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Le secteur agricole à l’heure de la rentrée

Juin, juillet, août, des mois qui auront été particulièrement éprouvants pour les agriculteurs européens. En vrac, le secteur agricole a dû encaisser les températures caniculaires qui ont lourdement affecté les rendements, faire face aux conséquences délétères du conflit russo-ukrainien et subir la pression des distributeurs pour contenir l’inflation au niveau de la chaîne agroalimentaire.

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Christiane Lambert s’était à ce propos déjà signalée outre-Quiévrain en dénonçant la triche de certaines enseignes de la grande distribution pour faire de l’optimisation financière.

Une avalanche d’événements climatiques contraires

Bref, on peut dire que cette année 2022 constitue une véritable « annus horribilis » pour l’agriculture du Vieux-Continent et ses acteurs. C’est en tout cas le sentiment de la présidente du Copa, le premier syndicat agricole européen, qui a fait sa rentrée le 13 septembre dernier, sous le signe de l’offensive.

« L’activité agricole est davantage liée au climat qu’aux dates administratives » insiste Christiane Lambert.
« L’activité agricole est davantage liée au climat qu’aux dates administratives » insiste Christiane Lambert.

Tant Christiane Lambert que le président de la Cogeca, l’Espagnol Ramon Armengol, ont souligné l’importance de protéger la capacité productive de l’agriculture européenne pour assurer la sécurité alimentaire. Pour répondre à cet enjeu crucial, la première étape est de mettre en place une stratégie politique qui viserait à traiter sérieusement le problème lié à la contraction des marges, au manque de flux des trésoreries, qui entraîne une augmentation des taux d’intérêt des contrats d’assurance, menaçant, in fine, la viabilité des exploitations familiales.

Chute des rendements, hausse du prix des intrants

« Jamais l’agriculture n’a été aussi concernée par une telle avalanche d’événements climatiques : un hiver très sec, un printemps très chaud, un été caniculaire entrecoupé de tornades, de pluies voire d’épisodes de grêle » si bien que « 47 % du territoire de l’UE ont été affectés par la sécheresse » a posé la patronne de la Fnsea et du Copa.

À l’exception des oléagineux et protéagineux, l’ensemble des récoltes a connu une baisse de volume de 6,8 %. Avec une chute de 20 %, par rapport à l’année dernière, c’est le maïs grains qui a été le plus lourdement touché, ce qui n’est pas sans conséquence pour l’élevage.

La production de blé dur est quant à elle en diminution de 7,4 %, celle le blé de 2,5 %. Globalement, la campagne de 2022 est en deçà des moyennes de productions des cinq dernières années.

« Grâce à la réactivité des agriculteurs, il y a eu une augmentation des surfaces ensemencées en tournesol » a précisé la dirigeante française qui a pointé la volatilité des prix liée à l’actualité internationale, mais aussi la parité entre l’Euro et le Dollar et l’augmentation du coût des principaux intrants (gaz, engrais, électricité où le MWh est passé de 85€ à 1.200€ dans certains pays, alimentation animale).

« Quand les agriculteurs utilisent de l’eau, ce n’est pas de l’accaparement »

Pour faire face à la sécheresse, certains agriculteurs européens ont été amenés à modifier leurs pratiques en adaptant les assolements, en choisissant des variétés moins affectées par le manque d’eau. Après avoir puisé dans leurs stocks pour l’hiver, certains se sont retrouvés à court de nourriture pour les animaux, d’autres ont dû en vendre certains pour conserver assez de fourrages pour poursuivre leur activité.

La mobilisation de la ressource en eau, ingrédient principal pour produire l’alimentation, a été au cœur des réflexions dans de nombreux États membres, avec, pour corollaire, des recherches pour accompagner les itinéraires culturaux et mettre à disposition des agriculteurs des outils d’aide à la décision (sondes capacitives dans les sols, mesure de l’évapotranspiration afin de procéder à une irrigation de précision).

« Nous sommes déjà dans la sobriété » a insisté M. Lambert, ajoutant que « sur les dix dernières années, on a constaté une amélioration de 25 % à 30 % de l’efficience de l’eau ».

Certains gouvernements ont mis en place un système d’accompagnement au niveau de la trésorerie des agriculteurs ou encore créent des dispositifs de gestion des risques et d’assurances récoltes, « un élément indispensable pour apporter de la résilience aux exploitations agricoles ».

« L’activité agricole est davantage liée au climat qu’aux dates administratives »

Autre dossier phare de la rentrée, la nouvelle PAC et les plans stratégiques nationaux dont sept ont été approuvés par la commission.

Christiane Lambert en a profité pour jeter une pierre dans le jardin de l’Exécutif en précisant que « l’activité agricole est davantage liée au climat qu’aux dates administratives » ajoutant qu’il a fallu « beaucoup de pédagogie pour expliquer aux gouvernants que la sécheresse rendait plus complexe l’implantation d’un certain nombre de cultures ».

L’éclatement du conflit russo-ukrainien, faut-il encore le rappeler, a mis en lumière la difficulté d’accès à l’alimentation pour certains pays et poussé la commission à accepter des assouplissements et dérogations sur les BCAE 7 et 8 (rotation des cultures et l’utilisation des terres non productives) afin d’éviter des pénuries alimentaires. Des décisions qui ont été accueillies favorablement par les États membres.

Il est toutefois important, pour la dirigeante du Copa, que la commission mesure l’urgence de répondre sur l’ensemble des plans stratégiques nationaux « car c’est maintenant que les agriculteurs ont besoin de choisir leurs différents assolements, sachant que certains font désormais face à une difficulté d’accès aux semences et aux engrais ».

Les conflits et la multiplication des épisodes de sécheresse compliquent l’équilibre alimentaire, voire démocratique mondial, raison pour laquelle il est urgent de préserver le potentiel de production de l’Europe.

Pour M. Lambert, chaque décision nécessite par conséquent « une étude d’impact, une évaluation technique, sociale, économique, environnementale », ce qui n’a malheureusement pas été fait dans le cadre de la stratégie « De la fourche à la fourchette »

Directive IED, des règles « rigides et brutales, déconnectées de la réalité »

La dirigeante française est par ailleurs vent debout contre la proposition de révision de la directive IED relative aux émissions industrielles qui serait appliquée à toutes les exploitations bovines, porcines et avicoles comptant plus de 150 unités de gros bétail (UGB).

« Il s’agit finalement de diviser par 13 le nombre d’animaux qui étaient autrefois concernés, cela va assurément toucher beaucoup d’exploitations familiales de petite taille qui auront de grandes difficultés à s’adapter à ce système d’autorisation avec des valeurs limites d’émission pour le méthane et l’ammoniac. Ce qui entraînera automatiquement des coûts supplémentaires », s’est-elle inquiétée.

À cette fin, Christiane Lambert a appelé l’Exécutif européen à faire preuve de davantage d’écoute et à avoir une approche plus pragmatique et réaliste afin que les agriculteurs puissent suivre ces évolutions . Avant de souligner l’importance de mener une étude d’impact pour avoir une évaluation précise de la situation avant de déterminer des règles « rigides et brutales, déconnectées de la réalité ».

Directive SUD, « pas d’interdiction sans solution »

L’inquiétude était également de mise concernant le projet de règlement sur l’utilisation durable des pesticides (Directive SUD, Sustainable Use of Pesticide Directive) que la commission est en train de finaliser.

Si aucun État membre ne conteste la nécessité d’améliorer les pratiques et d’avoir un usage raisonné des produits phytosanitaires, tous redoutent une forte réduction de la production « qui serait contraire aux objectifs et obligations du moment appelant à produire en qualité et en quantité des produits fiables ».

La dirigeante syndicale a appelé l’Exécutif à présenter au plus vite une étude d’impact afin que les décisions prises, telles que l’interdiction de l’usage des pesticides dans les zones sensibles, soient édictées « à partir de données scientifiques ». Avant d’ajouter que « la baisse de 50 % de l’utilisation des produits phytosanitaires au niveau de l’UE d’ici 2030 n’est qu’un chiffre politique et rien de plus ».

« L’agriculture n’a jamais à ce point été au centre des enjeux alimentaires et énergétiques »

Les énergies renouvelables ont également été au menu du discours de rentrée de M. Lambert qui a regretté le manque de pragmatisme de la commission et de certains eurodéputés qui réclament la suspension temporaire de la production de biocarburant.

Pour ne rien arranger, une coalition d’ONG a manifesté le 6 septembre dernier devant le parlement européen pour demander aux législateurs de choisir la nourriture plutôt que le carburant.

Alors que l’objectif premier consiste à se passer des énergies fossiles, annoncer une réduction du recours aux biocarburants « n’est pas du tout adapté » a cinglé la patronne du Copa, ajoutant que la production de biocarburant à base d’huiles végétales ou de céréales qui ne représente que 3 % du total des terres cultivées dans l’UE « n’est en aucune façon une menace pour la sécurité alimentaire mondiale ».

« Je suis moi-même utilisatrice de tourteau de colza auquel les agriculteurs européens ont d’ailleurs recours de plus en plus souvent comme alternative au tourteau de soja dont on sait qu’il est issu pour sa part de la déforestation et qu’il a un moins bon bilan carbone ».

« La Russie a non seulement engagé une guerre avec l’arme alimentaire mais aussi énergétique » a insisté Christiane Lambert qui souhaite travailler dans la direction du maintien des biocarburants « pour ne pas mettre à mal des filières qui ont déjà été engagées ».

Pour rappel, la commission parlementaire de l’Énergie a adopté en juillet dernier un projet de position dans laquelle est maintenu le plafond de 7 % imposé aux biocarburants issus de cultures alimentaires.

Les producteurs de bioéthanol sont déjà sortis du bois

Les producteurs européens de bioéthanol, réunis au sein d’ePure, ont d’ailleurs quant à eux répondu à cette polémique, précisant qu’ils participent déjà largement à la sécurité alimentaire puisque les bioraffineries de l’UE ont produit plus d’aliments pour animaux (4,48 millions de tonnes de coproduits) que de carburant (4,40 millions de tonnes d’éthanol) en 2021.

Et de détailler que la production d’éthanol des membres d’ePURE nécessitera moins de 1,8 million d’hectares de terres arables européennes, soit seulement 1,7 % des terres arables totales de l’UE et du Royaume-Uni, ce qui est plus de trois fois inférieur à la superficie actuelle des terres en jachère et en friche dans l’UE ».

Nécessaire promotion de la viande au niveau communautaire

La dirigeante du Copa a évoqué l’épineuse question du Nutri-Score et salué ses collègues transalpins qui ont réussi à le faire interdire à trois entreprises étrangères sur un certain nombre de produits.

Le distributeur Carrefour ne pourra par exemple plus apposer le logo d’affichage nutritionnel sur les produits distribués sur le marché italien, en particulier sur les produits sous signe de qualité (AOP, IGP, STG) et, plus largement, les produits de la gastronomie traditionnelle italienne (charcuterie, fromages, huile d’olive).

Le bras de fer se poursuit entre les pro et les anti Nutri-Score alors que l’UE doit statuer, fin de cette année, sur un système d’affichage nutritionnel simplifié, harmonisé et obligatoire dans toute l’Europe.

Enfin, elle s’est exprimée sur la politique communautaire de promotion de la viande et de vin qu’elle juge nécessaire « parce que ce sont des produits qui font partie de notre alimentation et de notre culture ». Et de rappeler à juste titre que les producteurs ont besoin de visibilité pour poursuivre leurs activités.

Marie-France Vienne

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