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Des pommes, des poires et… des raisins au Domaine des Marnières

Si le Limbourg est l’une des principales régions fruitières d’Europe, la Basse-Meuse liégeoise est elle aussi une grande productrice de pommes et de poires, même si sa production est moindre. Cela a même amené la commune d’Oupeye à s’autoproclamer « Capitale wallonne de la fruiticulture » il y a une quinzaine d’années. Mais la conjoncture a changé, le secteur est confronté à de grandes difficultés, d’une part avec l’arrivée de la Pologne dans l’UE en 2004 – un pays aujourd’hui en surproduction fruitière de 115 ou 120 % – mais, surtout, avec l’embargo russe de 2014 sur les exportations de poires notamment.

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Cette situation morose a donc amené plusieurs arboriculteurs wallons à se tourner vers d’autres pratiques, notamment celle de la viticulture. Et l’un des pionniers en la matière fut Benoît Heggen à Warsage, qui a planté ses premiers pieds de vigne en 1995, parallèlement à son exploitation de pommes et de poires. Il est aujourd’hui l’un des plus anciens vignerons de Wallonie.

En 1936, son grand-père quitte la ville d’Eckelrade (Sint Geertruid) dans le sud des Pays-Bas pour s’établir avec son épouse et ses onze enfants à Fouron-le-Comte dans une ferme (Altenbroeck) où ils découvrent un verger de pommiers hautes-tiges que la famille décide de conserver. En 1948, soucieux de passer de la culture extensive à la culture intensive, son oncle, Hubert Heggen, est l’un des premiers à planter des pommiers basses-tiges, ce qui était totalement innovant à l’époque.

« Il y avait surtout dans la région des hautes-tiges destinés à la transformation (sirop et cidre) », commente Benoît Heggen. « Tous les environs de Warsage étaient couverts de cerisiers, de poiriers et de pommiers hautes-tiges, il y avait même une criée aux enchères (veiling) dans le village. C’est la famille Stassen qui a popularisé cette culture ramenée de Normandie à la fin du XIXe siècle. »

« Mon père a sauté dans le train en marche et a récupéré en 1963 une parcelle de 4,5ha déjà plantée en basses-tiges sur la route d’Aubel, ce qui lui a permis de commencer à travailler les fruits. Il a alors cherché d’autres terrains, construit un hangar et planta au fil des années jusqu’à 60ha, surtout des pommiers, dans les Fourons, mais en louant aussi quelques terres aux Pays-Bas. L’avantage est de disposer ainsi de différents terroirs à diverses altitudes, et de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Cela permettait aussi d’éviter les catastrophes climatiques, rares à l’époque, mais de plus en plus récurrentes aujourd’hui. »

En 1993, Benoît et son frère Vincent, qui disposaient déjà de leurs propres parcelles, reprennent les 60 hectares à leur compte et resteront ensemble jusqu’en 2019.

Vins de fruits

Au début des années 1990, Benoît s’essaie à l’élaboration de vins et de liqueurs de fruits, il en avait d’ailleurs déjà fait dans le cadre de ses études d’ingénieur industriel à Gembloux. Pomme, mûre, framboise, cerise… rien ne l’arrête. Il s’inscrit à un club d’oenophiles et sur un coup de tête décide d’essayer de faire du « vrai » vin.

« Il faut se remettre dans le contexte de l’époque », se souvient-il. « Il n’y avait alors que quelques producteurs sur les hauteurs de Huy et c’était le début du domaine de Mellemont à Thorembais. Mais il n’y avait pas internet, et surtout aucun point de repère sur la viticulture en Belgique, difficile dans ces conditions de savoir qui faisait déjà cela. Seul le bouche-à-oreille fonctionnait. J’avais toutefois repéré une publicité pour le pépiniériste Pauly dans la revue des Cordeliers de Saint-Vincent, j’y suis allé et, sur son conseil, j’ai acheté 300 pieds de Sieger, d’Auxerrois, de Pinot gris, de Riesling et de Müller-Thurgau. Je les ai plantés derrière les pommiers sur un terrain acheté en 1991, en gardant de la place pour la maison que je ferai finalement construire en 1998. C’est là que j’ai fait mes premiers vins… »

Conservant les variétés qui donnent les meilleurs résultats, Benoît Heggen replante à l’avant de sa propriété et en 2003 apprend qu’il existe un autre vignoble non loin de chez lui. Il le rachète l’année suivante à ses deux propriétaires, Martin Frisson, alors secrétaire communal de Dalhem, et Philippe Gillain, le père de l’actrice Marie Gillain (!) et futur conservateur du Musée Décembre 44 à Stoumont-La- Glèze.

heggen-grande-marniere

Ce sera « La Petite Marnière » (43 ares), du nom de la ferme voisine et de l’ancienne carrière où les fermiers venaient chercher la marne calcaire pour neutraliser les sols. Il arrache en 2006 les pieds trop hétéroclites et y replante du Pinot gris, du Chardonnay et du Pinot noir. En 2011, un fermier voisin accepte de lui louer une grande parcelle en face du fort d’Aubin-Neufchâteau, il la baptise « La Grande Marnière » et plante du Chardonnay, du Pinot noir et du Pinot gris. Il en fera l’un des meilleurs vins de Wallonie.

« En 2019, après la séparation avec mon frère, Il me restait 11ha de pommiers derrière chez moi, 2ha de poiriers à Fourons et un peu plus de 5ha de vignes, avec la dernière plantation de Zweigelt, un cépage rouge d’origine autrichienne. Aujourd’hui, je souhaite continuer ce qui me plaît dans la viticulture, prendre plus de plaisir. Tant dans mes vergers que dans le vignoble, j’essaie d’être le plus possible en vibration, en accord avec la nature, en observant les insectes, en pesant toujours le pour et le contre d’un traitement éventuel, surtout en ce qui concerne les insectes. Nous vivons avec eux, nous devons pouvoir nous en accommoder, avoir un seuil de tolérance, accepter un peu de dégâts pour avoir le reste de la parcelle en parfait accord entre prédateurs et parasites. »

Similitudes

Avec plus de 25 ans d’expérience, tant dans les vignes que les arbres fruitiers, quelles similitudes ou différences est-il possible d’observer ?

« La viticulture et l’arboriculture sont comme deux rails de chemin de fer parallèles, mais qui ne se rejoignent pas », répond celui qui se qualifie volontiers de paysan-vigneron. « D’un côté, on va conserver les fruits, de l’autre conserver les raisins mais en les fermentant. Mais dans les deux cas, il faut chercher la parfaite compatibilité entre le sol, la variété et le climat. »

« Au début des années 1990, nous avions beaucoup de problèmes dans le verger avec les araignées rouges et jaunes et on traitait beaucoup. L’introduction de typhlodromes pyri (des acariens prédateurs) a permis de réguler cela. Il y a donc moyen d’arriver à une culture saine et safe en utilisant les bonnes armes, les bons prédateurs. »

« La Nature est tellement forte que l’on ne peut rien contre elle, il faut aller dans son sens. J’ai essayé d’adapter ce principe à la viticulture pour produire du bon fruit, bien sucré. La qualité du vin se gagne à plus de 90 % dans la vigne. Une vigne a les pieds dans la terre, et la tête dans les étoiles, alimentée par l’eau de la terre, elle va pousser… » »

« Mon ambition est de faire un vin qui goûte le paysage », conclut-il. « Je travaille donc chaque variété seule, pour que l’on puisse se dire que ce vin-là est issu de telle variété, de tel vignoble et qu’il est travaillé de telle façon, la seule variabilité étant celle du millésime. »

Marc Vanel

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