et Adèle Froehlicher

ULiège Gembloux Agro-Bio Tech

Charles Bielders et Timothée Clement

UCLouvain

Guy Foucart et Gilles Manssens

Cipf

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