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Conseil des ministres européens de l’Agriculture : pesticides, la fronde des États membres

Réunis pour la première fois sous présidence tchèque le 18 juillet dernier, les ministres européens de l’Agriculture ont eu deux dossiers particulièrement copieux au menu de leur rencontre bruxelloise. Celui de la PAC, bien sûr, mais surtout la proposition de révision de la directive européenne sur l’utilisation durable des pesticides présentée par la commission.

Temps de lecture : 7 min

«  Avec les plans stratégiques nationaux, nous vivons un moment historique pour la PAC car ils vont donner le ton de la politique agricole dans les États membres pour les cinq prochaines années » s’est réjoui le commissaire Wojciechowski à l’issue de la réunion avant d’annoncer que ceux du Portugal, de la Pologne, de l’Espagne, du Danemark et de la France sont désormais entrés dans leur phase finale de validation.

Ce qui va permettre à la commission de lancer la procédure d’approbation qui prendra environ six semaines pour une approbation officielle début septembre.

Plusieurs plans stratégiques nationaux en voie de validation

« La commission ne demandera rien de plus à ces États membres qui peuvent donc d’ores et déjà commencer à finaliser leur législation nationale et à informer leurs agriculteurs » a assuré le commissaire Wojciechowski à l’issue de la réunion.

Dix autres plans stratégiques devraient rapidement suivre même si des négociations sont encore en cours pour les derniers, notamment en ce qui concerne les obligations de rotation des cultures (essentielle pour assurer la santé des sols, réduire la vulnérabilité des cultures et diminuer les besoins en intrants chimiques) « pour lesquelles il faut donner une assurance aux agriculteurs quant à la transparence des règles et au temps nécessaire au niveau de la planification pour la prochaine campagne » a pour sa part indiqué Zdenek Nekula, le ministre tchèque de l’Agriculture, qui étrennait, pour l’occasion, son costume de président du conseil agricole.

Le calendrier exact d’adoption dépendra, in fine, de la qualité et de la rapidité des réactions.

« Plus vite l’État membre présentera une position satisfaisante, plus rapide sera l’approbation ». À ce stade, « nous sommes convaincus de pouvoir adopter tous les plans stratégiques cette année », assure Janusz Wojciechowski.

« Il faut maintenir un marché intérieur qui fonctionne »

L’on sentait poindre une inquiétude mêlée d’un soupçon de fatalisme dans les paroles et la voix de M. Nekula en évoquant le sort des agriculteurs européen « confrontés à la hausse des prix de l’énergie, des intrants, du transport ». Mais pas que.

« Nous devons faire face à la sécheresse et, pour certains États membres, à de violents incendies sur leur territoire » a-t-il poursuivi lors du point presse qui a ponctué la (longue) journée, ajoutant que « dans ce contexte, il nous faut maintenir un marché intérieur qui fonctionne ».

Plus vite l’État membre présentera une position satisfaisante, plus rapide sera l’approbation  et à ce stade, « nous sommes convaincus de pouvoir adopter tous les plans stratégiques  cette année », assure Janusz Wojciechowski.
Plus vite l’État membre présentera une position satisfaisante, plus rapide sera l’approbation et à ce stade, « nous sommes convaincus de pouvoir adopter tous les plans stratégiques cette année », assure Janusz Wojciechowski. - European Union

« Malgré la situation dramatique, 2,5 millions de céréales (maïs, oléaginaux et sous-produits, le blé reste encore très limité, représentant environ 140.000 tonnes) ont pu être exportées en provenance d’Ukraine » a indiqué M. Wojciechowski qui souhaite un renforcement des corridors de solidarité qui resteront importants, « non seulement pour le transport des tonnes restantes de céréales ukrainiennes, mais aussi, plus généralement, pour l’établissement de nouvelles routes logistiques entre l’UE et l’Ukraine, à l’appui de notre connectivité et de nos échanges bilatéraux ».

Canicule, sécheresse, la production céréalière trinque

Plusieurs États membres, parmi lesquels notre pays, ont appelé à la mise en place de mesures urgentes pour une gestion optimale de l’eau au niveau du stockage et de l’irrigation.

Un État membre a notamment sollicité des fonds dans le cadre d’un plan d’urgence, similaire au plan REPowerEU mis en place pour répondre aux perturbations du marché mondial de l’énergie liées à la guerre en Ukraine.

Les épisodes de sécheresse extrême ont poussé la commission à revoir à la baisse les estimations de la production céréalière de cet été. « Les dernières prévisions de production de céréales pour la campagne de commercialisation 2022/2023 s’établissent à 286,4 millions de tonnes, soit environ 7 millions de tonnes de céréales de moins que la saison dernière, mais cela reste proche de la production moyenne des cinq dernières années », a souligné Janusz Wojciechowski.

Avant d’ajouter que « les prévisions pour le blé tendre s’établissent désormais à 125 millions de tonnes. Même si cette estimation est inférieure à celle prévue en juin, elle permettrait de répondre aux besoins intérieurs et d’exporter 38 millions de tonnes de blé sur les marchés mondiaux ».

Les plans stratégiques nationaux à la rescousse

Le commissaire à l’Agriculture a par ailleurs indiqué qu’« à long terme les plans stratégiques nationaux peuvent soutenir les agriculteurs par le biais d’outils de gestion des risques, d’interventions visant à augmenter la rétention d’eau dans le sol et d’investissements dans des actions préventives ».

Tout en soulignant qu’« il est important que des investissements tels que ceux dans l’irrigation assurent une protection appropriée des ressources naturelles, en l’occurrence l’eau ».

Concernant les mesures à court terme, le commissaire a assuré que « la PAC offre une série d’outils que les États membres peuvent décider d’utiliser, notamment des mesures dans le cadre des programmes de développement rural, le versement d’avances plus élevées aux bénéficiaires et une application plus souple des dispositions relatives aux cas de force majeure.

Les aides d’État peuvent également être envisagées ».

Pesticides : la proposition de la commission fait l’unanimité contre elle

Si la réduction de 50 % des produits phytosanitaires à l’horizon à 2030 doit se mettre en place pour répondre aux objectifs fixés dans le cadre de la stratégie « De la fourche à la fourchette », il apparaît clairement que cette dimension nécessitera de nombreux débats pour « paramétrer le système de manière équitable et réaliste » a suggéré M. Nekula.

Et c’est un euphémisme… La très grande majorité des ministres ont vivement critiqué la proposition de la commission sur l’utilisation durable des pesticides présentée en juin dernier.

Outre une limitation, le règlement propose également l’interdiction de l’usage des pesticides dans les zones sensibles, notamment Natura 2000.

Une mesure qui a fait l’objet de nombreuses inquiétudes. L’Espagne a mentionné le « risque que ces zones deviennent des réservoirs de nuisibles importants ». Et même le ministre allemand Cem Ozdemir, pourtant écologiste et le seul à défendre la proposition de la commission, a appelé à la prudence sur ce point.

« Nous allons dans le sens de la durabilité et de la protection de l’environnement, ce sont des orientations fermes et irrévocables » a tenu à rappeler le commissaire à l’Agriculture.

Pluie de critiques, manque de solutions à l’horizon

Cela n’empêche pas les Etats membres de regretter amèrement l’absence de solutions alternatives proposées, le manque de prise en compte des spécificités nationales, l’absence d’étude d’impact socio-économique ou encore l’augmentation de la charge administrative.

La Pologne a dénoncé les objectifs de réduction drastique d’utilisation des pesticides proposés sans que les données scientifiques et les études d’impact, notamment sur la sécurité alimentaire, ne soient fournies.

Les efforts demandés risquent de mettre à mal la sécurité alimentaire et la compétitivité du secteur agricole et, par conséquent, d’augmenter la dépendance de l’UE à l’égard des importations de certains produits agricoles.

La France et l’Espagne ont, elles, une nouvelle fois plaidé pour la mise en place de mesures miroirs sur les produits importés. Enfin, plusieurs États membres, dont la Belgique, regrettent le manque de moyens mis à leur disposition pour atteindre les objectifs proposés, que ce soit en termes financier (dans le cadre de la PAC et au-delà) et technique.

Et c’est là que l’on en revient aux nouvelles techniques génomiques de sélection (NBT) dont plusieurs pays réclament la rapide autorisation.

Un débat au long cours

Les discussions sont, de toute façon, parties pour durer.

« C’est pour nous un sujet prioritaire. Mais nous n’en sommes qu’au tout au début des négociations », admet le ministre tchèque Zdenek Nekula sans se risquer à préciser à ce stade s’il compte (ou non) finaliser une position commune des États membres sur ce dossier avant la fin de l’année.

« Nous essaierons, au moins, d’avancer sur les points les plus sensibles », précise-t-il, citant la nécessité d’une réduction graduelle, la disponibilité d’alternatives sur le marché ou encore la prise en compte des conditions climatiques et géographiques de chacun.

Il faut par ailleurs savoir que l’Exécutif prépare un règlement d’exécution pour harmoniser les exigences en matière d’étiquetage des pesticides et améliorer la communication des risques aux utilisateurs finaux.

Cette initiative est programmée pour le quatrième trimestre 2023 et « garantira la mise en œuvre de précautions de sécurité ainsi que de mesures de prévention et d’atténuation des risques pour protéger la santé humaine, la santé animale et l’environnement ».

Marie-France Vienne

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