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Note de conjoncture d’Agrifrance : le foncier rural, une valeur refuge pour les investisseurs

Agrifrance, le département spécialisé de BNP Paribas Wealth Management, a publié sa note de conjoncture sur l’investissement foncier rural en France, dans laquelle il dresse un état des lieux de ce marché, qui intéresse beaucoup les Belges, sur fond de reprise économique postpandémique et de tensions inflationnistes sur les places financières.

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Structure présente depuis plus de quarante ans sur le marché du foncier rural, Agrifrance offre à ses clients des conseils, des services et un accompagnement dans des transactions portant sur de prestigieux patrimoines ruraux en France : vignobles, forêts, terres agricoles, propriétés.

Demande soutenue au niveau des massifs forestiers

Le secteur du foncier rural a, lui aussi, été mis à l’épreuve du confinement. Il est devenu un enjeu crucial avec le conflit russo-ukrainien dans un cadre de « réarmement alimentaire » a indiqué, lors de sa présentation, Benoît Léchenault, directeur d’Agrifrance, qui se refuse à sombrer dans la sinistrose malgré la forte augmentation des matières premières agricoles.

En 2021, le marché du foncier rural français a progressé de 10 % à 20 % pour représenter quelque 10 milliards €.

Il faut savoir que la France compte 26 millions d’hectares de terres et de prairies naturelles, 16 millions d’hectares de forêts qui sont détenues à titre privé et quasiment un million d’hectares de vignobles sous appellation d’origine protégée.

Et ce marché intéresse les Belges car à 6.000€ l’hectare, la France est bien moins chère que la Belgique qui culmine à 38.500 l’hectare, derrière les Pays-Bas et ses 70.320€ l’hectare.

« Chaque année, 1 % à 2 % de ces surfaces changent de mains » indique M. Léchenault en précisant que « le marché des grands domaines est par essence très limité ».

Dans un contexte de flambée des prix des matières premières, de retour d’inflation, de déstabilisation des activités économiques, les marchés se tendent.

« Au niveau des massifs forestiers, on constate une offre limitée face à une demande très soutenue qui tire les prix vers le haut (2,3 % de hausse entre 2019 et 2020) ». Il faut dire que les perspectives de valorisation des crédits carbone renchérissent en outre l’appétit de certains investisseurs.

En 2020, les surfaces échangées sur le marché des forêts ont concerné 132.500 hectares pour 18.460 transactions et 1,7 milliard €.

Les céréales, un marché sous tension

La récolte mondiale de céréales en 2021, de l’ordre de 2,287 millions de tonnes, constitue la plus importante de l’histoire. Pourtant, les prix ont fortement augmenté et continué leur progression en 2022.

Même si les stocks disponibles doivent permettre de faire face à des aléas climatiques, on estime qu’environ 317 millions de tonnes se situeraient en Chine qui abrite 50 % des stocks mondiaux de céréales, toutes catégories confondues.

Très attentif à sa souveraineté alimentaire, le gouvernement chinois a massivement acheté des céréales, faisant ainsi chuter les stocks des pays exportateurs en 2021. Les prix se sont envolés, ce qui n’est pas sans conséquences pour les pays d’Afrique du Nord, traditionnellement importateurs.

Il en va de même pour le poste énergie (carburants, lubrifiants) et pour le prix des engrais azotés, élaborés pour 50 % à base de gaz russe. Quant au pétrole, le baril a dépassé les 100 dollars en février de cette année.

Le marché du blé est très révélateur, « il est synonyme de pain, de vie. Une pénurie peut dégénérer en émeute » resitue Benoît Léchenault en rappelant qu’en mai 2022, son prix a atteint des records à 406€ la tonne, soit plus de 49 % depuis le début du conflit russo-ukrainien. « De mémoire d’agriculteurs, personne n’a connu des hausses de prix de cette ampleur » a-t-il ponctué.

Dans le sillage du blé, les cours du maïs se sont envolés en 2021. À 231€ la tonne en décembre 2021, ils progressent de 19 % sur un an. Depuis le début du conflit en Ukraine, la tonne a encore gagné 56 % à 361€, chiffre au 1er mai 2022.

Marché du foncier agricole français

En 2021, le prix d’un hectare de foncier agricole libre de bail cotait en moyenne 8.120€ pour les terres céréalières et 5.540€ pour les prairies, nous apprend la note d’Agrifrance. Si, depuis dix ans, le prix a progressé de 4 % par an, il reste l’un des moins chers d’Europe.

Par rapport à 2020, le prix des terres n’augmente que de 0,1 %. Cette faible progression s’explique par la baisse des revenus des agriculteurs qui ont reculé de 2,6 % selon l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques). En revanche fin 2021 et début 2022, le marché du foncier agricole reprend des couleurs et les prairies connaissent elles aussi un phénomène de rattrapage avec une hausse de 8,6 %.

Globalement, les transactions restent limitées et concernent moins de 2 % des surfaces. Les prix pratiqués en grandes cultures sont supérieurs de 45 % à ceux en zones d’élevage. En haut de l’échelle, les meilleures zones céréalières s’échangent à des niveaux supérieurs à 20.000 € par hectare.

Les chiffres du rendement locatif brut loué

Dans sa note, Agrifrance cite la région Nord Pas-de-Calais, le Santerre, la Champagne Crayeuse ou le Saint Quentinois, ou certaines régions du Sud de la France, comme la Crau, ou la Vallée de la Durance. En bas de l’échelle, les régions les moins chères cotent aux alentours de 2.000€ par hectare. Comme par exemple, la Mayenne, ou une partie de la Côte-d’Or ou de la Nièvre, avec le Morvan.

Sur le marché du foncier agricole loué qui représente environ 75 % des surfaces, la décote d’une terre louée est de 25 % en moyenne, mais elle peut varier de 0 à 60 %. Pour un propriétaire bailleur, le foncier loué vaut en moyenne entre 4.010 et 6.530 € par hectare.

Pour la première année depuis 2007, ce foncier loué baisse de 2 % pour les terres céréalières et 1,5 % pour les prairies. Le rendement locatif brut du foncier agricole loué s’établit à 2,7 % par an. Ce qui, au regard d’autres classes d’actifs est plus qu’honorable souligne B. Léchenault en précisant qu’il s’agit d’un investissement « tranquille ».

Ce rendement brut moyen oscille entre 1,5 % et 5 % selon le niveau de prix du foncier et la nature des productions. Ce marché très professionnel reste directement influencé par le bénéfice dégagé, la qualité et la nature du sol, les améliorations apportées (irrigation, fumure, techniques culturales), la structure de l’exploitation (plan parcellaire, situation géographique) et les conditions climatiques.

Comme en Belgique, le difficile accès à la terre pour les jeunes

Comme en Belgique, l’accès au foncier reste compliqué pour les jeunes en France, « un agriculteur sur deux ayant plus de 50 ans, voire 60 ans » explique Benoît Léchenault qui « reproche un peu » à la profession agricole sa tendance se renfermer plutôt que d’ouvrir le marché et d’encourager des systèmes où l’on ferait porter le foncier par des investisseurs extérieurs pour installer les jeunes agriculteurs ou viticulteurs.

« Nous avons néanmoins des clients qui investissent dans du foncier agricole loué pour porter des projets incluant des jeunes agriculteurs et ça se passe admirablement bien : l’investisseur a son rendement et le jeune peut se consacrer exclusivement à son métier » se félicite le directeur d’Agrifrance.

Viticulture : un cocktail climatique défavorable

Plus faible récolte depuis… 1970, la production viticole de 2021 est estimée à quelque 36,1 millions d’hectolitres, ce qui représente une baisse de 23 % par rapport à l’année 2020 et de 15 % par rapport à la moyenne des cinq dernières années.

Une situation que l’on doit à « un cocktail climatique défavorable dans lequel on retrouve des épisodes de gel, de sécheresse, un été humide qui a conduit à une explosion des maladies » précise M. Léchenault ajoutant que « seules les Charentes et la Corse augmentent leur production, tandis que toutes les autres régions régressent ».

En Val de Loire par exemple, le gel printanier a touché tout le bassin et les grappes ont été impactées par la coulure et le millerandage. Des conditions défavorables qui ont entraîné une baisse de 41 % de la production. Avec une chute de 80 %, la production jurassienne s’est effondrée.

Quant à la Champagne, elle a enregistré, en raison d’une météo estivale humide, une chute de 25 % de sa production qui serait la plus basse depuis 40 ans, poussant les professionnels à devoir utiliser les réserves des années précédentes.

Les exportations de vins et spiritueux repartent à la hausse

Le déconfinement a marqué le retour des exportations vers les pays tiers, notamment les États-Unis, premier débouché des vins et spiritueux français, où elles ont augmenté de 34 % pour atteindre 4,7 milliards € en 2021. Le marché asiatique a également progressé de 57 %.

Le Royaume-Uni reste le premier importateur européen en valeur. Au sein de l’UE, l’Allemagne est le principal destinataire à l’export, elle est suivie par notre pays.

Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, selon les retours de terrain de M. Léchenault, « la récolte s’annonce excellente en 2022 »

Le champagne, maître-étalon du foncier viticole

Dans un contexte difficile en 2021, les valeurs du foncier viticole sont en léger repli (147.000€ par hectare) et le nombre de transactions en baisse.

« Quand on prend le prix moyen d’un hectare de vigne en France, il faut tout de suite penser à l’évolution du prix du champagne, tellement important en surfaces et en valeur (1,2 million € par hectare), qu’il arrive à influencer à lui seul le prix moyen du marché global des vignobles » nous apprend le directeur d’Agrifrance.

Sauf qu’avec le Brexit et la crise sanitaire, le marché du champagne a baissé de 1 % à 2 % en 2020 et 2021 avant que les transactions ne repartent à la hausse en 2022 avec des prix qui se raffermissent, voire qui augmentent ayant pour conséquence une hausse du prix des vignobles.

Marché viticole à deux vitesses

Avec ses nombreux segments, le foncier viticole est moins homogène que le foncier agricole ou forestier.

Le prix d’un vignoble est directement lié au marché du vin comprenant plusieurs déclinaisons, à commencer par l’entrée de gamme, « celle qui souffre car en concurrence avec des vins étrangers (Australie, Nouvelle-Zélande) vendue en grande distribution et représente tout de même 70 % du marché français » resitue M. Léchenault.

Dans ce contexte, le prix du foncier viticole en entrée de gamme trinque lui aussi, contrairement au marché d’exception (champagne, premiers crus en Bourgogne, particulièrement la Côte-d’Or, certaines appellations en Côtes-Du-Rhône, les grands châteaux du Bordelais) qui est aujourd’hui sur une pente montante.

« On a toutefois vu certaines appellations, notamment bordelaises (Margaux et Pommerol) baisser pour la première fois ».

Certains investisseurs s’intéressent au Val de Loire, « ce sont des vins à la mode avec quelques bons terroirs, des cépages intéressants (Chenin blanc) et dont la notoriété se développe à l’étranger ».

Fortes tensions sur le marché du bois et de la forêt

En France, où les forêts constituent environ 30 % des surfaces, le marché des bois est également sous tension. Plusieurs facteurs, comme la reprise de l’économie mondiale et des difficultés logistiques, ou encore la fermeture, afin de protéger leurs forêts, des exploitations forestières en Chine pour 100 ans, expliquent cette forte demande en bois.

Les investisseurs sont souvent des personnes extérieures au monde rural, même si beaucoup d’agriculteurs investissent dans les forêts. « C’est un actif relativement simple à faire gérer par un forestier et qui bénéficie d’exonérations fiscales intéressantes » détaille B. Léchenault.

Pour Agrifrance, les prix se situent toutefois « un peu trop dans le haut de la fourchette ».

Les résineux connaissent ainsi une augmentation de 37 % du prix au m3 en 2021. Les feuillus ne sont pas en reste, avec une hausse de prix record de plus de 20 % en moyenne par rapport à 2020.

Le chêne a augmenté de 38 % par rapport à 2020 et de 41 % par rapport à 2019. À plus de 50€/m3, le peuplier est également fortement apprécié. Seuls le hêtre (56€/m3 et le frêne (96€/m3) ont moins profité de l’embellie indique la note d’Agrifrance.

Quant aux résineux, les ventes ont été aussi particulièrement dynamiques en 2021. Le Douglas atteint un prix exceptionnel de 100€/m3 pour les bois de plus de 1,5m.

Sur le marché des forêts de plus de 100 hectares Agrifrance constate une offre limitée face à une demande très soutenue qui tire les prix vers le haut. Les perspectives de valorisation des crédits carbone renchérissent l’appétit de certains investisseurs.

« On a beaucoup exploité et il va falloir désormais songer à la replantation, une opération qui se gère avec la filière forestière et qui fait partie des enjeux des années à venir » précise M. Léchenault.

Et de conclure que les marchés sont positifs et le foncier rural, qu’il soit agricole, viticole ou forestier lui semble « une parfaite valeur refuge ».

Marie-France Vienne

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