Pourquoi greffe-t-on les arbres fruitiers ?

L’association de deux ou plusieurs individus différents lors d’une greffe génère de nombreuses interactions entre eux via les deux courants de sève : la sève brute ascendante produite par le système radiculaire à partir de l’eau et des éléments minéraux puisés dans le sol, et la sève descendante élaborée dans la frondaison de l’arbre. Le pépiniériste et l’arboriculteur vont exploiter au mieux les conséquences favorables du greffage pour la croissance et la fructification des arbres.

Dans la nature, il existe quelques cas de greffage spontané en approche de tiges ou de racines.

On peut supposer que les techniques de greffage ont été développées par l’Homme après observation de ce qui se produit dans la nature. Des greffages de rameaux détachés sont mentionnés dans l’Antiquité, en Chine 2000 ans avant notre ère, ainsi qu’en Mésopotamie, en Grèce et au Moyen-Orient.

De multiples techniques…

Au fil du temps, et en fonction des particularités morphologiques (présence de moelle dans les tiges, par exemple) ou physiologiques (feuillage caduc ou persistant, par exemple) des plantes, un grand nombre de méthodes de greffage ont été mises au point, ainsi que des outils permettant de les réaliser.

Selon le cas, différents organes ou tissus végétaux peuvent être greffés : rameaux non détachés (= greffage en approche), rameaux détachés (= greffage en fente, en demi-fente, en incrustation, en couronne, en placage de côte, à l’anglaise, à cheval…), bourgeons végétatifs (écussonnage, chip-budding, Nicoline, en flûte…), ou encore de boutons à fruits.

… et influences

Le choix du sujet porte-greffe aura de nombreuses influences sur l’arbre adulte.

 La vigueur et les dimensions de la couronne

Selon le système de culture choisi, la couronne des arbres adultes doit atteindre des dimensions déterminées au départ. Le choix du sujet porte-greffe permet de conférer à la couronne une vigueur soit faible pour les vergers intensifs, intermédiaire, ou encore très forte pour les vergers extensifs.

Ainsi, pour un pommier adulte, la hauteur de l’arbre peut aller de 2 à 15 m.

 La fertilité et la productivité des arbres

De manière générale, vigueur et fertilité sont des caractéristiques antagonistes, mais il peut aussi exister des grandes différences de fertilité entre sujets de vigueur équivalente.

Ainsi, pour les poiriers, le porte-greffe ‘Cognassier Adams’ induit une fertilité meilleure que ‘Cognassier A’ alors qu’ils ont une vigueur quasi similaire.

 La précocité d’entrée en production

L’entrée en production d’un arbre marque la fin de sa phase de vie juvénile où le volume de la couronne augmente, et le début de la phase adulte où croissance et production fruitière sont en équilibre. On comprendra donc que plus un arbre doit devenir volumineux grâce à une forte vigueur, plus longue sera sa phase juvénile, et plus tardive sera son entrée en production.

Ainsi, un pommier basse-tige greffé sur M9 entre en phase adulte à 4 ans, alors qu’en haute-tige, il faut attendre 12 à 15 ans.

 La longévité des arbres

La durée de vie économique d’arbres fruitiers dépend beaucoup de l’espèce, des caractéristiques du milieu (sol et climat), et de la qualité des soins prodigués. Elle est aussi influencée par la vigueur du sujet porte-greffe.

Ainsi, un pommier greffé sur M9 aura une longévité de 20-25-(30 ?) ans tandis que dans des conditions favorables, celle d’un pommier haute-tige peut dépasser un siècle.

 Le cycle végétatif annuel

Dans une faible mesure, le sujet porte-greffe influence la date de débourrement, de floraison et de fin de croissance des arbres. Les différences observées n’excèdent pas quelques jours en début de saison, alors que le ralentissement et l’arrêt de la croissance en fin d’été peuvent différer davantage.

Ainsi, chez le pommier, les arbres greffés sur M27, un sujet de très faible vigueur, cessent de croître dès fin juillet, nettement plus tôt qu’avec M26, M9 et surtout M7.

La date de maturité optimale des fruits est également influencée par l’identité du sujet porte-greffe.

 Les caractéristiques du sol

La large gamme de sujets porte-greffe disponibles permet de choisir celui qui répond le mieux aux caractéristiques du sol : à une texture lourde ou légère, à une bonne structure, à des conditions sèches ou très humides (même temporairement), au pH (un pH supérieur à 7,5 impose de bien choisir le porte-greffe afin d’éviter les chloroses). Chez les cerisiers à fruits doux et les pêchers, ainsi que dans une moindre mesure chez les pruniers, un sol très humide est inapproprié.

Lors d’une replantation de la même espèce sur une parcelle, il est conseillé d’adopter un sujet porte-greffe un peu plus vigoureux afin d’éviter des symptômes de « fatigue du sol », à savoir une croissance déficiente pendant les premières années.

 Les caractéristiques du climat

L’intensité du froid hivernal a obligé les pays à climat continental et les pays septentrionaux à adopter des sujets porte-greffe capables de résister à des températures très basses. Dans notre pays, des mortalités de poiriers greffés sur cognassiers ont été observées en 1956 et en 1985. Lors de la vaste enquête réalisée après l’hiver 1985, les constatations étaient trop variables selon l’endroit, les variétés et porte-greffes et l’âge des arbres pour en tirer des conclusions.

De manière générale, on sait qu’en Belgique les cognassiers de Provence et les pêchers francs ne sont pas indiqués, et que le pommier M9 est plus sensible au froide que le M26.

Comme le sujet porte-greffe peut influencer dans une faible mesure la date de floraison des arbres, et puisque la sensibilité des fleurs au gel augmente avec leur développement, un retard de quelques jours peut réduire les dégâts occasionnés par une gelée printanière.

Dans les régions où l’été est très chaud, on a pu observer des différences de résistance de la couronne à des températures très élevées selon le sujet porte-greffe utilisé.

 La composition minérale des fruits

La sève brute est fournie à l’arbre par le système radiculaire, à savoir le sujet porte-greffe. De nombreuses recherches ont montré que l’absorption par les racines de l’eau et des différents éléments minéraux contenus dans le sol est un mécanisme actif sélectif et non passif. En outre, il existe de multiples antagonismes qui mettent les éléments minéraux en concurrence entre eux lors de leur passage du sol vers une racine. Par conséquent, la composition minérale de la chair des fruits peut présenter des différences selon l’identité du porte-greffe. Le comportement des fruits après récolte peut également varier : tenue à la vente, durée de conservation, développement de maladies physiologiques de conservation.

Chez les pommes, le cas le plus fréquent est le développement dans la chair de points liégeux de teinte brune. Il est dû à une carence en calcium induite par un excès de potassium dans le sol. Préventivement, on distribue du nitrate ou du chlorure de calcium par voie foliaire pendant l’été, ou par trempage des fruits après récolte. Les sujets porte-greffe faibles y sont les plus sensibles.

 La qualité gustative des fruits

Même si quelques différences ont été observées, il est difficile de mettre en évidence une influence directe des sujets porte-greffe sur la qualité gustative des fruits. En effet, celle-ci est déterminée par un grand nombre de composés chimiques : plusieurs sucres et acides, un très grand nombre d’arômes, et des tanins. De plus, une comparaison à un moment donné peut être influencée par des différences de maturité de lots de fruits de provenance différente.

 La résistance à des bioagresseurs

La longévité d’un arbre fruitier peut être affectée par le choix du sujet porte-greffe si celui-ci se révèle sensible à un ou plusieurs bioagresseurs du système radiculaire et du collet. Cela concerne plusieurs maladies virales, cryptogamiques et bactériennes, ainsi que des ravageurs. Citons, par exemple, le chancre du collet, les pourridiés, le crown-gall, le feu bactérien, les nématodes, le puceron lanigère du pommier ou encore le phylloxéra de la vigne.

 La production de drageons et de broussins

Les drageons sont des pousses issues du système radiculaire qui se développent autour du tronc. Il convient de les enlever manuellement ou mécaniquement, surtout si le désherbage du pied se pratique chimiquement. Chez les cognassiers et les pruniers, ce phénomène est fréquent, et il oblige à des prestations répétées. Il est donc considéré comme un inconvénient.

Les broussins sont des proliférations d’ébauches de racines qui se développent en groupes denses sur la partie du sujet porte-greffe qui émerge du sol. Ils sont très fréquents chez les pommiers. Ils provoquent des nécroses du tronc, induisent une vigueur plus faible, augmentent la sensibilité au froid hivernal, et sont le point de pénétration de certains cryptogames, bactéries ou ravageurs (la sésie du pommier, par exemple).

On observe fréquemment des broussins chez les pommiers M26 et MM 106, mais d’autres facteurs peuvent intervenir dans leur apparition : le mode de multiplication, la hauteur de greffage ou l’identité de la variété greffée.

Faire le bon choix

Cette longue énumération des influences exercées par le sujet porte-greffe sur l’ensemble du comportement des arbres fruitiers greffés montre bien l’importance tout à fait fondamentale d’une réflexion approfondie et complète lors du choix des arbres, en fonction des paramètres du milieu et du mode de culture que l’on a choisi.

Pour chaque espèce fruitière, la gamme des sujets porte-greffe est très vaste, et elle augmente toujours puisque partout dans le Monde, on recherche activement des sujets nouveaux, toujours meilleurs. Toutefois, dans chaque région, le nombre de sujets traditionnellement en usage est plus limité, influencé par les conditions locales de culture.

L’adoption de sujets porte-greffe nouveaux doit se faire avec prudence, et seulement après un nombre important d’années d’observation du comportement des arbres greffés.

Ir André Sansdrap

Wépion

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