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Et si l’on remplaçait le plastique par le mycélium?

Collaborer avec un être vivant, le mycélium, sur lequel on compte pour augmenter la symbiose entre les villes et la nature, tel est le cœur de la mission de PermaFungi, la coopérative sociale d’économie circulaire pionnière dans le domaine des myco-matériaux. Une démarche gagnante qui s’inscrit parfaitement dans la philosophie sous-tendue par le Pacte Vert européen.

Temps de lecture : 6 min

PermaFungi n’ambitionne rien moins que de devenir le leader dans la production de myco-matériaux en Europe et le premier au monde à le faire de manière totalement circulaire selon un protocole qui minimise les énergies fossiles.

Mais jetons un bref coup d’œil dans le rétroviseur, quand, en 2013, les fondateurs de la coopérative ont l’idée de produire de l’alimentation en milieu urbain sur base de déchets.

Le marc de café ne sert pas seulement à lire l’avenir

« Il faut savoir qu’il y a environ 15.000 tonnes de marc de café qui sont jetées à Bruxelles tandis que 99 % des champignons consommés dans la capitale sont produits en dehors, principalement aux Pays-Bas et en Pologne.

Pour Julien Jacquet, co-fondateur de la coopérative, « produire,  consommer et jeter n’a plus de sens en 2022».
Pour Julien Jacquet, co-fondateur de la coopérative, « produire, consommer et jeter n’a plus de sens en 2022». - M-F V.

Or, c’est un produit dont la qualité principale doit être la fraîcheur, et que l’on peut produire chez nous », indique julien Jacquet, co-fondateur de PermaFungi, qui s’exprimait lors de la présentation de la nouvelle stratégie de la coopérative en présence de la secrétaire d’État bruxelloise chargée de la Transition économique Barbara Trachte et de Benjamin Cadranel, l’administrateur délégué de citydev.brussels, l’organisme en charge du déploiement de projets immobiliers et de l’expansion économique de la région bruxelloise.

En 2013, récolter du marc de café sans autorisation était illégal tout comme produire des champignons ailleurs que sur du crottin de cheval, de la paille ou de la sciure. Faire pousser des champignons sur du marc de café paraissait donc à la base une idée « saugrenue ».

Actuellement, des dizaines de sacs remplis de marc de café sont suspendus par des crochets dans les caves de Tour & Taxis. Sur ces sacs poussent des pleurotes, alimentées par de l’eau de pluie. PermaFungi, produit désormais chaque mois une tonne de champignons et dix tonnes d’engrais naturel, tout en recyclant cinq tonnes de marc de café par mois.

Pour ce faire, les fondateurs ont rapidement noué des partenariats avec les entreprises Exki, la Fabbrica et tous les enseignes du Pain Quotidien, qui cèdent le marc de café de la veille aux livreurs à vélo de la coopérative. Aujourd’hui, ce sont ces partenaires passent chez PermaFungi en rentrant de leurs tournées de livraison.

Transformation du « champost »

Forte de cette dynamique, la coopérative souhaite, en 2019, se projeter vers l’avant et encore innover pour faire grandir son impact social et environnemental positif. Elle se lance dans la culture de chicons, la recherche de nouveaux sites de production pour dupliquer son modèle dans d’autres villes, et démarre ses premiers travaux sur les myco-matériaux.

Elle ajoute alors une nouvelle boucle circulaire à son projet en transformant le « champost » (résidu de la culture de champignons) en un matériau durable et biodégradable obtenu à partir de déchets organiques transformés par l’action naturelle du mycélium.

Elle crée ainsi un cycle vertueux : la production à grande échelle d’un myco-matériau naturel, innovant et circulaire capable de remplacer le plastique dans les secteurs de l’emballage et de l’isolation.

« Produire, consommer et jeter n’a plus de sens en 2022 »

Pour PermaFungi, les méthodes de production « linéaires » des industries qui consistent à fabriquer, consommer et jeter « non plus de sens dans l’UE ». Cela signifie l’émergence de nouveaux besoins sur le marché.

Ce nouvel élan touchera la rénovation énergétique de plus de 35 millions de bâtiments d’ici la fin de cette décennie.

Dans cette optique, l’accent sera davantage mis sur les travaux d’isolation et ce, dans le but d’augmenter le PEB de l’ensemble des biens privés d’ici 2030 et publics d’ici 2027 mais aussi, de tendre vers l’objectif de neutralité carbone prévu pour 2050.

Une orientation qui ne pourra « décemment » plus dépendre du plastique et de son utilisation effrénée. D’après les chiffres transmis par l’OCDE, de 234 millions de tonnes en 2000, la production de plastiques est passée à 460 millions en 2019. Dans le même temps, celle de déchets, de 156 millions de tonnes il y a vingt-deux ans, s’est établie à 353 millions en 2020.

L’économie circulaire plutôt que le linéaire

À l’opposé de la logique linéaire, la production circulaire permet à la matière de circuler à l’infini (on parle aussi d’économie régénérative) sans produire de déchet puisque, au contraire, le produit transformé comporte une utilité supérieure (économie de la fonctionnalité).

Grâce au mycélium, les déchets organiques deviennent un matériau renouvelable qui remplace le plastique et d’autres produits polluants.

Une fois livré à la coopérative, le marc de café est mélangé à de la paille et intégré dans une mélangeuse avec du mycélium. Le résultat est ensuite disposé dans les moules réutilisables thermoformés dans lesquels le mycélium va incuber et grandir durant 15 jours avant de sécher et d’être traité et, éventuellement, personnalisé au laser par la suite.
Une fois livré à la coopérative, le marc de café est mélangé à de la paille et intégré dans une mélangeuse avec du mycélium. Le résultat est ensuite disposé dans les moules réutilisables thermoformés dans lesquels le mycélium va incuber et grandir durant 15 jours avant de sécher et d’être traité et, éventuellement, personnalisé au laser par la suite. - PermaFungi.

« Au lieu de fabriquer via les énergies fossiles, nous produisons via la chimie douce » précise M. Jacquet, lequel vante les propriétés acoustiques et isolantes des myco-matériaux, « bien supérieures à celles des produits en polystyrène et autres mousses synthétiques ».

« Le myco-matériau, cet être vivant, a par ailleurs l’avantage de grandir entre 400 et 1.000 fois plus vite que le bois et se distingue par sa grande résistance » enchaîne le co-fondateur de PermaFungi qui a d’ailleurs déjà réalisé des casques de vélo avec cette matière.

Seul point d’amélioration, reconnaissent aisément les concepteurs, sa résistance à l’humidité, qui n’est évidemment pas le point fort des champignons.

« Commercialement, on sent que ça bouge »

Si PermaFungi peut se targuer d’être dans le trio de tête des leaders européens, elle n’est pas la seule entreprise au monde à tenter le pari du myco-matériau.

Aux États-Unis, Ecovative Design et MycoWorks le cousent comme cuir vegan dans des chaussures, vestes ou sacs. En Angleterre, chez The Magical Mushroom Company, et aux Pays-Bas, chez Mycelium Material Europe, on en fait des emballages et des objets de design intérieur. En Italie, Mogu produit pour sa part des panneaux acoustiques design.

D’ici fin 2025, l’objectif de PermaFungi ne sera rien moins que de produire par mois 12 tonnes de myco-matériaux en recyclant 15 tonnes de déchets.

« Lumifungi » et isolation du Cityfab 3 à Bruxelles

La coopérative bruxelloise s’est déjà lancée dans la fabrication de lampes, dans le cadre de son projet « LumiFungi ». Plus de 400 d’entre elles ont été vendues depuis 2016, dont 26 éclairent le restaurant gastronomique bruxellois « Entropy ».

La coopérative s’est lancée dans la fabrication de lampes, dans le cadre de son projet  « LumiFungi ». Plus de 400 d’entre elles ont été vendues depuis 2016, dont 26 éclairent le restaurant gastronomique bruxellois « Entropy » à la place Saint-Géry.
La coopérative s’est lancée dans la fabrication de lampes, dans le cadre de son projet « LumiFungi ». Plus de 400 d’entre elles ont été vendues depuis 2016, dont 26 éclairent le restaurant gastronomique bruxellois « Entropy » à la place Saint-Géry. - PermaFungi.

Après une phase de recherches, développement et prototypage, la production s’est récemment accélérée avec une première commande importante pour citydev.brussels avec l’isolation du Cityfab 3 à Anderlecht, un atelier de fabrication numérique où les machines sont particulièrement bruyantes.

Un premier mur couvert de myco-matériaux a été officiellement présenté le 7 juin dernier. Au total, ce seront quelque 200 m² qui seront isolés une fois le chantier achevé.

« Ce sera le plus grand mur en myco-matériaux en Belgique et, je pense, en Europe » s’est félicité à cette occasion M. Jacquet.

PermaFungi appuie sur le champignon

PermaFungi tend à combiner social, environnemental et économique et croit à la gestion participative pour intégrer cet aspect multidimensionnel avec l’objectif de transformer la ville en écosystème fonctionnant de façon saine et durable.

La coopérative bruxelloise caresse l’idée d’épargner 1.225 tonnes de CO2 entre 2023 et 2028, soit 10,2 millions de kilomètres parcourus en voiture.

«  Notre impact social consiste à créer des emplois valorisants et durables pour des personnes aux profils multiples : les uns placent des panneaux, les autres font grandir le mycélium, d’autres encore développent les relations avec les clients » déroule Julien Jacquet.

Dès ce second semestre 2022, PermaFungi va lancer une levée de la levée de fonds, intensifier le recrutement en visant 23 nouveaux collaborateurs entre 2023 et 2027, améliorer les protocoles pour préparer un changement d’échelle.

Marie-France Vienne

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