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Faire revivre le porc élevé par les Ménapiens il y a 2.000 ans

Dans la filière porcine, la volatilité des prix incite les acteurs à rechercher des tas de stratégies pour se différencier. On trouve de la viande enrichie en acides gras oméga-3, des porcs à la saveur distincte (Duroc d’Olives), le Porc Qualité Ardenne, le Porc plein air, le Porc Fleuri… ou encore des porcs à propos desquels on peut raconter une histoire. C’est le cas du cochon des Ménapiens, que Ruben Brabant élève et que Hendrik Dierendonck transforme. En voici l’histoire.

Temps de lecture : 7 min

Il était une fois un cochon qui vécut il y a 2000 ans dans nos régions. Il était proche du sanglier, mais vivait comme animal de rente dans la tribu des Ménapiens. Le territoire de celle-ci correspond à peu près à un territoire situé à l’ouest de l’Escaut. Des écrits attestent que la viande du cochon ménapien était à ce point appréciée qu’on la retrouva sur les tables des Romains. Ceux-ci payaient une fortune pour le faire venir d’une des extrémités de leur empire. Le jambon aurait-il été le premier produit d’exportation de cette région qui est, par la suite, devenue la Flandre ?

Wim De Clercq, professeur d’archéologie à l’Université de Gand a étudié les écrits romains et a ainsi appris comment les jambons étaient confectionnés. Il a également trouvé des os de porcs dans des cavités où les Ménapiens jetaient leurs déchets. Quand il en a parlé à Ruben Brabant, celui-ci voulut « ressusciter » ce cochon. Ruben Brabant a fondé la société AGS avec Peter Kerkhof. Elle est active dans la construction d’étables et le commerce de porcelets et porcs. AGS a deux exploitations de truies, Porc @ et Delt @ porc, et une exploitation d’engraissement, 4Pigs. Il croit que le Porc ménapien a de l’avenir.

Pourquoi voulez-vous élever des porcs d’il y a 2.000 ans ?

« Il n’y a pas si longtemps, l’élevage des porcs s’arrêtait aux portes de l’abattoir. Nous avons choisi la truie et la génétique, et avons essayé ensuite de vendre le cochon. Cela ne fonctionne plus. Nous voulons produire ce qui est demandé. Comment pouvons-nous réattirer le consommateur ? C’est bien plus compliqué qu’autrefois. Nous avons beaucoup discuté avec nos clients, et nous sommes arrivés à la conclusion que les citoyens critiques font attention au bien-être des animaux et à la durabilité, mais aussi au fait que le producteur soit reconnu, que la viande ait un goût particulier et qu’il y ait un bon récit à propos du produit. Le porc ménapien s’inscrit bien dans cette tendance. »

Les consommateurs veulent beaucoup de choses, mais vont-ils aussi payer pour ?

« Un certain public le fera, mais pas tout le monde. Des consommateurs achètent de viande très typée. En Angleterre, par exemple, nous avons vu des Américains et des Australiens payer cher pour des truies qui vivent toute leur vie à l’extérieur. Personnellement, je ne tiens pas à laisser des animaux dehors par tous les temps. Nos porcs ont un parcours extérieur, mais ils peuvent rentrer sans problème lorsque les conditions météorologiques sont mauvaises. »

Quelles autres options avez-vous envisagé ?

« Je me suis plongé dans l’historique des vieilles races porcines. C’est devenu une passion, mais un modèle économique réussi n’en est pas encore sorti. C’est-à-dire que la connaissance de ces anciennes races et de leurs caractéristiques est suffisante pour recréer ladite race. J’ai déjà des animaux d’élevage bien typés. »

Comment cette résurrection s’est-elle déroulée ?

« Peu après avoir rencontré le professeur Wim De Clercq en 2014, nous avons fait appel au professeur Stefaan De Smet, technologue de la viande et spécialiste en élevage à la faculté d’agronomie de l’Université de Gand. Nous avons d’abord sélectionné des races avec lesquelles nous voulions travailler. Nous avons très rapidement pu réaliser des croisements, dont celui de départ avec du sanglier. À l’origine, ledit porc était un produit de première domestication des cochons sauvages. Le facteur « sauvage » l’imprègne donc de façon importante. »

Quelle est la base sur laquelle vous avez démarré la sélection ?

« Bien sûr, le cochon doit ressembler à son ancêtre historique, où les aplombs sont importants. Nous voulons aussi du gras intramusculaire, une viande marbrée. Nous avons testé différents croisements, puis choisi celui qui nous a donné le plus de satisfactions. Après trois ans de sélection, nous avons fait reconnaître la race. Aujourd’hui, il y a déjà des verrats ménapiens à la station d’IA, de manière à ce que toute la génétique ne soit pas uniquement dans notre exploitation. Nous ne craignons pas trop la consanguinité. Nous maintenons d’autres lignées et nous pouvons recréer la branche sans problème. »

Dans quelle mesure la race reconstituée ressemble-t-elle à l’originale ?

« En ce qui concerne les caractéristiques externes, c’est très proche. La recherche ADN suivra certainement, mais nous ne sommes pas dans le Jurassic Parc. Ce n’était pas dans notre intention de cloner. Nous avons reconstitué la race par rétrocroisement. »

Combien d’individus compte-t-elle aujourd’hui ?

« Pour le moment, nous dénombrons un millier d’individus, du porcelet au porc prêt à l’abattage. On a besoin d’un certain volume pour atteindre un prix de revient acceptable. Ce sont des cochons qui reviennent cher : ils ont un parcours extérieur, la croissance est lente, la conversion alimentaire est élevée… »

Quelles en sont leurs spécificités ?

« Les porcelets sont beaucoup plus curieux. Ils ont beaucoup d’énergie, même s’ils ne s’attaquent pas plus que les autres porcelets. Il y a tout simplement plus de vie dans la porcherie. Il faut faire plus attention au moment de les charger. Si on veut les forcer, ils « mettent le frein à main » et il faut alors faire très attention. Les truies sont très maternelles. Il n’y a quasiment pas de porcelets écrasés. »

Recommanderiez-vous la race à d’autres éleveurs de porcs ?

« Oui, parce que nous avons voulu une race qui soit plus rustique. Si on utilise un verrat ménapien sur une truie normale, on remarque que la descendance est plus vive. Nous ne sommes, bien sûr, pas au même niveau de production, mais cette partie est plus facile à travailler. Nous ne devons jamais soigner les truies avec des médicaments, et c’est rare avec les porcelets. Si un animal tombe malade, on appelle le vétérinaire. S’il prescrit des antibiotiques, nous les donnerons. Leur bien-être avant tout. »

Y a-t-il déjà des porcelets ou des truies à vendre à d’autres producteurs ?

« Ce n’est pas encore d’actualité. Nous voulons veiller au débouché et éviter une baisse des prix en raison d’une offre trop abondante. On élève ce qu’on vend. Nous sommes en train de rédiger notre cahier des charges, dans lequel nous fixerons la génétique, l’alimentation et le logement. »

Que contiendra le cahier des charges ? Comment devra-t-on les élever ?

« Pour le moment, l’élevage est plutôt extensif. Le parcours extérieur est important. Pour moi, c’est principalement pour le bien-être des animaux, pour les transformateurs, c’est pour l’obtention d’une viande de qualité. Les animaux qui ont un parcours extérieur ont une viande plus dense, plus ferme. Nous avons dû réappprendre comment tenir un élevage de porcs en extérieur. C’était un terrain inconnu pour nous. »

Que mangent ces porcs ?

« Nous avons retiré le maïs et le soja des rations. Nous les remplaçons par d’anciennes céréales, comme l’épeautre, comme source d’énergie. La protéine vient des lentilles ou des pois. Il y a peu, nous avons rencontré des personnes qui cultivent de l’engrain ou du blé amidonnier. On va voir ce que cela peut donner. Dans les décharges historiques où les os du porc ont été trouvés, les archéologues ont également trouvé du pollen de cultures fourragères. Nous voulons retrouver ces formulations. »

Existe-t-il une offre suffisante et abordable en céréales d’autrefois ?

« En Belgique, ce n’est pas encore le cas. Aux Pays-Bas, des agriculteurs commencent à cultiver des vieilles variétés à grande échelle. Évidemment, il faut faire attention au prix de revient. Ce serait mieux de travailler avec des agriculteurs belges intéressés par des céréales anciennes. Nous sommes ouverts. »

La transformation de la viande se fait-elle d’une manière spéciale ?

« Hendrik Dierendonck est un boucher réputé. C’est lui qui est en charge de la transformation, dès sortie de l’abattoir. Nous avons discuté du mode d’abattage et de préparation. C’est différent et cela correspond à sa philosophie. L’écrivain romain Caton l’Ancien a décrit méticuleusement la méthode de préparation du jambon ménapien. Dierendonck a repris cette recette. Le porc ménapien est le résultat d’un travail d’un éleveur et d’un boucher qui ont décidé de travailler ensemble. Nous sommes plutôt fiers de notre collaboration. »

Quel est le goût du jambon ?

« Il n’est pas encore possible de le goûter. Les plus vieux jambons n’ont que huit mois de maturation. Il faut au moins un an, peut-être encore plus longtemps. Quinze à seize mois, peut-être. Nous voulons présenter des jambons de qualité, à la mode des jambons de Parme. C’est tout de même marrant. Depuis des années, nous exportons d’excellents quartiers arrière vers l’Italie où on les transforme en jambons de Parme ou de San Daniele. Alors, pourquoi ne pas le faire chez nous . »

DC

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