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Opinion : stop à une agriculture à deux vitesses !

Impossible de prévoir à quel prix un agriculteur va vendre ses marchandises. Ces prix fluctuent constamment. Les coûts de production, intrants pour les cultures, alimentation pour le bétail, machines agricoles, prix de l’énergie…augmentent sans cesse.

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Jusqu’ici, deux issues sont utilisées par les agriculteurs pour compenser cet écart entre les recettes et les dépenses : produire plus et obtenir des subventions capables de combler le trou.

Produire plus, mais comment écouler la marchandise ? Qui va acheter ? Obtenir des subventions, oui mais, elles demandent un travail administratif de plus en plus complexe et, grosso modo, elles sont en diminution et constamment contestées par une partie des citoyens. Ces contestations sont relayées par plusieurs partis politiques dans la foulée des partis écologistes.

Une partie des agriculteurs et de jeunes non issus du monde agricole, encouragés par ces citoyens qui critiquent l’agriculture dite industrielle, développent des circuits – courts, souvent en bio.

L’image de cette agriculture locale saine pour la nature et les citoyens est relayée par la grande distribution pour son marketing, alors que ce sont notamment ces mêmes entreprises qui profitent de la volatilité des prix agricoles pour leur business.

Instabilité économique insupportable

Dans toutes les régions d’Europe occidentale on ne se bouscule pas au portillon pour oser rependre une ferme. Ceux qui restent sont des héros ou des personnes qui s’acharnent à maintenir le patrimoine que leurs ancêtres leur ont transmis.

L’agrandissement des fermes, l’évolution et l’innovation technologique ont permis de produire beaucoup plus avec moins de mal, physiquement, mais avec beaucoup moins d’emplois, et souvent 70 à 80 heures de travail par semaine. Quelles sont les perspectives de ce secteur dans ce contexte aussi instable et constamment critiqué ?

Qui est responsable ?

L’agriculture a une part de responsabilité dans les gaz à effet de serre. Pas les agriculteurs ! La consommation de produits alimentaires aussi. Pas les consommateurs ! Car l’une, l’agriculture, et l’autre, la consommation, sont déterminées par des groupes économiques internationaux qui n’ont que faire du développement harmonieux de nos territoires ruraux.

Actifs en amont et en aval des fermes, ils en tirent profit largement. Il faut que les agriculteurs s’extirpent de la guerre économique mondiale dans laquelle ils se sont laissés enfermés par ces grandes entreprises.

Réenclencher une vraie politique agricole utile à toute la société

Dans le cadre de la nouvelle PAC qui balise les aides publiques vers l’agriculture pour les années 2023 – 2027, les États membres ont des marges de manœuvre qu’ils peuvent activer. Une partie des subventions peut être mobilisée pour relocaliser la production/transformation/distribution de produits alimentaires de base.

Cela demande de bien cerner les besoins alimentaires de la population et les capacités du territoire à produire ces aliments à partir des ressources naturelles et humaines accessibles localement. À partir de ces données il est possible de planifier une réorganisation de chaque filière agricole, avec les producteurs/transformateurs et distributeurs.

Théorique à première vue, cette approche permettra de dégager des marchés, de se protéger de la guerre économique mondiale, de mieux visualiser, la répartition des bénéfices entre chaque acteur de chaque filière et surtout, de stabiliser les prix agricoles.

Stabiliser les prix agricoles, condition de base pour régénérer la biodiversité

Participer à ce vaste chantier de relocalisation des filières permettra aux agriculteurs d’obtenir des prix stables pour leurs productions. Ce qui change tout ! Car alors, et alors seulement, les nombreuses subventions prévues pour régénérer la biodiversité deviennent un plus.

Ces subventions ne seront plus activées pour compenser des pertes économiques mais bien pour faire des économies d’échelle en préservant les sols, capital de base de l’agriculture. Le développement de l’agroforesterie demande des investissements lourds au début, mais amène des revenus complémentaires non négligeables par la suite : alimentation pour le bétail en période de sécheresse, bois de chauffage, paillage.

Sans oublier les effets positifs de ces techniques, face aux sécheresses à répétition qui sont là chaque année depuis 2018. Dans ce cadre-là, en plus des subventions, les agriculteurs pourraient recevoir des aides sous forme de prêts de très longues durées, issus d’un vaste chantier d’adaptation de nos territoires aux effets du réchauffement climatique.

Ces sommes d’argent complémentaires aux subventions agricoles devront être mobilisées par les États pour faire front à ces effets dévastateurs, sans quoi les coûts de ces catastrophes naturelles seront encore plus élevés par la suite !

Stop à une agriculture à deux vitesses !

Chaque territoire de la planète doit pouvoir tracer un Plan de Souveraineté Alimentaire. C’est dans l’intérêt des populations qui y vivent. Savoir se nourrir sans dépendre des importations d’autres pays, dans le contexte de crise mondiale qui s’annonce, nous l’avons constaté avec la guerre en Ukraine, est une stratégie de défense civile essentielle pour chaque État.

De plus, la réduction des transports de tous ces aliments à l’échelle de la planète participera à la réduction des gaz à effet de serre. Le développement de pratiques agricoles de régénération de la biodiversité par l’agroforesterie enclenchera une vraie politique de lutte contre le réchauffement climatique avec les agriculteurs et les citoyens.

L’estime et la compréhension entre les uns et les autres sont des conditions sine qua non pour enclencher cette transformation de notre civilisation. La division entre une partie des agriculteurs, ceux qui restent totalement intégrés aux filières industrialisées et des citoyens, maintient ces agriculteurs dans un isolement social insupportable, d’autant que les porteurs de ces contestations aussi légitimes soient –elles ne proposent pas de pistes concrètes économiques pour sortir ces agriculteurs de l’impasse dans laquelle des grandes entreprises organisées à l’échelle mondiale les ont piégés.

Territoire capable d’être autonome sur le plan alimentaire

Les sécheresses, les canicules, les inondations et orages violents se répètent d’année en année et amplifient les prises conscience de l’urgence d’agir de plus de plus de citoyens . Ces phénomènes naturels perturbent le développement de toutes les régions de planète. L’interdépendance économique fragilise toutes les populations. Ce chemin vers une plus grande autonomie alimentaire sera un pas important pour enclencher la résilience de chaque territoire.

Cette autonomie ne veut pas dire un repli frileux sur son petit territoire, c’est au nom de cette recherche d’autonomie que des États pourront établir des contrats de commerce équitable - et non de libre échange - avec d’autres États pour échanger des produits alimentaires complémentaires qui ne peuvent être produits pour des raisons climatiques sur son territoire ou des équipements des services pour aider un autre État à atteindre cette autonomie alimentaire tout en adaptant son territoire aux effets du réchauffement climatique.

Cette autonomie alimentaire, couplée à des échanges équitables pour certains produits alimentaires de base, placera chaque pays devant l’incontournable objectif de réinsérer nos besoins alimentaires en tenant compte de ce que la nature peut produire chaque année. Cette année 2022 la Belgique a consommé toutes ses ressources naturelles renouvelables le 26 mars … ! Neuf mois en porte à faux avec nos réserves alimentaires ! Le but à atteindre est énorme ! Nous ne pourrons relever ce défi sans une profonde réorganisation de notre agriculture.

Effets positifs pour la qualité de vie des citoyens et des agriculteurs et pour l’Europe et ses valeurs démocratiques !

L’instabilité économique, pour de nombreux agriculteurs, pourra sinon être réduite, être, à terme, annulée. La Politique Agricole Commune censée être une politique de cohésion sociale retrouvera ses objectifs initiaux, avec l’énorme défi d’assurer l’alimentation de tous les habitants malgré les effets du réchauffement climatique. Sur le plan international, l’Europe enclenchera une politique d’indépendance alimentaire et de neutralité carbone avec le soutien des citoyens.

Ces dernières années, une grande partie de citoyens ne voyaient rien venir de concret de l’Europe pour améliorer leurs conditions de vie ! Cette action coordonnée à partir de l’agriculture réduira fortement ce rejet de l’Europe qu’expriment de nombreux citoyens par leur vote vers des partis politiques populistes, ce qui met en grand danger nos démocraties !

Les syndicats agricoles, les ONG, les fédérations de petites et moyennes entreprises, les forces politiques démocratiques peuvent fédérer leurs forces pour enclencher ce processus de démocratie économique compatible avec les défis : climatique, sociaux.

Thierry Laureys

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