Accueil En famille

Lut Bellegeer, présidente VABS, nous donne ses impressions:«Chacun sa parcelle, sa vache… c’est peut-être ça le futur de l’agriculture»

« En agriculture et horticulture, l’incertitude sur les revenus est malheureusement devenue une habitude », déplore Lut Bellegeer, présidente du Vrouwen van het Algemeen Boerensyndicaat (VABS), équivalent flamand de l’Union wallonne des agricultrices (UAW). « Aucune autre branche de notre économie ne doit faire face à une insécurité aussi grande. Nous n’avons aucun contrôle sur les prix et c’est un problème qui pèse constamment sur nos familles. Dans les fermes, ce sont souvent les femmes qui s’occupent des paiements, elles sentent donc beaucoup plus vite venir une mauvaise année », précise-t-elle.

Temps de lecture : 9 min

Malgré sa fonction de présidente, c’est au cœur de son exploitation, située les rives de l’Yser à Reninge, que Lut Bellegeer nous a reçus il y a peu. « Vous me trouverez rarement au bureau, je suis avant tout une agricultrice », dit-elle. À ce titre et en tant que représentante de ses collègues flamandes, Lut était donc la personne idéale pour nous livrer ses impressions sur l’agriculture et son évolution.

L ’année écoulée n’a pas été facile. Comment les agricultrices flamandes l’ont-elles vécue ?

Il s’agit en effet d’une année à oublier. Nous avons tout d’abord eu beaucoup trop d’eau au printemps, et ensuite un été sec. Cela a laissé des traces sur le terrain. Chez nous, lorsque l’Yser est sorti de son lit, les poissons sont restés dans les pâtures. La première coupe de foin a été complètement perdue. Ces conditions climatiques extrêmes ont apporté du travail supplémentaire dans toutes les exploitations. Bon nombre de femmes sont encore en attente de papiers pour remplir les dossiers d’indemnisation. Quand on est déjà dans une situation difficile, une année telle que 2016 peut être la goutte d’eau qui fait déborder le vase.

Nos revenus croient sur le terrain ou dans l’étable mais à condition que nous ne subissions aucunes catastrophes ou autres revers et que nos clients nous offrent un prix équitable pour tous les efforts que nous faisons.

Pour vous, comment la situation des agriculteurs va-t-elle évoluer ?

L’agriculture dépend de plus en plus des marchés européens et mondiaux. Je ne vois pas énormément de changements dans les années à venir. Mais une chose est sûre, dans une décennie, la population d’agriculteurs sera réduite de moitié, et cela simplement à cause de leur âge et de l’absence de repreneurs. Actuellement, 50 % des agriculteurs et horticulteurs ont plus de 50 ans.

Je pense que nous verrons deux mouvements se dessiner. D’une part, les entreprises en pleine croissance vont de plus en plus utiliser les nouvelles technologies et l’agriculture de précision. Ces grandes entreprises veilleront à garantir l’approvisionnement alimentaire, même si cela signifie la disparition de la moitié de notre communauté agricole. L’agriculture évolue avec son temps ».

« L’agriculture est une profession extensible mais, dans tous les cas, on doit être certain de faire ce que l’on aime. »

Et l’autre mouvement ?

D’autres exploitations rétréciront.

Dans les exploitations bien situées, la vente directe ou le tourisme à la ferme offriront des possibilités. Je pense qu’il est possible pour nous de resserrer les liens avec les consommateurs tout en obtenant une satisfaction financière grâce aux circuits courts, à la vente de nos produits et en misant sur le caractère naturel, convivial et reposant des espaces agricoles.

D’autres agriculteurs conserveront leur exploitation comme activité accessoire ou de loisir qu’ils pourront réaliser avec l’aide de leurs parents.

Mais quoi qu’il en soit, il sera très important que chacun choisisse sa route en connaissance de cause, sans être influencé par les « belles histoires » des collègues. Chaque situation doit être analysée correctement. L’agriculture est une profession extensible mais, dans tous les cas, on doit être certain de faire ce que l’on aime. Pour votre exploitation, quel est, selon vous, le meilleur choix ?

Chez nous, il n’y a pas de choix à faire. Mon mari et moi-même n’avons pas de successeurs. Nous n’investirons plus. Nous nous occupons de notre ferme et de nos terres en attendant notre pension. Aucune de nos quatre filles n’a choisi la voie agricole.

Je ne sais pas ce que deviendront toutes ses fermes qui vont se libérer dans les 10 prochaines années. L’agriculture continuera peut-être à évoluer à petite échelle. C’est un mode de vie que beaucoup de gens issus de familles agricoles conservent avec nostalgie. Il y a 100 ans, tout le monde avait 3 ha, un cochon, une vache. Peut-être que cette manière de pratiquer en agriculteur amateur est en train de sauter une génération. Quand je regarde les jouets de mon petit-fils, je me dis que je ne connais aucun agriculteur avec autant de tracteur.

À quelles évolutions avez-vous assisté depuis 30 ans ?

Les grands changements sont venus de la mécanisation et la numérisation. Qui aurait cru que le transport du fumier serait suivi par GPS ? Ou, que les satellites nous diraient quelle taille font nos terrains ? L’ordinateur qui gère le robot de traite, notre boîte aux lettres, nos comptes bancaires et nos factures et j’en passe…

Personnellement, je trouve cela hallucinant qu’on dépense plus de temps et d’argent à surveiller le transport du fumier sur nos routes que celui des déchets nucléaires. Les conséquences d’un accident lors du transport de fumier sont sans doute plus graves qu’avec des déchets nucléaires… L’odeur a peut-être quelque chose avoir là-dedans. Les gens se sont détournés de la nature et des ses senteurs.

Tous ces changements ont été très différents de ce que vous attendiez ?

Ce qui m’a agréablement surpris, c’est que les femmes ont peu à peu pris leur place dans le milieu agricole. Les vétérinaires, représentants, agriculteurs… ne sont plus uniquement des hommes. En agriculture, les femmes ont toujours été présentes mais souvent en arrière-plan et parfois invisible. Aujourd’hui, on les voit partout aux commandes, sur le tracteur et dans les étables. C’est une très bonne chose. Travaillez et pensez ensemble à l’avenir de l’entreprise empêche de la mener droit dans le mur. Il y a 30 ans la société était différente. Aujourd’hui, de plus en plus de couples sont partenaires dans la vie professionnelle et privée, c’est une belle évolution. Nous sommes beaucoup plus forts quand nous pouvons nous compléter mutuellement.

Avec le VABS, qu’attendez-vous du Gouvernement ?

Nous attendons du Gouvernement flamand et surtout fédéral qu’il soutienne notre agriculture. L’approvisionnement alimentaire est un besoin fondamental. L’alimentation saine, c’est bien, mais c’est encore mieux quand les produits proviennent de notre propre pays. Nous fournissons beaucoup d’emploi en amont et aval de la chaîne. Il y a beaucoup trop de personnes qui pensent que de toute façon la nourriture peut-être importée. Mais avec quelles garanties pour notre sécurité alimentaire ? Qui va contrôler cette production ? Je suis omnivore et mange de tout mais j’apprécie de savoir comment ma nourriture a été produite. La défense de notre secteur au niveau européen est entre les mains de nos ministres et des grandes associations agricoles. En tant qu’organisation le VABS entend également toujours avoir son mot à dire dans les questions concernant les femmes.

« Il faut agir où l’on peut sans se préoccuper des choses sur lesquelles on n’a pas d’emprise. »

Qu’attendez-vous plus particulièrement des consommateurs ?

Nous nous attendons à ce qu’ils apprécient l’implication que nous mettons au jour le jour à répondre à leurs besoins et demandes. Ce n’est pas toujours une tâche facile car on n’a pas de contrôle sur la nature. Le soleil et la pluie ne peuvent pas être préprogrammés. Les produits de protection des cultures sont tellement chers que nous ne les utilisons qu’en cas de nécessité. C’est la même chose pour les antibiotiques. Moins vous en utilisez, moins cher c’est. Mais parfois, nous devons être en mesure de stopper certaines maladies.

Tout doit rester économiquement viable. Les consommateurs prêts à payer pour de la qualité seront bien servis. Nous ne souhaitons rien de plus que des clients satisfaits, et nous nous engageons chaque jour pour ça.

Que fait la VABS pour cela ?

La VABS est une organisation qui est née de la base et n’est pas issue des politiques ou d’autres institutions. Cette indépendance nous donne beaucoup d’opportunités ainsi qu’une certaine liberté de parole. Nos membres apprécient se retrouver pour discuter entre professionnels et de sujets qui leur tiennent à cœur. Il s’agit presque exclusivement d’agricultrices.

Je pense qu’il est très important que des agricultrices de terrain se rendent à Bruxelles pour se faire entendre. Pour toutes les questions de politique fédérale, nous avons également de bons contacts avec nos collègues de l’Union des agricultrices wallonnes (UAW). Leur groupement est également dirigé par des agricultrices actives. Avec elles et le KVLV, nous nous sommes notamment retrouvées à la table de Willy Borsus pour discuter et induire des changements au niveau du statut de conjointe aidante. Le ministre prend en compte nos commentaires lors de sa décision. Notre conviction est qu’on obtient de meilleurs résultats en travaillant ensemble.

« La presse est un média puissant qui peut faire ou défaire des gens. »

Cet automne, vous avez été très active dans les médias…

Le monde des médias est nouveau pour nous. Il peut être violent. On peut parler de guerre des mots. Notre première expérience a été la production de notre calendrier. Suite à cela, nous avons été invités dans l’émission « café Corsari », qui a une moyenne de 800.000 téléspectateurs.

La presse est un média puissant qui peut faire ou défaire des gens. Ce qui apparaît dans les médias est souvent trop facilement accepté. Il faut savoir utiliser les mots justes et s’adresser aux bonnes personnes. Nous sommes convaincus qu’en tant que professionnelles nous sommes capables d’exprimer ce qui nous fait souffrir. Nous sommes peinées de voir que l’on nous décrit constamment à tort comme des pollueurs et des empoisonneurs.

La compréhension et la confiance sont deux choses qui se construisent lentement. Un seul mot peut détruire de nombreux efforts positifs et des mots ou images négatives peuvent perdurer très longtemps. Mais parfois, en tant qu’organisation syndicale, on se doit de secouer l’arbre et faire réfléchir les gens. On contrôle ce qu’on écrit nous-même mais pas ce qu’on écrit pour nous. Néanmoins, je pense que nous agissons correctement.

Quelle satisfaction vous a apporté votre rôle de présidente ?

Les gens me prennent toujours pour une folle quand ils savent le temps que cela me prend. Mais les femmes du VABS ont bien mérité leur place dans l’ABS. Je suis fier de pouvoir les représenter. Ce sont des femmes motivées, qui veulent changer les choses et n’ont pourtant pas beaucoup de temps pour le faire.

Les présidentes vont et viennent. J’arrive à l’âge de 65 ans en étant heureuse et reconnaissante de passer le flambeau. Je suis comme je suis et je dis les choses comme elles sont. j’essaie toujours d’expliquer mon point de vue mais si on n’y adhère pas ce n’est pas pour cela qu’il est impossible qu’on s’entende.

La présidence a été pour moi un saut dans l’inconnu mais ça été terriblement enrichissant. Je suis fière d’avoir pu représenter des membres qui savent ce qu’elles veulent. Avec plus de temps et de ressources nous aurions peut-être encore pu accomplir d’autres choses. Aujourd’hui, je pense que nous faisons déjà beaucoup avec les moyens à notre disposition. Il faut agir où l’on peut sans se préoccuper des choses sur lesquelles on n’a pas d’emprise.

A lire aussi en En famille

Un touche-touche dans les ruines de Montaigle

En famille Nous ne sommes pas toujours obligés d’aller loin ou de débourser des sommes considérables pour en mettre plein la vue à nos enfants. Il y a peu, nous avons découvert les ruines du Château comtal de Montaigle, situées au confluent de la Molignée et du Flavion, à Falaën (Onhaye), dans le Namurois.
Voir plus d'articles