Accueil Voix de la terre

La renarde aux yeux clairs

Cette fois, ça y est, notre dernière poule a disparu sans laisser de trace. Évanouie comme un pur esprit. Partie au paradis des volatiles à la suite de ses deux sœurs, l’une après l’autre en moins d’une quinzaine ! La renarde de notre hangar serait-elle coupable ? Vais-je me risquer à les remplacer ? J’ai téléphoné à un négociant en volailles, et celui-ci m’a demandé tout de suite si je disposais d’un document de la Commune, lequel stipulerait que je ne suis pas interdit de détention d’un animal domestique. J’ai cru qu’il blaguait, mais lui ne riait pas du tout, en fait, et s’étranglait même d’agacement, en me racontant combien il était ennuyé par cette nouvelle obligation du Code Wallon du Bien-Être Animal.

Temps de lecture : 5 min

Après ce coup de fil un rien surréaliste, je suis sorti faire le tour des prairies comme chaque soir, et j’ai aperçu « ma » renarde, assise tranquillement à m’observer sur le chemin d’accès à l’étable, ses trois jeunes occupés à piller consciencieusement un groseillier à cassis. La coquine se marrait à pleines dents, ses mystérieux yeux clairs accrochés aux miens sans complexe. Sommes-nous si drôles, nous autres humains ? Elle rôde autour de la ferme depuis plusieurs années. Notre chien avait failli l’attraper quand elle était toute jeune, mais massif et poussif, le vieux berger allemand n’avait pu la suivre quand elle s’était glissée entre deux gros ballots de foin. Elle a dû se dire que ce terrier improvisé lui convenait parfaitement, car elle en a fait un de ses refuges, et revient y mettre bas régulièrement. Depuis lors, au petit matin ou tard le soir, je la surprends quelquefois à rêvasser à côté de son hangar, ses yeux luisants rivés sur moi comme si elle voulait me raconter sa vie…

Je doute qu’elle soit coupable du rapt des poules, car nous avons fait un deal au début de notre « relation », elle et moi : je la tolère si elle ne me tue pas mes chats, – les renards adorent les gros chatons bien dodus –, et si elle ne vient pas se servir au poulailler. Je soupçonnerais plutôt son copain, un grand escogriffe de renard, toujours en quête de nourriture… et de femelles. Ce sont des animaux fort discrets, et très utiles pour manger les campagnols et autres « rates » qui pulluleraient en leur absence. Tout un écosystème animal vit autour de nos fermes : rongeurs, oiseaux, belettes, fouines, renards, chauves-souris, écureuils, ratons laveurs, etc. Pas encore de loup, fort heureusement !

Pour tous ces animaux sauvages, nous n’avons pas de permis, c’est sûr ! Ils se sont imposés à nous. Par contre, depuis le premier juillet, quand un quidam veut acquérir un animal domestique, il doit présenter au marchand un formulaire qui stipule qu’il ne souffre pas d’une interdiction de détention. C’est assez drôle ! Ce document est disponible à l’administration communale, où il sera dûment complété et estampillé par un fonctionnaire qui aura vérifié votre innocence sur le Fichier Central Délinquance Environnementale, en vertu de l’article D 144 du Livre 1er du Code de l’Environnement et dans l’article 46 du Code Wallon du Bien-Être Animal. De son côté, le vendeur doit exiger ce papier et tenir un registre spécifique de ses acheteurs. Le formulaire est valable un mois.

La renarde aux yeux bleus m’a joué un tour pas sympa, d’avoir peut-être attrapé mes poules pour nourrir ses petits… Trois poules à 10 €/pièce, ce n’est pas la ruine, mais il faudra auparavant me rendre à la Commune aux heures d’ouverture pour obtenir mon sésame. Vais-je m’y plier ? De toute façon, personne ne viendra jamais vérifier si je suis en ordre, si mes poules courent un grave danger d’être logées à côté d’une renardière. Les gendarmes et inspecteurs ont d’autres chats « à fouetter », pardon, à contrôler. De toute façon, renseignement pris auprès de notre échevin local du Bien-Être Animal, aucun citoyen de notre entité ne souffre d’interdiction de détention. Sommes-nous si braves, dans nos campagnes, avec nos chiens, chats, chevaux, poneys, moutons, vaches, cochons, couvées ? Il faut croire que oui ! Alors, pourquoi est-il devenu obligatoire de fournir semblable attestation, d’embêter les acheteurs, les vendeurs et les administrations communales ?

« Un message ne vous plaît pas ? Tuez le messager ! » dit-on chez Poutine en Russie. Faut-il ici charger d’opprobre le messager, en l’occurrence la messagère Céline Tellier, Ministre Wallonne de l’Environnement, du Bien-Être Animal et de bien d’autres choses ? Faut-il tuer ma renarde aux yeux clairs, suspectée d’avoir mangé mes poules ! Elles ont toutes deux voulu bien faire, j’en suis sûr, pour défendre et nourrir leurs protégés. L’une veille sur ses mignons renardeaux, tandis que notre ministre veut protéger tous ces animaux innocents maltraités, martyrisés, abandonnés au bord des routes, oubliés dans leur cage ou leur aquarium. Mais l’enfer est hélas pavé de bonnes intentions, de formulaires à remplir où le diable se cache dans les détails. Aujourd’hui, sont exigées des attestations pour poulettes et poulets, lapins et hamsters, minous et toutous, canaris et poissons rouges. Et demain ? Une autorisation supplémentaire pour nos vaches et nos moutons, nos cochons et nos chevaux ? Un permis de détention pour son époux, son épouse, son compagnon, sa compagne ? Tant qu’à faire…

Ce soir, mes réflexions ont ennuyé la renarde. Elle ouvre en grand ses redoutables mâchoires pour bailler et darde sur moi le regard appuyé de ses yeux bleus ensorcelants, l’air de me dire : « Qu’est-ce que tu peux raconter parfois comme bêtises ! »

A lire aussi en Voix de la terre

Merci les jeunes!

Voix de la terre Durant ce mois de février, votre détermination et votre enthousiasme ont secoué et réveillé les instances politiques locales et européennes.
Voir plus d'articles