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Deux chevaux utilitaires acteurs de résilience dans la Forêt de Saint-Michel-Freyr

Lorsqu’on ne s’y égare pas dans un silence insolent, on y entend le brâme du cerf ou le cri de la buse variable. Lorsque les yeux ne s’accrochent pas au ciel changeant, on y voit des massifs forestiers vallonnés où les bourgeons naissants meurent sous la dent des cervidés. Des lisières y serpentent le long d’étendues herbeuses ponctuées çà et là par des groupes de résineux. Sur ces tourbières du plateau de Mochamps dans la commune de Tenneville, Betsy et Foudre sont chargées de réhabiliter la callune.

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L aisser libre cours à la nature, rendre la nature à la nature en maîtrisant ses enjeux et ses acteurs ; c’était l’ambition d’Éric Domb, Fondateur de Païri Daiza, lorsqu’il proposa cette vision en 2016 à la Commune de Nassogne lorsque les droits de chasse des forêts communales étaient alors arrivés à échéance. La Fondation déposa sur la table un plan de gestion afin de convaincre l’ensemble du conseil communal mais les enjeux cynégétiques et sylvicoles conséquents eurent raison des ambitions de l’entrepreneur de Brugelette et de son trésorier.

Qu’à cela ne tienne, il n’en fallut pas davantage pour que le ministre de la Forêt de l’époque voie au travers de cette offre, une opportunité qu’il ne fallait pas laisser filer. Ainsi, en juin 2018, le département Nature et Forêt de la région wallonne et la Fondation Païri Daiza s’unirent pour assurer ensemble une gestion contemporaine de la Forêt domaniale de Saint-Michel-Freyr, au cœur de la Forêt de Saint Hubert. Ce projet prit le nom de « Nassonia ». Les enjeux y sont triples : concevoir une gestion forestière qui tient compte des défis climatiques, favoriser la biodiversité et renforcer les écosystèmes. Et il fallait y admettre une présence raisonnée du public. Une initiative bien ficelée avec de solides encrages pour reconsidérer la gestion raisonnée de cette forêt qui doit retrouver sa biodiversité et s’adapter aux changements climatiques en y intégrant les dimensions socio-économiques.

Le cahier des charges

C’est dans ce contexte qu’un cahier des charges a été établi en cet été caniculaire 2022. L’objectif étant de faucher à une hauteur de 20 cm et par l’énergie chevaline, deux zones (90 et 40 ares) de molinies afin d’y retrouver, à terme, la lande à callune originale. Les résidus de fauche doivent être andainés aux abords des zones de fauche ou dans les fossés traversant les zones.

La molinie est une graminée imposante qui peut atteindre plus d’un mètre de haut et qui forme des touradons, sorte de touffes en forme de gros hérisson à leur base. Cette herbacée envahissante prive la callune des rayons du soleil, défavorisant ainsi son développement et sa multiplication.

La callune est un sous-arbrisseau vivace qui peut atteindre 20 à 50 cm de hauteur. Elle fait partie de la même famille que les bruyères dont elle est très ressemblante. La plante a un intérêt écologique car elle constitue un habitat prioritaire à de nombreux insectes pollinisateurs. En période hivernale, la callune est une source alimentaire de choix pour les cervidés.

Laurent Namotte, un meneur expérimenté dans diverses prestations au cheval utilitaire.
Laurent Namotte, un meneur expérimenté dans diverses prestations au cheval utilitaire.

Un chantier exigeant pour un meneur expérimenté

Les défis du chantier sont multiples et de taille. Le sol des zones à faucher est très bosselé par les touradons, ces touffes cespiteuses de molinies qui secouent le meneur assis sur les machines tractées par les chevaux. Pour les chevaux, le pas y est rendu difficile et les paturons se tordent sans cesse. La hauteur de la molinie, de 60 à 80 cm, rend le sol quasiment invisible pour le meneur et le relief, parfois brusquement changeant, provoque des chocs sur le dos du meneur et les épaules des chevaux.

Laurent Namotte, prestataire de services en complémentaire, a qui le chantier a été octroyé, connaît bien ce genre de situation difficile. Habitué, entre autres, à limiter la fougère aigle dans les massifs forestiers de sa région (Bertrix) avec du matériel adapté (avant train et rouleau à fougère), Laurent à l’expérience du manque de visibilité par les envahissantes fougères qui atteignent souvent le dos des chevaux. « Ici à Mochamps, le petit diamètre des roues de la faucheuse ne permet pas d’enjamber les mottes compactes de molinie. La machine est secouée sans cesse et le dos en prend un coup » explique Laurent, qui ajoute : « Le travail avec l’andaineuse pourvue de grandes roues métalliques, est relativement plus confortable et plus rapide ».

.Andainage des résidus de coupe.
.Andainage des résidus de coupe.

Tout seul, on va plus vite, à deux on va plus loin

Après que Laurent ait rassemblé le matériel et fait les réglages, Betsy, la jument de trait Ardennaise, ouvre le chantier en donnant le mouvement au mécanisme faucheur. La faucheuse s’avère de bonne dimension ; 1,20 mètre de lame ; c’est bien suffisant car le matériel végétal, très vite, s’accumule dans les couteaux. Laurent doit s’obliger à s’arrêter régulièrement pour désengorger la machine. Courageuse sous le cordeau, Betsy répond présente et ne rechigne pas à l’effort. Le cheval doit assurer une allure soutenue sur un terrain bosselé et le meneur, secoué, redouble de vigilance pour préserver l’équipage. Laurent retient son souffle.

De la bétaillère, Foudre fait savoir son impatience en frappant des pieds sur le plancher. Le Cob normand ne tardera pas à relayer sa comparse. Une heure plus tard, le diligencier normand est attelé à la faucheuse et montre une égale efficacité au travail.

Laurent Namotte avait anticipé : l’échéance exigée du chantier et la canicule estivale l’avaient obligé à prévoir suffisamment de courtes journées devant lui. Pas question de faire travailler les chevaux en pleine chaleur et s’obliger à les alterner aux brancards. « Une des deux zones de fauche était plus facile à travailler car le sol y était plus abordable avec nettement moins de touradons » m’expliqua Laurent. L’endainage fut aussi relativement plus confortable et plus rapide. À ce sujet, Laurent précise : « La machine idéale aurait été celle équipée d’un siège à l’arrière du moulin, plutôt qu’à l’avant de façon à voir le travail réalisé ».

Philippe Moës, agent forestier responsable des lieux témoigne de sa satisfaction des travaux réalisés : « Les objectifs escomptés sont pleinement rencontrés : les chevaux ont préservé les sols et la biodiversité. La hauteur de coupe a été respectée, ce qui permettra à la callune de se développer. ». « Dans ces milieux sensibles en zone Natura 2000, nous considérons également une gestion durable, respectueuse des milieux avec une utilisation minimale d’énergie fossile. Le cheval y a pleinement sa place » ajoute-t-il.

Sur ce chantier non sans embûches, le meneur, expérimenté, a déjoué les tours et respecté scrupuleusement le cahier des charges. Le donneur d’ordre est satisfait du résultat obtenu et le Cheval Utilitaire a démontré ses plus-values en tant qu’acteur de préservation des milieux naturels.

Valère Marchand

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