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Des abeilles résistantes au varroa

Des abeilles résistantes au varroa dans quelques années ? Didier Brick, apiculteur et petit éleveur à Soumagne y croit et participe à la sélection de ces abeilles. Il partage ici son expérience d’apiculteur et de sélectionneur.

Temps de lecture : 7 min

Le petit élevage est une véritable passion chez Didier Brick. Outre ses activités d’éleveur de chèvres, moutons, canards, poules, lapins et pigeons (voir notre édition du 31 août 2018), il est également apiculteur. Et pas seulement ! Membre du Cari, il est aussi vice-président de la Fédération Royale Provinciale Liégeoise d’Apiculture (FRPLA) et gestionnaire du rucher école de Wégimont. Et, depuis cette année, il enseigne aussi l’apiculture en promotion sociale, à Palogne et à Blégny. C’est donc un pro, réellement engagé dans cette activité qui nous fait découvrir son élevage apicole et son travail de sélection d’abeilles résistantes aux varroas.

Des abeilles locales aux Buckfast, en passant par les Carnica

Didier Brick élève des abeilles depuis 27 ans. À ses débuts, il travaille durant 2 ans avec des abeilles descendantes d’abeilles noires locales. Un choc anaphylactique, suite à de trop nombreuses piqûres, l’oblige à se tourner vers des abeilles moins agressives. « De plus, c’était trop risqué de détenir des abeilles aussi agressives vu la densité de population dans la région », explique-t-il. Il acquiert des abeilles carnica, une race originaire de Slovénie, réputée pour sa douceur. Cette abeille est assez présente dans les Cantons de l’Est. En 2008, il enregistre d’importantes pertes dans son rucher. Seul un apiculteur détenteur de Buckfast peut le dépanner pour reconstituer son cheptel. C’est ainsi qu’il en élève depuis 10 ans.

Environnement favorable aux Buckfast

Cette race présente de nombreuses qualités. « Elle est plus douce encore que la Carnica, l’essaimage est moins important et elle a une meilleure productivité », déclare l’apiculteur. De plus, alors qu’il fallait importer de Slovénie des reines Carnica, il n’y a pas de problèmes avec les Buckfast car en Wallonie et au Grand-Duché, il y a une importante communauté d’éleveurs sélectionneurs qui travaillent ensemble et s’échangent du matériel génétique. Didier Brick en fait partie. À côté de la production de miel avec ses 24 colonies, il fait aussi de l’insémination artificielle, élève des reines et produit des essaims.

L’environnement dans lequel l’apiculteur élève ses abeilles est favorable à la conservation du caractère doux de la race car il est saturé en Buckfast. Il faut savoir en effet qu’une reine, au début de sa vie, se fait en moyenne féconder par une quinzaine de faux-bourdons et qu’elle stocke les spermatozoïdes jusqu’à la fin de sa vie (2-3 ans). Quand on achète une reine fécondée, on dépend donc de la génétique de sa zone de fécondation. Toutes les abeilles de la ruche dans laquelle elle sera introduite seront ses filles et auront donc toutes les caractéristiques de la reine et des faux-bourdons qui l’ont fécondée. D’où l’importance de la saturation de l’environnement en Buckfast, pour éviter un croisement avec un faux-bourdon d’une autre race. Comme Didier Brick donne aussi des cours pratiques au rucher école de Wégimont et qu’il élève des reines, les candidats apiculteurs acquièrent généralement des Buckfast, ce qui renforce la présence de cette race et permet le maintien du caractère doux et du comportement caractéristique de la race. Les apiculteurs qui lui achètent des reines sont généralement satisfaits et confirment le maintien des caractéristiques des Buckfast dans la descendance.

Résistance au varroa

Aujourd’hui, la majeure partie des pertes dans les ruchers est due au Varroa destructor (acarien parasite des abeilles, venu d’Asie dans les années 80), « même si la perte de biodiversité des milieux et l’usage de pesticides dans certaines régions ont aussi un impact certain », estime Didier Brick. L’éleveur fait partie d’une ASBL « Arista Bee Research Belgium » qui travaille à la sélection d’abeilles résistantes au varroa. Il s’agit d’abeilles VSH « Varroa Sensitive Hygienic ». Elles ont la capacité de détecter les femelles varroa en train de se reproduire alors qu’elles sont derrière l’opercule de la nymphe en croissance. Ces abeilles VSH désoperculent alors la cellule et sortent aussitôt la nymphe parasitée, ce qui interrompt le cycle du parasite. Ce comportement des abeilles VSH a été mis en évidence il y a 20 ans par un chercheur américain de Bâton Rouge en Louisiane chez des abeilles italo-américaines. Il a ensuite constaté que ce comportement était présent dans toutes les populations d’abeilles, mais de façon diluée. En effet, si seul un mâle sur la quinzaine qui féconde une reine présente ce caractère, ses effets passent inaperçus au sein de la colonie car il y a trop peu d’individus porteurs de ces caractéristiques. D’où l’idée de repérer ces individus et de créer des reines porteuses de ce caractère VSH.

Création de reines VSH

C’est ce que font désormais une quarantaine d’apiculteurs bénévoles en Région Wallonne, rassemblés dans le projet wallon collaboratif pour l’élevage et la sélection d’abeilles résistantes à Varroa destructor. Ce projet a démarré en 2015 dans le Benelux pour rechercher des reines porteuses du caractère VSH et diffuser ce caractère. La Région wallonne a attribué un budget de 80.000 EUR à Arista Bee Research Belgium pour gérer ce projet. Un bio-ingénieur a été engagé pour la coordination et le travail avec les apiculteurs bénévoles (dont Didier Brick). Cette année en Région Wallonne, 235 reines de toutes races confondues (Buckfast, carnica et noires) ont été testées pour vérifier leur caractère VSH ou non.

Pour ce faire, en laboratoire, des reines ont été inséminées chacune par un seul faux-bourdon. On vérifie ensuite si les mini colonies de test issues de chacune de ces reines sont porteuses du caractère VSH. Comment ? On procède tout d’abord à la collecte de varroas sur des abeilles infestées (les abeilles sont saupoudrées de sucre impalpable, on tamise le tout pour récolter les varroas). Les petites colonies d’abeilles à tester sont ensuite chargées de 150 varroas. Trois semaines plus tard, le couvain (larves d’abeilles au stade de nymphes) est désoperculé pour vérifier la présence de varroa et les compter. Dans les colonies 100 % VHS, il n’y a plus de varroas. On peut ainsi identifier les lignées VSH.

Diffusion du caractère VSH

L’an dernier, Didier Brick a obtenu une reine 100 % VSH. Cette année, elle sert à produire des filles reines, porteuses à 100 % de cette caractéristique, qui sont toutes en ruche de production. Et peu importe par quel faux-bourdon elles seront fécondées, tous leurs fils seront porteurs du VSH car les fils d’une reine 100 % VSH sont aussi VSH à 100 % puisque les faux-bourdons sont issus d’œufs non fécondés. Ils possèdent uniquement la moitié du patrimoine génétique de leur mère. Ces mâles vont donc pouvoir féconder les reines ou être utilisés pour l’insémination artificielle. Après 3-4 ans, on va commencer à croiser des VSH avec des VSH dans les populations d’abeilles. « En diffusant ce caractère VSH, on peut ainsi espérer à moyen terme l’obtention de colonies présentant moins de pertes et pouvant se passer de traitements contre les varroas », déclare Didier Brick.

Cette saison, l’apiculteur a suivi de près une première colonie de production avec à sa tête une reine VSH inséminée artificiellement par des mâles VSH. En juillet, juste avant l’époque du traitement contre les varroas, les abeilles d’un échantillon de cette colonie, lavées pour en décrocher les varroas, étaient exemptes d’acariens. Au terme du traitement qui a suivi, moins de 10 varroas sont tombés sur le fond de la ruche. Par comparaison, des colonies non VSH voient chuter des centaines, voire des milliers de varroas.

Pour assurer la diffusion des gènes VSH auprès du plus grand nombre d’apiculteurs, Didier Brick a sollicité les services de la Province de Liège pour la mise à disposition d’un local à Wégimont qui servira de centre d’insémination. Les apiculteurs pourront y faire inséminer leurs reines vierges par des faux-bourdons VSH. Le Député André Denis, en charge de l’agriculture a répondu favorablement à cette demande.

Formation des apiculteurs

Comme nombre de passionnés, Didier Brick aime partager ses connaissances. Il donne ainsi cours au Rucher École FRPLA asbl et assure les formations pratiques au rucher de Wégimont à Soumagne. « Depuis 5 à 10 ans, les ruchers écoles sont complets en Région Wallonne car il y a un réel regain d’intérêt pour l’apiculture », explique-t-il. Dans ses cours, les étudiants sont âgés de 16 à 59 ans. « C’est donc la population active qui s’intéresse aujourd’hui à l’apiculture », déclare-t-il. La plupart des étudiants deviennent apiculteurs et poursuivent leur formation via le réseau des sections apicoles qui assurent une formation continue. Depuis septembre dernier, Didier Brick assure aussi 2 nouvelles formations d’une année à Palogne (Ferrières) et à Blegny, dans le cadre de la promotion sociale. Sûr qu’avec son expérience et sa passion, il suscitera de réelles vocations parmi ces apiculteurs en devenir.

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