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L’absence de réciprocité continue d’inquiéter…

Différences entre les normes sanitaires et phytosanitaires, absence de traçabilité, différences de coût de production, prix tirés vers le bas, fragilisation des secteurs sensibles. Les facteurs de déstabilisation sont nombreux qui préoccupent les professionnels européens auditionnés tout récemment dans l’enceinte du Parlement européen à Bruxelles.

Temps de lecture : 5 min

Lécart entre les normes sanitaires et phytosanitaires imposées dans l’Union européenne et dans les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay et Venezuela) dans la perspective de la ratification de l’accord signé entre les deux blocs, inquiète les professionnels qui se sont exprimés il y a quelques jours à Bruxelles auprès des eurodéputés de la commission de l’Agriculture. L’audition portait sur « la durabilité de l’agriculture européenne au regard de l’impact potentiel sur le marché de l’accord sur le Mercosur ».

Un « Deux poids, deux mesures » destructeur

Lesdits professionnels ont tous souligné « l’inacceptable » absence de réciprocité à la fois en termes de normes, mais aussi concernant la traçabilité de la viande bovine et de volaille en particulier.

« Ce « deux poids, deux mesures » est dangereux, car il engendre de sérieux désavantages concurrentiels pour nos éleveurs et agriculteurs en pressant les prix de vente vers le bas », n’a pas manqué de souligner Isabella Timm-Guri, directrice du département de la production et de la commercialisation de l’Association des agriculteurs bavarois.

Et d’ajouter que « les exigences européennes en termes de normes engendrent un coût important pour les agriculteurs européens ».

Par exemple, dit-elle, « ces derniers doivent apporter la preuve qu’ils disposent des compétences nécessaires ou d’une personne compétente qui est en charge de l’utilisation et de la bonne gestion des produits phytosanitaires. Dans les pays du Mercosur, aucune règle stricte n’existe sur l’interdiction de certains pesticides, sur l’utilisation des antibiotiques ou encore sur les stimulateurs de croissance. »

Sur ces différences criantes en termes de normes, l’eurodéputée Anne Sander (démocrate-chrétienne) s’inquiéta de l’absence de contrôle : « Comment s’assurer que ces normes sont bien respectées dans les pays du Mercosur ? ».

Et la traçabilité ?

Le député centriste Jérémy Decerle appela de son côté à « une protection et des contrôles plus sérieux et productifs ». Cela pose aussi la question de la traçabilité, surtout après le scandale de la viande avariée brésilienne en août 2018.

Les professionnels auditionnés par les eurodéputés ont été unanimes pour dire que les fraudes et le rejet des viandes brésiliennes démontrent sans équivoque les difficultés des autorités brésiliennes à respecter les exigences européennes, notamment en termes de traçabilité et de contrôle des mouvements.

Sur ces sujets, Pekka Pesonen, secrétaire général du Copa-Cogeca, s’interrogea sur « les garanties que peut apporter la Commission européenne pour éviter de graves perturbations sur le marché de l’UE au regard des différences importantes en termes de normes et de traçabilité ». À cette fin, il indiqua que « le fonds d’un milliard d’euros proposé par la Commission est une bonne chose pour lutter efficacement contre toute déstabilisation inopportune du marché. »

Secteurs sensibles fragilisés

En cas de ratification, l’accord UE-Mercosur aurait un impact non négligeable sur différents secteurs, notamment ceux des produits sensibles tels que la viande bovine ou la viande de volaille. Selon Liam MacHale, directeur de l’Association des agriculteurs irlandais, « l’acceptation d’un contingent de 99.000 tonnes de viande bovine à bas coût avec 55 % de viande fraîche et 45 % de viande congelée ne pourra que déstabiliser le marché en tirant les prix vers le bas. En outre, quelles sont les garanties qui permettraient de s’assurer que la viande surgelée est bien composée uniquement de viandes moins nobles (…) ? Alors que l’objectif du Mercosur, c’est 40 % du segment à plus haute valeur ajoutée de la viande bovine. » Et l’Irlandais de pointer qu’« au Brésil sur le plan des normes sanitaires, aucune mesure concrète n’a été menée pour réaliser un échantillonnage qui permettrait de mesurer le taux en stéroïde des bovins. »

Pour le secteur de la viande de volaille, l’entrée en vigueur d’un tel accord ne serait pas une bonne nouvelle, alors que la filière importe déjà 900.000 tonnes de filets de poulet dont la moitié provient du Brésil. « Avec l’accord UE-Mercosur, c’est 180.000 tonnes de volailles supplémentaires, on atteint ainsi le seuil absolu d’un million de tonnes de viandes de volaille importées.

« C’est colossal », souligna Jean-Michel Schaeffer, président de l’interprofession française de la volaille de chair. Ces importations posent toujours la question du différentiel de normes, qui entraîne à la fois une hausse des coûts de production pour les agriculteurs européens et une pression à la baisse inexorable des prix. « C’est près de 6 % de différence en termes de coût rien que sur les normes », précisa-t-il.

Nouvelle étude d’impact en 2020

Aux yeux des experts auditionnés, l’accord est déséquilibré ; l’absence de réciprocité serait fortement nuisible aux agriculteurs européens dans leur ensemble. En l’état, Augustin Herrero, directeur général des coopératives agroalimentaires espagnoles, estime que « pour éviter de tels déséquilibres, il est crucial que l’UE impose aux pays du Mercosur le respect et la mise en œuvre des mêmes normes imposées aux producteurs européens. Il faut être plus strict afin de s’assurer que ces derniers respectent bien les exigences du modèle de production européen. »

À l’issue de ces échanges, la Commission européenne a indiqué qu’elle transmettrait, au printemps prochain, une nouvelle étude d’impact tout en indiquant que les pays du Mercosur n’ont pas d’autres choix que de respecter les normes européennes pour commercialiser leurs produits agricoles sur le marché communautaire. « Aucune transigeance ne sera tolérée », assure l’Institution européenne.

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