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Faites vos jeux, rien ne va plus

Savez-vous combien coûte une roquette américaine téléguidée Javelin, employée par l’Ukraine ? 80.000$. Un missile hypersonique russe Sarmat ou Iskander ? 10 millions de $. Un canon automoteur français Caesar ? 6 millions d'€. Un « bête » obus de 155 mm ? 6.000 €. Un fusil d’assaut « de marque » ? 3.000 €. À ce tarif-là, la guerre aux portes de l’Europe va coûter des milliers de milliards de dollars, rien qu’en armement et munitions, et sans doute davantage encore pour reconstruire tout ce qui sera détruit ! On parle aujourd’hui de « milliards » comme naguère de « millions ». Depuis deux ans, l’argent fout le camp des caisses des États à une vitesse hallucinante, dans un premier temps pour contrer le coronavirus, dans un second temps pour contenir les Russes. Pendant ce temps-là, on viendra dire que l’agriculture coûte cher ! C’est d’une bêtise à pleurer…

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Pour vous donner une échelle de comparaison, le budget PAC en Wallonie des cinq prochaines années (2023-2027) s’élèvera à 1,862 milliard d’euros 1.528 millions pour les aides directes du premier pilier, et 534 millions pour le deuxième pilier du développement rural. Au niveau de l’Union Européenne, la PAC coûte 58 milliards d'€ par an, à 500 millions de citoyens, soit environ 116 €/habitant/année. Quelle sera la facture finale de la guerre Russie-Ukraine pour les ressortissants de l’UE ? Trois, quatre… dix fois plus ? Autrement dit, payer pour un secteur qui vous nourrit coûte infiniment moins cher que financer un conflit qui risque un jour de vous exploser à la figure… Au départ, la CEE fut justement créée dans le but d’éviter une nouvelle guerre en Europe. Notre UE est née au berceau de la peur, pour ne jamais revivre ces années ruineuses, désastreuses, calamiteuses, de 1914-18 et 40-45. Nous avons été « tranquilles » pendant sept décennies. Pas si mal, dans le fond ! Mais c’était trop beau pour durer : chassez le naturel belliqueux des Européens, il reviendra tôt ou tard au galop, d’un coin ou de l’autre du vieux continent.

Inutile de se lamenter… Les règles de nos quotidiens ont changé du tout au tout en deux ans à peine, et nous laissent très peu le choix de prendre la tangente, si on veut s’en tirer sans dommage. Pas le choix, faut y aller ! Pas le choix, faut payer ! L’inflation a pris des proportions surréalistes, et appauvrit tout le monde, sauf les marchands d’armes, de pétrole et de gaz, de métaux rares, de composants électroniques, et de médicaments bien sûr ! Les petites gens trinquent salement… Salaires et pensions modestes suffisent à peine pour se nourrir et se loger ; les capitaux épargnés ont perdu un quart de leur valeur réelle ; certains biens et services sont devenus impayables. Un seul petit missile Javelin représente l’équivalent de soixante mois de pension d’un petit indépendant ! Un seul obus de 155 mm vous remplirait de mazout deux citernes de 2.000 litres ! Voici la réalité de 2022 !

Voilà où passent beaucoup trop de milliards, lesquels seraient bien plus utiles partout dans le monde, afin de régler les problèmes humanitaires et environnementaux ; afin de répondre aux défis climatiques qui mènent sûrement notre humanité à sa perte. Les échelles des priorités d’hier n’ont plus cours aujourd’hui, à l’image de l’argent désargenté, dématérialisé, désarmé, qui n’offre même plus un rempart solide sur lequel s’appuyer. Les centaines, les milliers, les millions, les milliards d’euros, ne sont plus que des chiffres qui défilent devant nos yeux médusés ! Inutile de se balader avec son porte-monnaie pour aller s’acheter du pain : une carte électronique suffit pour payer ; un smartphone effectue en temps réel des transactions financières sans avoir à manipuler la moindre pièce sonnante et trébuchante, ou ces chers billets de banque que d’aucuns adoraient palper de manière sensuelle sous leurs doigts.

J’entends encore mes parents raconter l’après-guerre 40-45, quand le ministre belge Camille Gutt lança son opération monétaire, afin d’éviter un chaos financier, un KO tout court pour la Belgique suite à l’inflation débridée (1.000 % !) amorcée par le marché noir. Les billets de 100 Fb et de valeur supérieure perdaient leur cours légal et devaient être déclarés ; chaque ménage reçut 2.000 Fb, et le reste fut bloqué. Dans la conscience populaire paysanne, le rapport à l’argent subit un véritable traumatisme, une large perte de confiance au sein de toute une génération. Dans les articles de « Voix de la Terre » de 1963, on retrouve une réelle forme de méfiance envers les valeurs financières. Ainsi, une jeune fille s’exclame dans un texte qu’elle ne se risquerait pas à épouser un salarié qui ne possède pas de terrains. En ces années-là, les fermiers petits propriétaires exprimaient un certain mépris pour les ouvriers ou les employés, « qui n’avaient rien », pas de terre, pas de bétail, donc « rien » que de l’argent à la fin de chaque mois.

Les temps ont bien changé… La plupart des exploitations agricoles sont endettées souvent au-delà de leurs biens propres. La terre n’a pas tant de valeur qu’on ne l’affirme. Un hectare en Ardenne ne suffirait pas à payer dix fusils d’assaut de la FN Herstal ; 100 hectares du Bon Pays financeraient à peine l’achat d’une bouche à feu Caesar.

« Rien n’a de sens, et rien ne va. Tout est chaos, à côté ; tous nos idéaux, des mots abîmés… » (Mylène Farmer : Désenchantée). Faites vos jeux, rien ne va plus à la roulette russe 2022…

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